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@ -7,10 +7,14 @@ Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la
Non-respect des procédures de demande dasile par la police de lair et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places dhébergement durgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que lon peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation. Non-respect des procédures de demande dasile par la police de lair et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places dhébergement durgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que lon peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation.
## INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE ! ## INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE !
En 2007, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et ancien officier de la PAF, écrivait : « Dépassant les clivages humains qui ont conduit aux pires atrocités, Montgenèvre, par sa spécificité de commune transfrontalière, tend la main à ses voisins italiens pour créer ensemble une coopération au service des populations et de leur maintien en montagne. Ce lien va perdurer au-delà des années pour créer lun des plus beaux domaines skiables internationaux dEurope : La Voie Lactée ». M. Hermitte loue le «lien», « tend la main », coopère, comme si lépoque de la séparation des peuples était révolue. Pourtant, à Montgenèvre aujourdhui, la coopération entre la France et lItalie est surtout commerciale et policière. Un golf, une station de ski et une macabre partie de ping-pong avec les personnes exilées ; voilà les seules choses réellement transfrontalières à Montgenèvre. Le local de « mise à labri » où sont enfermées les personnes arrêtées alors quelles tentaient de traverser la frontière, est un Algeco dissimulé derrière le poste de police. Le vocabulaire officiel est pour le moins trompeur, car cette « mise à labri » se traduit quasi systématiquement par lenfermement illégal et le refoulement en Italie des personnes exilées. La fraternité prônée par M. Hermitte ne vaut quen tant quelle promeut le tourisme et efface dun même geste les questions migratoires. Ces mots datent. Mais aujourdhui encore, léquipe municipale montgenèvroise continue de louer le caractère « transfrontalier » de sa station, tout en réussissant lexploit de rester muette sur les enjeux migratoires, alors même que la situation locale fait régulièrement lobjet dune couverture nationale. En 2007, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et ancien officier de la PAF, écrivait : « Dépassant les clivages humains qui ont conduit aux pires atrocités, Montgenèvre, par sa spécificité de commune transfrontalière, tend la main à ses voisins italiens pour créer ensemble une coopération au service des populations et de leur maintien en montagne. Ce lien va perdurer au-delà des années pour créer lun des plus beaux domaines skiables internationaux dEurope : La Voie Lactée ».[^1]
Le mutisme est aussi à lœuvre chez des acteur.ices dépendant.es de subventions, ou de marchés publics. Parmi elleux, des acteur.ices de la solidarité, de la culture et du tourisme font attention à rester « neutres », « apolitiques », à ne pas faire de vagues, une posture qui participe au maintien de lordre frontalier. La société de transport Resalp, par exemple, a choisi de collaborer avec la police. Cest ainsi que les chauffeur.euses de la ligne Montgenèvre-Briançon demandent aujourdhui les documents didentité à certain.es passager.es non-blanc.hes suivant une pratique ouvertement raciste et totalement illégale. M. Hermitte loue le «lien», « tend la main », coopère, comme si lépoque de la séparation des peuples était révolue. Pourtant, à Montgenèvre aujourdhui, la coopération entre la France et lItalie est surtout commerciale et policière. Un golf, une station de ski et une macabre partie de ping-pong avec les personnes exilées ; voilà les seules choses réellement transfrontalières à Montgenèvre. Le local de « mise à labri » où sont enfermées les personnes arrêtées alors quelles tentaient de traverser la frontière, est un Algeco dissimulé derrière le poste de police. Le vocabulaire officiel est pour le moins trompeur, car cette « mise à labri » se traduit quasi systématiquement par lenfermement illégal et le refoulement en Italie des personnes exilées. La fraternité prônée par M. Hermitte ne vaut quen tant quelle promeut le tourisme et efface dun même geste les questions migratoires. Ces mots datent. Mais aujourdhui encore, léquipe municipale montgenèvroise continue de louer le caractère « transfrontalier » de sa station, tout en réussissant lexploit de rester muette sur les enjeux migratoires, alors même que la situation locale fait régulièrement lobjet dune couverture nationale.
A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge Solidaire de ranger le linge pendu à ses fenêtres. Ça ne fait pas propre, et il parait que les habitants de Briançon le « vivent mal ». Lorsquun mort est retrouvé sur un chemin descendant vers Briançon, que le refuge solidaire bat des records daccueil à Briançon, les seules préoccupations dArnaud Murgia sont la « sécurité et la tranquillité des habitants ». Soucieuses que lopinion publique nassocie « personnes exilées » avec « insalubrité », des associations organisent au printemps des randonnées pour ramasser les habits abandonnés sur les chemins pendant lhiver, effaçant ainsi les traces des passages migratoires et de leur répression, se laissant prendre au piège de linvisibilisation. De manière générale, le Briançonnais se muséifie. La « préservation » du patrimoine et de lenvironnement sert dexcuse pour définir où est-ce que les personnes en situation dexil peuvent être hébergées, et quels usages sont tolérés. Le tout étant que ce, celles et ceux qui dérangent ne se voient pas, en particulier pour les touristes, qui ont le champ libre et un accès privilégié à lusage, voire à lusure, du territoire.
Le mutisme est aussi à lœuvre chez des acteur.ices dépendant.es de subventions, ou de marchés publics. Parmi elleux, des acteur.ices de la solidarité, de la culture et du tourisme font attention à rester « neutres », « apolitiques », à ne pas faire de vagues, une posture qui participe au maintien de lordre frontalier. La société de transport Resalp, par exemple, a choisi de collaborer avec la police[^2]. Cest ainsi que les chauffeur.euses de la ligne Montgenèvre-Briançon demandent aujourdhui les documents didentité à certain.es passager.es non-blanc.hes suivant une pratique ouvertement raciste et totalement illégale.
A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge Solidaire de ranger le linge pendu à ses fenêtres. Ça ne fait pas propre, et il parait que les habitants de Briançon le « vivent mal ». Lorsquun mort est retrouvé sur un chemin descendant vers Briançon, que le refuge solidaire bat des records daccueil à Briançon, les seules préoccupations dArnaud Murgia sont la « sécurité et la tranquillité des habitants »[^3]. Soucieuses que lopinion publique nassocie « personnes exilées » avec « insalubrité », des associations organisent au printemps des randonnées pour ramasser les habits abandonnés sur les chemins pendant lhiver, effaçant ainsi les traces des passages migratoires et de leur répression, se laissant prendre au piège de linvisibilisation. De manière générale, le Briançonnais se muséifie. La « préservation » du patrimoine et de lenvironnement sert dexcuse pour définir où est-ce que les personnes en situation dexil peuvent être hébergées, et quels usages sont tolérés. Le tout étant que ce, celles et ceux qui dérangent ne se voient pas, en particulier pour les touristes, qui ont le champ libre et un accès privilégié à lusage, voire à lusure, du territoire.
## SOLIDARITÉ DE FAÇADE ## SOLIDARITÉ DE FAÇADE
@ -29,11 +33,18 @@ La mise en spectacle de lhospitalité et des maraudes crée dautre part un
Comment alors faire exister des récits qui permettent lémancipation des personnes en exil, et démontent les structures racistes ? A lévidence, la première chose à faire est de rendre visible la ségrégation raciste que produit la frontière, et que les autorités cherchent à cacher. Reste ensuite à imaginer, et diffuser, des imaginaires territoriaux qui favorisent lémergence despaces et de structures sociales émancipatrices. Comment alors faire exister des récits qui permettent lémancipation des personnes en exil, et démontent les structures racistes ? A lévidence, la première chose à faire est de rendre visible la ségrégation raciste que produit la frontière, et que les autorités cherchent à cacher. Reste ensuite à imaginer, et diffuser, des imaginaires territoriaux qui favorisent lémergence despaces et de structures sociales émancipatrices.
## ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QUELLES FORMENT DES FORÊTS !? ## ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QUELLES FORMENT DES FORÊTS !?[^4]
Lidée que tout le monde puisse circuler et sinstaller où bon lui semble peut paraître aussi absurde que le titre de cet article. Pourtant, lexpérience montre quil peut exister des structures sociales et des modes dorganisation collectifs qui permettent aux personnes exilées dêtre dans une posture dacteur.ices et de regagner de lautonomie. Des structures dans lesquelles la notion « détranger.e » ne fait que peu de sens et celle de « personne accueillie » est rapidement remplacée par celle de « cohabitant.e » ou de « voisin.e ». Comment seulement faire que ces possibles émancipateurs remplacent les conceptions racistes dans les imaginaires et les récits territoriaux ? Lidée que tout le monde puisse circuler et sinstaller où bon lui semble peut paraître aussi absurde que le titre de cet article. Pourtant, lexpérience montre quil peut exister des structures sociales et des modes dorganisation collectifs qui permettent aux personnes exilées dêtre dans une posture dacteur.ices et de regagner de lautonomie. Des structures dans lesquelles la notion « détranger.e » ne fait que peu de sens et celle de « personne accueillie » est rapidement remplacée par celle de « cohabitant.e » ou de « voisin.e ». Comment seulement faire que ces possibles émancipateurs remplacent les conceptions racistes dans les imaginaires et les récits territoriaux ?
Lutter pour lémancipation individuelle et collective cest redonner le pouvoir dagir aux personnes qui en ont été privées : un pouvoir dauto-détermination, mais aussi et surtout un pouvoir dagir politique. La politologue Fatima Ouassak, comme dautres théori-cien.nes de la pensée décoloniale, montre que rien de cela ne peut se faire sans laisser aux personnes exilées un « accès à la Terre », et la possibilité de vivre où elles le souhaitent. Souvent considérées comme des sources dinsécurité potentielles, les personnes immigrées ou considérées comme telles ne sont presque jamais associées aux choix politiques ou urbanistiques impactant leurs lieux de vie. Les politiques locales mises en place par messieurs Murgia ou Hermitte sont une déclinaison locale de la politique sécuritaire en œuvre au niveau national : elles cherchent, presque explicitement, à faire du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Les personnes exilées sont par défaut exclues, exceptionnellement tolérées, mais uniquement dans des lieux prévus à cet effet, qui incarnent limaginaire de la « bonne solidarité »; des lieux dans lesquels on peut être « accueilli », mais où on ne vit pas. Si lon suit la proposition de Fatima Ouassak, lenjeu nest pas doffrir aux personnes exilées un retour à la Terre au sens écolo-privilégié de lexpression, mais de leur rendre la possibilité dhabiter, comme elles veulent, et où elles veulent. Lutter pour lémancipation individuelle et collective cest redonner le pouvoir dagir aux personnes qui en ont été privées : un pouvoir dauto-détermination, mais aussi et surtout un pouvoir dagir politique. La politologue Fatima Ouassak, comme dautres théori-cien.nes de la pensée décoloniale, montre que rien de cela ne peut se faire sans laisser aux personnes exilées un « accès à la Terre », et la possibilité de vivre où elles le souhaitent. Souvent considérées comme des sources dinsécurité potentielles, les personnes immigrées ou considérées comme telles ne sont presque jamais associées aux choix politiques ou urbanistiques impactant leurs lieux de vie. Les politiques locales mises en place par messieurs Murgia ou Hermitte sont une déclinaison locale de la politique sécuritaire en œuvre au niveau national : elles cherchent, presque explicitement, à faire du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Les personnes exilées sont par défaut exclues, exceptionnellement tolérées, mais uniquement dans des lieux prévus à cet effet, qui incarnent limaginaire de la « bonne solidarité »; des lieux dans lesquels on peut être « accueilli », mais où on ne vit pas. Si lon suit la proposition de Fatima Ouassak, lenjeu nest pas doffrir aux personnes exilées un retour à la Terre au sens écolo-privilégié de lexpression, mais de leur rendre la possibilité dhabiter, comme elles veulent, et où elles veulent.
Là où « être accueilli.e » est un statut passif, « habiter » est une posture active et émancipatrice, tant individuellement que collectivement. En revenant sur lhistoire du marronnage la sécession des esclaves en Amérique et dans les archipels de lOcéan Indien le philosophe et anthropologue mahorais Dénètem Touam Bona montre limportance des « forêts » dans la reprise dune puissance dagir collective vers lémancipation. Le terme « forêt » désigne ici un espace où lon est libre dhabiter comme on le souhaite, un en-dehors des normes instituées où lon développe des pratiques de subsistance, de loisir ou de spiritualité, où lon crée des liens et où lon sorganise contre un système oppressif. Dans le Briançonnais, les espaces qui se rapprochent de cette idée se font rares. Il y a bien quelques squats, lieux collectifs ou associations où les personnes exilées ne sont pas contraintes par des normes quelles nont pas faites, mais ils sont rares, et surveillés de près. Là où « être accueilli.e » est un statut passif, « habiter » est une posture active et émancipatrice, tant individuellement que collectivement. En revenant sur lhistoire du marronnage la sécession des esclaves en Amérique et dans les archipels de lOcéan Indien le philosophe et anthropologue mahorais Dénètem Touam Bona montre limportance des « forêts » dans la reprise dune puissance dagir collective vers lémancipation. Le terme « forêt » désigne ici un espace où lon est libre dhabiter comme on le souhaite, un en-dehors des normes instituées où lon développe des pratiques de subsistance, de loisir ou de spiritualité, où lon crée des liens et où lon sorganise contre un système oppressif. Dans le Briançonnais, les espaces qui se rapprochent de cette idée se font rares. Il y a bien quelques squats, lieux collectifs ou associations où les personnes exilées ne sont pas contraintes par des normes quelles nont pas faites, mais ils sont rares, et surveillés de près.
La production de récits territoriaux émancipateurs reste ouverte, mais se dessinent déjà quelques pistes de réflexion : laisser la parole aux premier.es concerné.es, et enquêter à partir dexpériences qui montrent tant les discriminations que les émancipations ; montrer comment se construisent ces expériences, ces espaces et ces structures sans en cacher les limites ou les difficultés. Lenjeu est de désarmer les récits qui hiérarchisent les vies entre elles, invisibilisent une partie de la population et marginalisent les pensées alternatives, en multipliant les récits dans lesquels les individus choisissent dhabiter, plutôt quacceptent dêtre accueillis. La production de récits territoriaux émancipateurs reste ouverte, mais se dessinent déjà quelques pistes de réflexion : laisser la parole aux premier.es concerné.es, et enquêter[^5] à partir dexpériences qui montrent tant les discriminations que les émancipations ; montrer comment se construisent ces expériences, ces espaces et ces structures sans en cacher les limites ou les difficultés. Lenjeu est de désarmer les récits qui hiérarchisent les vies entre elles, invisibilisent une partie de la population et marginalisent les pensées alternatives, en multipliant les récits dans lesquels les individus choisissent dhabiter, plutôt quacceptent dêtre accueillis.
[^1]: Hermitte Guy, _Montgenèvre - Un siècle de l'histoire du ski de 1907 à 2007_, (2007), Decitre
[^2]: Samar, _Attirer les touristes, collaborer, se taire : comment la station de Montgenèvre protège l'ordre de la frontière_, (2019) Mémoire de Master 2, ENS Lyon (disponible en ligne sur [derootees.wordpress.com](https://derootees.wordpress.com/))
[^3]: Dauphiné Libéré, 16 août 2023
[^4]: Ne cherchez pas de sens à ce titre sinon la volonté de lier l'idée de « forêt », référence aux espaces où l'on retrouve de la puissance aux « herbes sauvages » symbole culturel de la lutte dans la vallée de la Clarée, et de dire que ce n'est pas parce que cela ne rentre pas dans les cadres de pensée existant que l'on ne se battra pas pour la liberté de circulation et d'installation des personnes.
[^5]: Enquêter dans le sens de s'intéresser aux premier⋅es concerné⋅es, de leur donner l'opportunité d'exprimer leur vécu, et de mettre en évidence les mécanismes socio-politiques qui réduisent leur pouvoir d'agir individuel et collectif.

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Title: Contact Title: Contact
Author: ravages Author: ravages
Ici les contacts. On aimerait bien que d'autres personnes écrivent, parlent, témoignent dans les prochains numéros. Si vous avez des questions ou des propositions vous pouvez nous contacter à l'adresse : _revue.ravages@proton.me_

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<h1>Contact</h1> <h1>Contact</h1>
<p>Ici les contacts.</p> <p>On aimerait bien que d'autres personnes écrivent, parlent, témoignent dans les prochains numéros. Si vous avez des questions ou des propositions vous pouvez nous contacter à l'adresse : <em>revue.ravages@proton.me</em></p>
</section> </section>

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<p>Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance à se dissoudre dans notre vécu ordinaire, emportant avec elle les personnes qui en subissent la ségrégation. Cet article veut montrer que cette invisibilisation ne va pas de soi, quelle est le résultat dimaginaires portés par des acteur.ices locaux qui font du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Inhabitable dans le sens où les personnes exilées sont au mieux considérées comme des « invités », au pire comme une masse nuisible, mais jamais ou trop rarement comme des personnes libres et fortes dun pouvoir dagir individuel et collectif. Des expériences collectives locales, allant des squats à certaines associations visant lémancipation des personnes apparaissent alors comme de potentielles sources dimaginaires territoriaux qui ninvisibilisent plus les exilé.es mais au contraire leur redonnent un peu dautonomie.</p> <p>Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance à se dissoudre dans notre vécu ordinaire, emportant avec elle les personnes qui en subissent la ségrégation. Cet article veut montrer que cette invisibilisation ne va pas de soi, quelle est le résultat dimaginaires portés par des acteur.ices locaux qui font du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Inhabitable dans le sens où les personnes exilées sont au mieux considérées comme des « invités », au pire comme une masse nuisible, mais jamais ou trop rarement comme des personnes libres et fortes dun pouvoir dagir individuel et collectif. Des expériences collectives locales, allant des squats à certaines associations visant lémancipation des personnes apparaissent alors comme de potentielles sources dimaginaires territoriaux qui ninvisibilisent plus les exilé.es mais au contraire leur redonnent un peu dautonomie.</p>
<p>Non-respect des procédures de demande dasile par la police de lair et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places dhébergement durgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que lon peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation.</p> <p>Non-respect des procédures de demande dasile par la police de lair et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places dhébergement durgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que lon peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation.</p>
<h2>INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE !</h2> <h2>INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE !</h2>
<p>En 2007, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et ancien officier de la PAF, écrivait : « Dépassant les clivages humains qui ont conduit aux pires atrocités, Montgenèvre, par sa spécificité de commune transfrontalière, tend la main à ses voisins italiens pour créer ensemble une coopération au service des populations et de leur maintien en montagne. Ce lien va perdurer au-delà des années pour créer lun des plus beaux domaines skiables internationaux dEurope : La Voie Lactée ». M. Hermitte loue le «lien», « tend la main », coopère, comme si lépoque de la séparation des peuples était révolue. Pourtant, à Montgenèvre aujourdhui, la coopération entre la France et lItalie est surtout commerciale et policière. Un golf, une station de ski et une macabre partie de ping-pong avec les personnes exilées ; voilà les seules choses réellement transfrontalières à Montgenèvre. Le local de « mise à labri » où sont enfermées les personnes arrêtées alors quelles tentaient de traverser la frontière, est un Algeco dissimulé derrière le poste de police. Le vocabulaire officiel est pour le moins trompeur, car cette « mise à labri » se traduit quasi systématiquement par lenfermement illégal et le refoulement en Italie des personnes exilées. La fraternité prônée par M. Hermitte ne vaut quen tant quelle promeut le tourisme et efface dun même geste les questions migratoires. Ces mots datent. Mais aujourdhui encore, léquipe municipale montgenèvroise continue de louer le caractère « transfrontalier » de sa station, tout en réussissant lexploit de rester muette sur les enjeux migratoires, alors même que la situation locale fait régulièrement lobjet dune couverture nationale.</p> <p>En 2007, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et ancien officier de la PAF, écrivait : « Dépassant les clivages humains qui ont conduit aux pires atrocités, Montgenèvre, par sa spécificité de commune transfrontalière, tend la main à ses voisins italiens pour créer ensemble une coopération au service des populations et de leur maintien en montagne. Ce lien va perdurer au-delà des années pour créer lun des plus beaux domaines skiables internationaux dEurope : La Voie Lactée ».<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup></p>
<p>Le mutisme est aussi à lœuvre chez des acteur.ices dépendant.es de subventions, ou de marchés publics. Parmi elleux, des acteur.ices de la solidarité, de la culture et du tourisme font attention à rester « neutres », « apolitiques », à ne pas faire de vagues, une posture qui participe au maintien de lordre frontalier. La société de transport Resalp, par exemple, a choisi de collaborer avec la police. Cest ainsi que les chauffeur.euses de la ligne Montgenèvre-Briançon demandent aujourdhui les documents didentité à certain.es passager.es non-blanc.hes suivant une pratique ouvertement raciste et totalement illégale. <p>M. Hermitte loue le «lien», « tend la main », coopère, comme si lépoque de la séparation des peuples était révolue. Pourtant, à Montgenèvre aujourdhui, la coopération entre la France et lItalie est surtout commerciale et policière. Un golf, une station de ski et une macabre partie de ping-pong avec les personnes exilées ; voilà les seules choses réellement transfrontalières à Montgenèvre. Le local de « mise à labri » où sont enfermées les personnes arrêtées alors quelles tentaient de traverser la frontière, est un Algeco dissimulé derrière le poste de police. Le vocabulaire officiel est pour le moins trompeur, car cette « mise à labri » se traduit quasi systématiquement par lenfermement illégal et le refoulement en Italie des personnes exilées. La fraternité prônée par M. Hermitte ne vaut quen tant quelle promeut le tourisme et efface dun même geste les questions migratoires. Ces mots datent. Mais aujourdhui encore, léquipe municipale montgenèvroise continue de louer le caractère « transfrontalier » de sa station, tout en réussissant lexploit de rester muette sur les enjeux migratoires, alors même que la situation locale fait régulièrement lobjet dune couverture nationale.</p>
A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge Solidaire de ranger le linge pendu à ses fenêtres. Ça ne fait pas propre, et il parait que les habitants de Briançon le « vivent mal ». Lorsquun mort est retrouvé sur un chemin descendant vers Briançon, que le refuge solidaire bat des records daccueil à Briançon, les seules préoccupations dArnaud Murgia sont la « sécurité et la tranquillité des habitants ». Soucieuses que lopinion publique nassocie « personnes exilées » avec « insalubrité », des associations organisent au printemps des randonnées pour ramasser les habits abandonnés sur les chemins pendant lhiver, effaçant ainsi les traces des passages migratoires et de leur répression, se laissant prendre au piège de linvisibilisation. De manière générale, le Briançonnais se muséifie. La « préservation » du patrimoine et de lenvironnement sert dexcuse pour définir où est-ce que les personnes en situation dexil peuvent être hébergées, et quels usages sont tolérés. Le tout étant que ce, celles et ceux qui dérangent ne se voient pas, en particulier pour les touristes, qui ont le champ libre et un accès privilégié à lusage, voire à lusure, du territoire.</p> <p>Le mutisme est aussi à lœuvre chez des acteur.ices dépendant.es de subventions, ou de marchés publics. Parmi elleux, des acteur.ices de la solidarité, de la culture et du tourisme font attention à rester « neutres », « apolitiques », à ne pas faire de vagues, une posture qui participe au maintien de lordre frontalier. La société de transport Resalp, par exemple, a choisi de collaborer avec la police<sup id="fnref:2"><a class="footnote-ref" href="#fn:2">2</a></sup>. Cest ainsi que les chauffeur.euses de la ligne Montgenèvre-Briançon demandent aujourdhui les documents didentité à certain.es passager.es non-blanc.hes suivant une pratique ouvertement raciste et totalement illégale.</p>
<p>A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge Solidaire de ranger le linge pendu à ses fenêtres. Ça ne fait pas propre, et il parait que les habitants de Briançon le « vivent mal ». Lorsquun mort est retrouvé sur un chemin descendant vers Briançon, que le refuge solidaire bat des records daccueil à Briançon, les seules préoccupations dArnaud Murgia sont la « sécurité et la tranquillité des habitants »<sup id="fnref:3"><a class="footnote-ref" href="#fn:3">3</a></sup>. Soucieuses que lopinion publique nassocie « personnes exilées » avec « insalubrité », des associations organisent au printemps des randonnées pour ramasser les habits abandonnés sur les chemins pendant lhiver, effaçant ainsi les traces des passages migratoires et de leur répression, se laissant prendre au piège de linvisibilisation. De manière générale, le Briançonnais se muséifie. La « préservation » du patrimoine et de lenvironnement sert dexcuse pour définir où est-ce que les personnes en situation dexil peuvent être hébergées, et quels usages sont tolérés. Le tout étant que ce, celles et ceux qui dérangent ne se voient pas, en particulier pour les touristes, qui ont le champ libre et un accès privilégié à lusage, voire à lusure, du territoire.</p>
<h2>SOLIDARITÉ DE FAÇADE</h2> <h2>SOLIDARITÉ DE FAÇADE</h2>
<p>Les mécanismes dinvisibilisation de la frontière sont dautant plus efficaces quils sont secondés par une redoutable stratégie de communication qui affiche le Briançonnais comme un territoire ouvert et accueillant, une stratégie consistant à créer une image officielle convenable, voire séduisante, et à limiter lexpression de récits alternatifs.</p> <p>Les mécanismes dinvisibilisation de la frontière sont dautant plus efficaces quils sont secondés par une redoutable stratégie de communication qui affiche le Briançonnais comme un territoire ouvert et accueillant, une stratégie consistant à créer une image officielle convenable, voire séduisante, et à limiter lexpression de récits alternatifs.</p>
<p>Une fresque murale représentant une personne noire qui traverse des montagnes, un festival se voulant « polychrome » affichant une programmation éclectique de musiques du monde, une station de ski transfrontalière : si on ne sait pas ce qui se trame autour de la frontière, le Briançonnais pourrait passer pour un territoire ouvert, presque solidaire. Après tout, le maire de Briançon et le préfet du département saffichent publiquement en soutien dun nouveau centre de vacances pour des personnes en situation de précarité. Cest que ça doit être des gars bien !</p> <p>Une fresque murale représentant une personne noire qui traverse des montagnes, un festival se voulant « polychrome » affichant une programmation éclectique de musiques du monde, une station de ski transfrontalière : si on ne sait pas ce qui se trame autour de la frontière, le Briançonnais pourrait passer pour un territoire ouvert, presque solidaire. Après tout, le maire de Briançon et le préfet du département saffichent publiquement en soutien dun nouveau centre de vacances pour des personnes en situation de précarité. Cest que ça doit être des gars bien !</p>
@ -43,11 +44,31 @@ A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge
<p>Nous opposons assez facilement à limage de montagne-frontière celle dune montagne-refuge, un récit qui sappuie sur limaginaire montagnard, et quelques formules de bon sens : « on nabandonne pas quelquun en montagne » ; « en refuge, on ne laisse personne dormir dehors, quitte à dormir sur et sous les tables », etc. Si ce récit peut correspondre à une certaine réalité, il comporte également un certain nombre de dangers. En ne nommant pas les violences racistes et sécuritaires qui rendent ces « refuges » nécessaires, il empêche de sattaquer aux problèmes de fond. Il fait aussi de la montagne un territoire dexception par rapport aux autres territoires, alors même que, par principe, la liberté de circulation devrait être défendue partout.</p> <p>Nous opposons assez facilement à limage de montagne-frontière celle dune montagne-refuge, un récit qui sappuie sur limaginaire montagnard, et quelques formules de bon sens : « on nabandonne pas quelquun en montagne » ; « en refuge, on ne laisse personne dormir dehors, quitte à dormir sur et sous les tables », etc. Si ce récit peut correspondre à une certaine réalité, il comporte également un certain nombre de dangers. En ne nommant pas les violences racistes et sécuritaires qui rendent ces « refuges » nécessaires, il empêche de sattaquer aux problèmes de fond. Il fait aussi de la montagne un territoire dexception par rapport aux autres territoires, alors même que, par principe, la liberté de circulation devrait être défendue partout.</p>
<p>La mise en spectacle de lhospitalité et des maraudes crée dautre part une figure de héros-solidaire dont dépendent les personnes en exil pour arriver à bon port. Cest-à-dire quon naturalise lidée selon laquelle les « solidaires » seraient indispensables aux personnes en exil, ce qui revient à les priver de leur capacité daction et de leur autonomie. On recrée ainsi une situation de domination, dans laquelle le héros-solidaire confisque le pouvoir au lieu de contribuer à lémancipation des personnes quil prétend aider.</p> <p>La mise en spectacle de lhospitalité et des maraudes crée dautre part une figure de héros-solidaire dont dépendent les personnes en exil pour arriver à bon port. Cest-à-dire quon naturalise lidée selon laquelle les « solidaires » seraient indispensables aux personnes en exil, ce qui revient à les priver de leur capacité daction et de leur autonomie. On recrée ainsi une situation de domination, dans laquelle le héros-solidaire confisque le pouvoir au lieu de contribuer à lémancipation des personnes quil prétend aider.</p>
<p>Comment alors faire exister des récits qui permettent lémancipation des personnes en exil, et démontent les structures racistes ? A lévidence, la première chose à faire est de rendre visible la ségrégation raciste que produit la frontière, et que les autorités cherchent à cacher. Reste ensuite à imaginer, et diffuser, des imaginaires territoriaux qui favorisent lémergence despaces et de structures sociales émancipatrices.</p> <p>Comment alors faire exister des récits qui permettent lémancipation des personnes en exil, et démontent les structures racistes ? A lévidence, la première chose à faire est de rendre visible la ségrégation raciste que produit la frontière, et que les autorités cherchent à cacher. Reste ensuite à imaginer, et diffuser, des imaginaires territoriaux qui favorisent lémergence despaces et de structures sociales émancipatrices.</p>
<h2>ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QUELLES FORMENT DES FORÊTS !?</h2> <h2>ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QUELLES FORMENT DES FORÊTS !?<sup id="fnref:4"><a class="footnote-ref" href="#fn:4">4</a></sup></h2>
<p>Lidée que tout le monde puisse circuler et sinstaller où bon lui semble peut paraître aussi absurde que le titre de cet article. Pourtant, lexpérience montre quil peut exister des structures sociales et des modes dorganisation collectifs qui permettent aux personnes exilées dêtre dans une posture dacteur.ices et de regagner de lautonomie. Des structures dans lesquelles la notion « détranger.e » ne fait que peu de sens et celle de « personne accueillie » est rapidement remplacée par celle de « cohabitant.e » ou de « voisin.e ». Comment seulement faire que ces possibles émancipateurs remplacent les conceptions racistes dans les imaginaires et les récits territoriaux ?</p> <p>Lidée que tout le monde puisse circuler et sinstaller où bon lui semble peut paraître aussi absurde que le titre de cet article. Pourtant, lexpérience montre quil peut exister des structures sociales et des modes dorganisation collectifs qui permettent aux personnes exilées dêtre dans une posture dacteur.ices et de regagner de lautonomie. Des structures dans lesquelles la notion « détranger.e » ne fait que peu de sens et celle de « personne accueillie » est rapidement remplacée par celle de « cohabitant.e » ou de « voisin.e ». Comment seulement faire que ces possibles émancipateurs remplacent les conceptions racistes dans les imaginaires et les récits territoriaux ?</p>
<p>Lutter pour lémancipation individuelle et collective cest redonner le pouvoir dagir aux personnes qui en ont été privées : un pouvoir dauto-détermination, mais aussi et surtout un pouvoir dagir politique. La politologue Fatima Ouassak, comme dautres théori-cien.nes de la pensée décoloniale, montre que rien de cela ne peut se faire sans laisser aux personnes exilées un « accès à la Terre », et la possibilité de vivre où elles le souhaitent. Souvent considérées comme des sources dinsécurité potentielles, les personnes immigrées ou considérées comme telles ne sont presque jamais associées aux choix politiques ou urbanistiques impactant leurs lieux de vie. Les politiques locales mises en place par messieurs Murgia ou Hermitte sont une déclinaison locale de la politique sécuritaire en œuvre au niveau national : elles cherchent, presque explicitement, à faire du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Les personnes exilées sont par défaut exclues, exceptionnellement tolérées, mais uniquement dans des lieux prévus à cet effet, qui incarnent limaginaire de la « bonne solidarité »; des lieux dans lesquels on peut être « accueilli », mais où on ne vit pas. Si lon suit la proposition de Fatima Ouassak, lenjeu nest pas doffrir aux personnes exilées un retour à la Terre au sens écolo-privilégié de lexpression, mais de leur rendre la possibilité dhabiter, comme elles veulent, et où elles veulent.</p> <p>Lutter pour lémancipation individuelle et collective cest redonner le pouvoir dagir aux personnes qui en ont été privées : un pouvoir dauto-détermination, mais aussi et surtout un pouvoir dagir politique. La politologue Fatima Ouassak, comme dautres théori-cien.nes de la pensée décoloniale, montre que rien de cela ne peut se faire sans laisser aux personnes exilées un « accès à la Terre », et la possibilité de vivre où elles le souhaitent. Souvent considérées comme des sources dinsécurité potentielles, les personnes immigrées ou considérées comme telles ne sont presque jamais associées aux choix politiques ou urbanistiques impactant leurs lieux de vie. Les politiques locales mises en place par messieurs Murgia ou Hermitte sont une déclinaison locale de la politique sécuritaire en œuvre au niveau national : elles cherchent, presque explicitement, à faire du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Les personnes exilées sont par défaut exclues, exceptionnellement tolérées, mais uniquement dans des lieux prévus à cet effet, qui incarnent limaginaire de la « bonne solidarité »; des lieux dans lesquels on peut être « accueilli », mais où on ne vit pas. Si lon suit la proposition de Fatima Ouassak, lenjeu nest pas doffrir aux personnes exilées un retour à la Terre au sens écolo-privilégié de lexpression, mais de leur rendre la possibilité dhabiter, comme elles veulent, et où elles veulent.</p>
<p>Là où « être accueilli.e » est un statut passif, « habiter » est une posture active et émancipatrice, tant individuellement que collectivement. En revenant sur lhistoire du marronnage la sécession des esclaves en Amérique et dans les archipels de lOcéan Indien le philosophe et anthropologue mahorais Dénètem Touam Bona montre limportance des « forêts » dans la reprise dune puissance dagir collective vers lémancipation. Le terme « forêt » désigne ici un espace où lon est libre dhabiter comme on le souhaite, un en-dehors des normes instituées où lon développe des pratiques de subsistance, de loisir ou de spiritualité, où lon crée des liens et où lon sorganise contre un système oppressif. Dans le Briançonnais, les espaces qui se rapprochent de cette idée se font rares. Il y a bien quelques squats, lieux collectifs ou associations où les personnes exilées ne sont pas contraintes par des normes quelles nont pas faites, mais ils sont rares, et surveillés de près.</p> <p>Là où « être accueilli.e » est un statut passif, « habiter » est une posture active et émancipatrice, tant individuellement que collectivement. En revenant sur lhistoire du marronnage la sécession des esclaves en Amérique et dans les archipels de lOcéan Indien le philosophe et anthropologue mahorais Dénètem Touam Bona montre limportance des « forêts » dans la reprise dune puissance dagir collective vers lémancipation. Le terme « forêt » désigne ici un espace où lon est libre dhabiter comme on le souhaite, un en-dehors des normes instituées où lon développe des pratiques de subsistance, de loisir ou de spiritualité, où lon crée des liens et où lon sorganise contre un système oppressif. Dans le Briançonnais, les espaces qui se rapprochent de cette idée se font rares. Il y a bien quelques squats, lieux collectifs ou associations où les personnes exilées ne sont pas contraintes par des normes quelles nont pas faites, mais ils sont rares, et surveillés de près.</p>
<p>La production de récits territoriaux émancipateurs reste ouverte, mais se dessinent déjà quelques pistes de réflexion : laisser la parole aux premier.es concerné.es, et enquêter à partir dexpériences qui montrent tant les discriminations que les émancipations ; montrer comment se construisent ces expériences, ces espaces et ces structures sans en cacher les limites ou les difficultés. Lenjeu est de désarmer les récits qui hiérarchisent les vies entre elles, invisibilisent une partie de la population et marginalisent les pensées alternatives, en multipliant les récits dans lesquels les individus choisissent dhabiter, plutôt quacceptent dêtre accueillis.</p> <p>La production de récits territoriaux émancipateurs reste ouverte, mais se dessinent déjà quelques pistes de réflexion : laisser la parole aux premier.es concerné.es, et enquêter<sup id="fnref:5"><a class="footnote-ref" href="#fn:5">5</a></sup> à partir dexpériences qui montrent tant les discriminations que les émancipations ; montrer comment se construisent ces expériences, ces espaces et ces structures sans en cacher les limites ou les difficultés. Lenjeu est de désarmer les récits qui hiérarchisent les vies entre elles, invisibilisent une partie de la population et marginalisent les pensées alternatives, en multipliant les récits dans lesquels les individus choisissent dhabiter, plutôt quacceptent dêtre accueillis.</p>
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<p>Hermitte Guy, <em>Montgenèvre - Un siècle de l'histoire du ski de 1907 à 2007</em>, (2007), Decitre&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
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<p>Samar, <em>Attirer les touristes, collaborer, se taire : comment la station de Montgenèvre protège l'ordre de la frontière</em>, (2019) Mémoire de Master 2, ENS Lyon (disponible en ligne sur <a href="https://derootees.wordpress.com/">derootees.wordpress.com</a>)&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
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<p>Dauphiné Libéré, 16 août 2023&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text">&#8617;</a></p>
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<p>Ne cherchez pas de sens à ce titre sinon la volonté de lier l'idée de « forêt », référence aux espaces où l'on retrouve de la puissance aux « herbes sauvages » symbole culturel de la lutte dans la vallée de la Clarée, et de dire que ce n'est pas parce que cela ne rentre pas dans les cadres de pensée existant que l'on ne se battra pas pour la liberté de circulation et d'installation des personnes.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:4" title="Jump back to footnote 4 in the text">&#8617;</a></p>
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<p>Enquêter dans le sens de s'intéresser aux premier⋅es concerné⋅es, de leur donner l'opportunité d'exprimer leur vécu, et de mettre en évidence les mécanismes socio-politiques qui réduisent leur pouvoir d'agir individuel et collectif.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:5" title="Jump back to footnote 5 in the text">&#8617;</a></p>
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