diff --git a/content/01/jauge_du_refuge.md b/content/01/jauge_du_refuge.md index 8d00ff9..d5e3053 100644 --- a/content/01/jauge_du_refuge.md +++ b/content/01/jauge_du_refuge.md @@ -10,19 +10,19 @@ Le nouveau Refuge est plus grand, et plus cher aussi. Derrière l’achat et la Le but de cet article n’est pas de dire : refusons l’argent des patrons-philanthropes et organisons-nous pour l’accueil digne et autogéré des personnes exilées – même si on dit ça un peu quand même – mais de comprendre un peu mieux comment les protocoles qui régulent l’hospitalité affectent l’accueil et le traitement des personnes exilées au Refuge. Et de dénoncer, au passage, certains abus vraiment intolérables. -## ARRÊTEZ D’ARRIVER +### ARRÊTEZ D’ARRIVER « Non mais tu comprends pas, si personne ne part, personne ne peut arriver non plus ! Et puis y’a des questions de sécurité aussi : si le bâtiment crame on fait quoi ? Si on dépasse la jauge l’assurance ne paye pas, et puis même, au-delà des normes, tu te verrais dormir dans le réfectoire, toi ? Y’a du bruit tout le temps, c’est pas tenable, mieux vaut les faire partir, on sait pas où, mieux vaut éviter le pire ! Et puis le Russe il a des cernes on dirait un dindon. »[^2] Il est plutôt brouillon l’épouvantail qu’on agite au Refuge pour pousser les personnes exilées vers la sortie : on y trouve des enjeux d’argent et de sûreté tout entremêlés de soucis du bien-être et de la dignité d’autrui[^3]. Il nous arrive aussi parfois d’entendre la théorie de l’appel d’air, dans sa version pour les nul.les, selon laquelle si on rajoute trois lits de camp dans le couloir, il y aurait immédiatement et immanquablement trois personnes pour quitter le Bangladesh en direction de Briançon. De toutes ces règles à respecter et faire respecter ressort une impression de crise permanente. C’est-à-dire qu’à partir du moment où les yeux – du conseil d’administration, des salarié.es et des bénévoles – sont rivés sur la jauge-qu’il-ne-faut-pas-dépasser, les personnes qui restent et celles qui arrivent – toutes celles qui menacent malgré elles de faire péter la jauge – deviennent perçues et traitées comme des problèmes à gérer. Les personnes exilées qui arrivent au Refuge sont donc accueillies, certes, mais accueillies comme de potentielles futures menaces, des réfractaires au départ, les empêcheurs et empêcheuses du bon fonctionnement du Refuge en général et de l’accueil (qui porte mal son nom) en particulier. Ce triste arrangement de conscience n’a pas l’air de troubler plus que ça les membres du conseil d’administration. A nos critiques, ces gens-là répondent généralement avec agacement qu’il n’y a pas d’autres solutions et que nous ne servons donc à rien, avec notre empathie et notre idéalisme que l’urgence perpétuelle ne parvient pas à anesthésier. Parce que LA solution, tenez-vous bien, nous l’avons très claire en tête, elle est simple comme deux et deux font quatre, irréfutable – mais on ne la révélera qu’à la fin de cet article.[^4] -## LA TYRANNIE DU PRÉSENT +### LA TYRANNIE DU PRÉSENT Les discours de crise ont tant été utilisés comme moteurs d’indignation que l’espace public est devenu largement saturé d’urgences qui finalement peuvent attendre, et de chocs qui ne choquent plus. En d’autres termes, les discours de crise sont contre-révolutionnaires en tant qu’ils permettent de stabiliser une condition existante plutôt que de minimiser des formes de violences quotidiennes. La crise reproduit des institutions, des pratiques et des réalités plus qu’elle n’interroge la manière dont ces crises sont advenues, ou comment on pourrait en sortir[^5]. Les personnes qui, au refuge comme ailleurs, nourrissent un sentiment d’urgence permanente se font les complices, volontaires ou non, d’un discours qui, tant qu’il nous fait tourner en rond, nous empêche de nous demander pourquoi, au fait, est-ce qu’on tourne en rond. Etat d’urgence et dérive gestionnaire sont les écueils contre lesquels s’écrase toute possibilité de réflexion autour de sujets pourtant centraux : la responsabilité du néocolonialisme dans les grands mouvements migratoires ; le rôle du capitalisme dans les dérèglements climatiques à l’origine de ces mêmes phénomènes ; la possibilité d’un accueil digne dans une société qui refuse de remettre en question la propriété privée, la croissance économique, le plein emploi et le salariat. Tant de choses, une fois réintégrées dans le débat, pourraient servir de garde-fou (voire d’antidote) contre le paternalisme et la maltraitance de salarié.es constamment au bord du burn-out. Au Refuge, la crise ça veut dire pas le temps de m’intéresser à ton passé, toi que j’accueille, et pas le temps non plus de me pencher sur ton futur. Il n’y a qu’ici et maintenant que tu existes, et tu ressembles plus à un colis encombrant qu’à une personne comme moi et mes potes. Le présentisme c’est un peu la maltraitance ordinaire : peu importe d’où tu viens et où tu vas, comme c’est l’urgence ici, tant que tu y es tu seras un parmi d’autres, à nos yeux d’accueillant.es. Pas le temps d’écouter tes problèmes, et si par hasard tu deviens connu.e de moi c’est que t’auras merdé quelque part, tu te seras fait remarquer et probablement pas pour les bonnes raisons, t’auras eu le culot de faire des vagues alors que franchement, t’as pas vu comme c’est compliqué déjà la vie ici, t’étais vraiment obligé de rajouter des problèmes, sérieux ?[^6]. Parler de crise au Refuge c’est, souvent, éviter de remettre en question des pratiques d’accueil qui traitent les personnes accueillies comme des indésirables et forcent leur départ vers des futurs précaires. -## INDÉSIRABLES +### INDÉSIRABLES Mais qui part quand la jauge est pleine ? Qui est-ce qu’on met à la porte en premier et à qui est-ce qu’on accorde un peu de répit ? Ces questions quotidiennes – étendre ou non la durée de l’accueil, enfreindre ou pas le protocole qui stipule que chaque personne accueillie ne peut rester que trois jours et trois nuits – révèlent souvent une hiérarchie qui classe les personnes exilées en fonction de leur vulnérabilité (perçue). Les familles avec enfants, les femmes seules et les femmes enceintes sont souvent désignées comme plus vulnérables que les hommes seuls, et donc plus à même de pouvoir rester. Mais ces catégories sont héritées de logiques gouvernementales. Ce sont celles qui déterminent l’accueil au 115 ou dans les Centres d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA). Les semeur.euses de trouble, les accros au Lyrica, celles et ceux qui s’attardent un peu trop, qui commencent à se sentir comme chez elleux, et sortent de l’anonymat qui leur était assigné, en revanche, sont les premier.es à subir des pressions au départ. Grâce à cette belle contorsion logique, celles et ceux qui n’ont vraiment nulle part où aller, sont celles et ceux qu’on fout dehors avec le moins de scrupules. C’est-à-dire qu’une personne accueillie a plus de chance de devoir partir si elle va à l’encontre des normes de vulnérabilité qu’on lui assigne que si elle incarne une certaine image de la migration, selon laquelle un.e migrant.e se doit d’être isolé.e, vulnérable et obéissante pour mériter l’accueil. @@ -32,11 +32,11 @@ Voici quelques extraits de dialogues qu’on a pu entendre dans le bureau de l Ou encore, à une personne en manque de Lyrica: « Tu veux ta dose ? Il faut que tu achètes un billet pour Grenoble et je vais te la donner, ta dose ! »[^7] -## FAUT CONCLURE +### FAUT CONCLURE Accueillir c’est aussi contrôler. C’est se rendre responsable de quand part qui et parfois où, sans trop savoir pourquoi. En ce sens, la contrainte ne prend pas toujours la forme d’une interdiction. Au Refuge bien souvent la contrainte oriente, elle rassure, elle encourage, elle donne à des futurs flous des contours nets pour les faire advenir vite, très vite, parce qu’il faut faire de la place. La contrainte se fait douce[^8], quand elle n’est pas ouvertement horrible. -## LA SOLUTION (PUISQU’ON L’A PROMISE) +### LA SOLUTION (PUISQU’ON L’A PROMISE) La solution que nous proposons a l’avantage de s’adapter à presque tous les picotements de conscience (réels ou factices) des personnes qui détiennent un pouvoir sur les autres. Elle consiste à simplement arrêter de l’exercer, ce pouvoir, à regarder un peu ce qui se passe, et à prendre des notes si possible. La jauge va exploser de mai à la mi-octobre[^9], comme l’année passée, et celle d’avant encore, ce qui pourrait provoquer autre chose que la fin du monde. Les portes des trois étages vides pourraient finir par s’ouvrir, par exemple. Celleux parmi les propriétaires et les membres du CA qui voudraient les refermer seraient obligé.es de s’exposer publiquement, elleux et les limites si mesquines de leur charité. Un tel geste pourrait même faire gagner un peu de sympathie à l’institution épuisée qu’est le CA du Refuge, dont la politique demeure incertaine, parfois suspecte, et toujours décevante, voire un peu collabo, comme quand ses membres s’époumonent dans les oreilles du préfet, des député.es et des ministres, qu’enfin y’en a marre, il faut agir, y’a trop de migrant.es par chez nous. Il pourrait arriver plein de choses, sérieux. Le « russe » pourrait même retrouver le sommeil, ou un.e bonne avocat.e. diff --git a/content/01/lexique_frontiere.md b/content/01/lexique_frontiere.md index b54ea12..6172d41 100644 --- a/content/01/lexique_frontiere.md +++ b/content/01/lexique_frontiere.md @@ -7,7 +7,7 @@ Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y tr Le rétablissement des contrôles d’identité et le renforcement des effectifs policiers le long de la frontière franco-italienne ont fait de « la frontière » un objet ordinaire dans le Briançonnais. Pour les mi-litant.es du coin, « la frontière » est une réalité quotidienne : on l’arpente, on la dénonce, on essaye, le plus possible, de la rendre inutile, mais jamais – ou presque – on ne remet en question son existence. La frontière fait partie du décor. Et si elle apparait sur nos cartes de randonnée comme une ligne nette et bien tracée, peu de choses indiquent, dans nos paysages frontaliers, qu’ici se trouve la limite d’un territoire. A la différence des murs de barbelés érigés en Grèce, en Espagne ou en Hongrie, la frontière franco-italienne reste relativement intangible. Et pourtant, « la frontière » structure mouvements, pensées et luttes avec autant d’évidence que si c’était un mur. C’est pour détricoter un peu de ce sens commun que nous analysons ici le mot « frontière », les ambitions territoriales qu’il reflète et les réalités sociales qu’il impose. -## FICTION JURIDIQUE +### FICTION JURIDIQUE La frontière est avant tout une invention juridique, qui délimite dans l’espace là où s’applique le droit national, et là où il ne s’applique pas. Elle est légitimée chaque fois que des accords bilatéraux ou internationaux viennent réguler les relations entre les Etats, et donc leur existence. Entre l’Italie et la France, c’est l’accord de Chambéry qui régule les relations frontalières et facilite, entre autres, le refoulement des personnes exilées quand elles se font arrêter. Mais comme elle n’est ni immuable, ni nécessaire, la frontière en tant que construction juridique change assez régulièrement. A la fin des années 1980, la construction de l’espace Schengen a « ouvert » la frontière entre la France et l’Italie en mettant fin aux contrôles d’identité lorsqu’une personne passait d’un territoire à un autre. Une exception à cette règle persiste depuis en droit pénal : au sein d’une zone frontalière de 20km à partir de la ligne officielle, une personne peut toujours faire face à un contrôle d’identité, si elle est recherchée ou si elle commet une infraction. @@ -17,7 +17,7 @@ Quant à celles et ceux qui ont le malheur d’arriver tout droit de plus loin Fiction juridique, la frontière n’en est pas moins réelle pour celles et ceux qui la traversent chaque jour sans la bonne couleur de peau, ou à défaut les bons papiers. Et si elle reste une construction historique relativement récente, c’est dans le registre de l’universel que la frontière puise sa légitimité, jusqu’à devenir une évidence territoriale, une sorte de sens commun dans la manière dont nous envisageons l’espace. Pourtant, et c’est ce qui nous intéresse dans la partie suivante, les frontières n’ont rien de naturel, et leur adéquation avec certains traits de paysage – comme les rivières ou les montagnes – est elle aussi une fabrication nationale. -## FRONTIÈRES SYNTHÉTIQUES +### FRONTIÈRES SYNTHÉTIQUES Au XVIIe siècle le mot « frontière désignait une ligne de front, celle qui se tenait face à l’ennemi, peu importe que celui-ci se trouve au milieu ou en périphérie d’un territoire donné. La « frontière » délimitait une zone de défense. C’est au siècle suivant que frontières militaires et frontières nationales ont commencé à coïncider, dans les écrits officiels comme dans ceux des Lumières, qui s’évertuaient alors à ancrer la nation dans un territoire propre. Bien souvent c’est dans le paysage que les philosophes allaient piocher pour donner à la nation ses limites. Pour Rousseau ou Montesquieu, la nature avait établi sur Terre les frontières idéales de la France et des autres Etats : le Rhin, les Pyrénées et les Alpes fournissaient à la jeune nation française des limites toutes trouvées. C’est la Révolution, autrement dit, qui nationalisa l’idée d’une frontière dite naturelle, et naturalisa celle des frontières nationales. Dans son histoire du Rhin, Lucien Febvre retrace les enjeux nationalistes du fleuve qui marque la frontière entre l’Allemagne et la France. Alors que depuis le XVIe siècle le Rhin était considéré en Allemagne comme un fleuve sacré et sacrément national, l’historien démontre au contraire comment le fleuve fut, au cours de l’histoire, un lieu d’échanges économiques, culturels et linguistiques. Le fleuve, comme la frontière qu’il trace dans la géographie européenne, figure non pas comme un donné naturel mais comme un produit de l’histoire humaine, et l’outil naturel d’une politique nationaliste. @@ -26,7 +26,7 @@ Les montagnes, comme les fleuves, ont souvent fait l’objet d’une frontiéris En France comme ailleurs, pourtant, les montagnes font souvent de piètres frontières. Difficilement contrôlables, elles offrent à celles et ceux qui apprennent à les connaitre des couloirs, chemins, passages et autres conduits pour creuser des trous dans le dispositif sécuritaire de celleux qui pensaient que d’un relief, on pouvait faire un mur. Les histoires de contrebande et de mobilités ne manquent pas pour illustrer les liens entre montagne et clandestinité. Il faudrait donc envisager la frontière comme un projet ou une aspiration étatique plutôt que comme une réalité géographique. Il y a un côté téléologique à la frontiérisation, c’est-à-dire que les frontières dessinées sur nos cartes correspondent moins à une réalité physique qu’à une ambition territoriale, à la fois incomplète et sans cesse contestée. -## FRONTIÈRES INCARNÉES +### FRONTIÈRES INCARNÉES Si les frontières nationales ont finalement peu d’ancrage dans la réalité matérielle – fluviale, géologique, environnementale – du monde, elles ont cependant des effets dévastateurs sur celles et ceux qui osent franchir ces lignes – souvent invisibles – sans y avoir été préalablement invité.es, soit par leur capital, soit par leur couleur de peau. C’est-à-dire que la frontière fait le tri, entre celleux qui la traversent sans même s’en apercevoir et celleux qui cherchent à éviter son contact, parce que la rencontrer c’est risquer de se faire suivre, poursuivre, et arrêter. Pour la géographe Anne-Laure Amilhat-Szary, la frontière est devenue un outil de hiérarchisation des vies et des mobilités ; une condition d’exclusion du non-citoyen, dont la mobilité est toujours considérée comme a priori dangereuse. diff --git a/content/01/remplacer_les_frontieres.md b/content/01/remplacer_les_frontieres.md index 5ce8ab2..7f1ef75 100644 --- a/content/01/remplacer_les_frontieres.md +++ b/content/01/remplacer_les_frontieres.md @@ -6,7 +6,7 @@ Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la Non-respect des procédures de demande d’asile par la police de l’air et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places d’hébergement d’urgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que l’on peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation. -## INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE ! +### INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE ! En 2007, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et ancien officier de la PAF, écrivait : « Dépassant les clivages humains qui ont conduit aux pires atrocités, Montgenèvre, par sa spécificité de commune transfrontalière, tend la main à ses voisins italiens pour créer ensemble une coopération au service des populations et de leur maintien en montagne. Ce lien va perdurer au-delà des années pour créer l’un des plus beaux domaines skiables internationaux d’Europe : La Voie Lactée ».[^1] M. Hermitte loue le «lien», « tend la main », coopère, comme si l’époque de la séparation des peuples était révolue. Pourtant, à Montgenèvre aujourd’hui, la coopération entre la France et l’Italie est surtout commerciale et policière. Un golf, une station de ski et une macabre partie de ping-pong avec les personnes exilées ; voilà les seules choses réellement transfrontalières à Montgenèvre. Le local de « mise à l’abri » où sont enfermées les personnes arrêtées alors qu’elles tentaient de traverser la frontière, est un Algeco dissimulé derrière le poste de police. Le vocabulaire officiel est pour le moins trompeur, car cette « mise à l’abri » se traduit quasi systématiquement par l’enfermement illégal et le refoulement en Italie des personnes exilées. La fraternité prônée par M. Hermitte ne vaut qu’en tant qu’elle promeut le tourisme et efface d’un même geste les questions migratoires. Ces mots datent. Mais aujourd’hui encore, l’équipe municipale montgenèvroise continue de louer le caractère « transfrontalier » de sa station, tout en réussissant l’exploit de rester muette sur les enjeux migratoires, alors même que la situation locale fait régulièrement l’objet d’une couverture nationale. @@ -16,7 +16,7 @@ Le mutisme est aussi à l’œuvre chez des acteur.ices dépendant.es de subvent A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge Solidaire de ranger le linge pendu à ses fenêtres. Ça ne fait pas propre, et il parait que les habitants de Briançon le « vivent mal ». Lorsqu’un mort est retrouvé sur un chemin descendant vers Briançon, que le refuge solidaire bat des records d’accueil à Briançon, les seules préoccupations d’Arnaud Murgia sont la « sécurité et la tranquillité des habitants »[^3]. Soucieuses que l’opinion publique n’associe « personnes exilées » avec « insalubrité », des associations organisent au printemps des randonnées pour ramasser les habits abandonnés sur les chemins pendant l’hiver, effaçant ainsi les traces des passages migratoires et de leur répression, se laissant prendre au piège de l’invisibilisation. De manière générale, le Briançonnais se muséifie. La « préservation » du patrimoine et de l’environnement sert d’excuse pour définir où est-ce que les personnes en situation d’exil peuvent être hébergées, et quels usages sont tolérés. Le tout étant que ce, celles et ceux qui dérangent ne se voient pas, en particulier pour les touristes, qui ont le champ libre et un accès privilégié à l’usage, voire à l’usure, du territoire. -## SOLIDARITÉ DE FAÇADE +### SOLIDARITÉ DE FAÇADE Les mécanismes d’invisibilisation de la frontière sont d’autant plus efficaces qu’ils sont secondés par une redoutable stratégie de communication qui affiche le Briançonnais comme un territoire ouvert et accueillant, une stratégie consistant à créer une image officielle convenable, voire séduisante, et à limiter l’expression de récits alternatifs. @@ -24,7 +24,7 @@ Une fresque murale représentant une personne noire qui traverse des montagnes, La communication est bien ficelée. En s’affichant publiquement comme soutiens de l’association 82-4000 solidaires, qui vise à démocratiser la haute montagne, Arnaud Murgia et Dominique Dufour (le préfet des Hautes-Alpes) apparaissent « solidaires », sans pour autant remettre en cause les catégories sociales servant à discriminer l’accès au territoire et aux droits. Les immigrés « légaux » (ou tolérés un temps) ont le droit de venir en vacances dans le Briançonnais, tandis que les « migrants », les « illégaux » peuvent toujours attendre à Oulx. En plus de cacher leur politique sécuritaire derrière une solidarité sélective, cette pirouette communicationnelle leur permet de se réapproprier la solidarité et de marginaliser les discours d’opposition. Si la solidarité n’appartient pas qu’aux militant.es, alors ceux-ci se caractérisent par leur radicalité, et peuvent être érigés en menace pour l’ordre public. Pourtant, cette solidarité de façade dissimule mal les priorités répressives de M. Murgia. On peut citer, à titre d’exemple, le sort de la MAPEmonde, ancien service d’aide aux personnes étrangères de la MJC, qui n’a pas été maintenu dans le nouveau centre social intercommunal. -## D’AUTRES RÉCITS EXISTENT… +### D’AUTRES RÉCITS EXISTENT… La persévérance des associations et collectifs locaux fait que d’autres récits existent sur le territoire et se diffusent jusque dans la presse et les réseaux (inter)nationaux : celui de l’accueil, ou de la liberté de circulation. Néanmoins, ces récits peuvent aussi contribuer à entretenir la ségrégation qu’instituent les frontières étatiques. Nous opposons assez facilement à l’image de montagne-frontière celle d’une montagne-refuge, un récit qui s’appuie sur l’imaginaire montagnard, et quelques formules de bon sens : « on n’abandonne pas quelqu’un en montagne » ; « en refuge, on ne laisse personne dormir dehors, quitte à dormir sur et sous les tables », etc. Si ce récit peut correspondre à une certaine réalité, il comporte également un certain nombre de dangers. En ne nommant pas les violences racistes et sécuritaires qui rendent ces « refuges » nécessaires, il empêche de s’attaquer aux problèmes de fond. Il fait aussi de la montagne un territoire d’exception par rapport aux autres territoires, alors même que, par principe, la liberté de circulation devrait être défendue partout. @@ -33,7 +33,7 @@ La mise en spectacle de l’hospitalité et des maraudes crée d’autre part un Comment alors faire exister des récits qui permettent l’émancipation des personnes en exil, et démontent les structures racistes ? A l’évidence, la première chose à faire est de rendre visible la ségrégation raciste que produit la frontière, et que les autorités cherchent à cacher. Reste ensuite à imaginer, et diffuser, des imaginaires territoriaux qui favorisent l’émergence d’espaces et de structures sociales émancipatrices. -## ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QU’ELLES FORMENT DES FORÊTS !?[^4] +### ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QU’ELLES FORMENT DES FORÊTS !?[^4] L’idée que tout le monde puisse circuler et s’installer où bon lui semble peut paraître aussi absurde que le titre de cet article. Pourtant, l’expérience montre qu’il peut exister des structures sociales et des modes d’organisation collectifs qui permettent aux personnes exilées d’être dans une posture d’acteur.ices et de regagner de l’autonomie. Des structures dans lesquelles la notion « d’étranger.e » ne fait que peu de sens et celle de « personne accueillie » est rapidement remplacée par celle de « cohabitant.e » ou de « voisin.e ». Comment seulement faire que ces possibles émancipateurs remplacent les conceptions racistes dans les imaginaires et les récits territoriaux ? diff --git a/output/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html b/output/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html index 5a615eb..9dc1e3e 100644 --- a/output/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html +++ b/output/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html @@ -32,20 +32,20 @@

Avant on pouvait toujours pousser les murs. Quand les chambres étaient pleines on se serrait encore plus. On dormait dehors, on tapissait la cuisine de matelas en se demandant comment on allait faire pour que tout le monde dorme dans un local si petit. Avant c’était «le squat», mettez l’intonation que vous voudrez dans ces mots. Le Refuge1 du 37 rue Pasteur avait ses règles, celles d’un lieu plus ou moins autogéré, tout autant contournées, détournées, enjambées par les bénévoles et les personnes accueillies s’il le fallait, en fonction des circonstances. Parce qu’il y avait des règles, mais pas de propriétaire pour les faire respecter, on n’en gardait que le meilleur : des indications de bon sens à respecter quand c’est possible, à oublier le reste du temps. Et ça a duré des années, et on en a vu passer du monde ! Ne nous demandez pas les chiffres, on n’aime pas ça, mais on peut vous dire qu’on s’est retrouvé à cent et même plus, dans ce petit lieu chaotique et passablement insalubre. On pourrait nous suspecter d’agiter le fameux «c’était mieux avant» , mais on dit juste que les règles étaient moins étouffantes peut être au détriment du confort matériel du lieu. Et puis en août 2021, après un virage à droite de la mairie et des luttes intestines qu’on vous épargne ici, le Refuge a fermé ses portes, et c’est là-haut, à côté de l’hôpital, qu’il les a rouvertes, dans les locaux des Terrasses Solidaires.

Le nouveau Refuge est plus grand, et plus cher aussi. Derrière l’achat et la rénovation du 34 route de Grenoble – qui a coûté plus ou moins un million d’euros avant même d’ouvrir ses portes – il y a Olivier Legrain du fond Riace France et ancien du groupe Lafarge, et Jean-François Rambicur de la fondation Arceal-Caritas France, administrateur du groupe Roquette, petit géant de l’agro-industrie française et méga-pollueur. Alors voilà, des personnes très sérieuses ont donné beaucoup d’argent, et il s’agirait de ne pas en faire n’importe quoi. Le nouveau Refuge se pare de nouvelles règles. Il y a des normes de sécurité, d’hygiène, des façons régulières et irrégulières de se rendre au sous-sol, dans la cuisine, dans la réserve de vêtements, et celle de nourriture. Il y a des clés, des codes qui ferment des portes, des protocoles d’accueil, d’entrée, de sortie et de soin. Il y a aussi trois étages supplémentaires, dont deux avec des chambres, des toilettes et des douches, que les propriétaires ont décidé de ne pas destiner à l’accueil, et qui restent donc vides et inutilisés, parce que pas aux normes, alors qu’il suffirait de faire tomber une porte pour y accéder. Et puis il y a un.e « russe » dont tout le monde parle, Responsable Unique de Sécurité, de son vrai nom, qui ne dort pas la nuit à l’idée que la moindre infraction à l’une de ses règles ne finisse par lui coûter la prison. Et parmi ces règles, il y a la jauge : 64 personnes, à ne pas dépasser.

Le but de cet article n’est pas de dire : refusons l’argent des patrons-philanthropes et organisons-nous pour l’accueil digne et autogéré des personnes exilées – même si on dit ça un peu quand même – mais de comprendre un peu mieux comment les protocoles qui régulent l’hospitalité affectent l’accueil et le traitement des personnes exilées au Refuge. Et de dénoncer, au passage, certains abus vraiment intolérables.

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ARRÊTEZ D’ARRIVER

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ARRÊTEZ D’ARRIVER

« Non mais tu comprends pas, si personne ne part, personne ne peut arriver non plus ! Et puis y’a des questions de sécurité aussi : si le bâtiment crame on fait quoi ? Si on dépasse la jauge l’assurance ne paye pas, et puis même, au-delà des normes, tu te verrais dormir dans le réfectoire, toi ? Y’a du bruit tout le temps, c’est pas tenable, mieux vaut les faire partir, on sait pas où, mieux vaut éviter le pire ! Et puis le Russe il a des cernes on dirait un dindon. »2 Il est plutôt brouillon l’épouvantail qu’on agite au Refuge pour pousser les personnes exilées vers la sortie : on y trouve des enjeux d’argent et de sûreté tout entremêlés de soucis du bien-être et de la dignité d’autrui3. Il nous arrive aussi parfois d’entendre la théorie de l’appel d’air, dans sa version pour les nul.les, selon laquelle si on rajoute trois lits de camp dans le couloir, il y aurait immédiatement et immanquablement trois personnes pour quitter le Bangladesh en direction de Briançon.

De toutes ces règles à respecter et faire respecter ressort une impression de crise permanente. C’est-à-dire qu’à partir du moment où les yeux – du conseil d’administration, des salarié.es et des bénévoles – sont rivés sur la jauge-qu’il-ne-faut-pas-dépasser, les personnes qui restent et celles qui arrivent – toutes celles qui menacent malgré elles de faire péter la jauge – deviennent perçues et traitées comme des problèmes à gérer. Les personnes exilées qui arrivent au Refuge sont donc accueillies, certes, mais accueillies comme de potentielles futures menaces, des réfractaires au départ, les empêcheurs et empêcheuses du bon fonctionnement du Refuge en général et de l’accueil (qui porte mal son nom) en particulier. Ce triste arrangement de conscience n’a pas l’air de troubler plus que ça les membres du conseil d’administration. A nos critiques, ces gens-là répondent généralement avec agacement qu’il n’y a pas d’autres solutions et que nous ne servons donc à rien, avec notre empathie et notre idéalisme que l’urgence perpétuelle ne parvient pas à anesthésier. Parce que LA solution, tenez-vous bien, nous l’avons très claire en tête, elle est simple comme deux et deux font quatre, irréfutable – mais on ne la révélera qu’à la fin de cet article.4

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LA TYRANNIE DU PRÉSENT

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LA TYRANNIE DU PRÉSENT

Les discours de crise ont tant été utilisés comme moteurs d’indignation que l’espace public est devenu largement saturé d’urgences qui finalement peuvent attendre, et de chocs qui ne choquent plus. En d’autres termes, les discours de crise sont contre-révolutionnaires en tant qu’ils permettent de stabiliser une condition existante plutôt que de minimiser des formes de violences quotidiennes. La crise reproduit des institutions, des pratiques et des réalités plus qu’elle n’interroge la manière dont ces crises sont advenues, ou comment on pourrait en sortir5. Les personnes qui, au refuge comme ailleurs, nourrissent un sentiment d’urgence permanente se font les complices, volontaires ou non, d’un discours qui, tant qu’il nous fait tourner en rond, nous empêche de nous demander pourquoi, au fait, est-ce qu’on tourne en rond. Etat d’urgence et dérive gestionnaire sont les écueils contre lesquels s’écrase toute possibilité de réflexion autour de sujets pourtant centraux : la responsabilité du néocolonialisme dans les grands mouvements migratoires ; le rôle du capitalisme dans les dérèglements climatiques à l’origine de ces mêmes phénomènes ; la possibilité d’un accueil digne dans une société qui refuse de remettre en question la propriété privée, la croissance économique, le plein emploi et le salariat. Tant de choses, une fois réintégrées dans le débat, pourraient servir de garde-fou (voire d’antidote) contre le paternalisme et la maltraitance de salarié.es constamment au bord du burn-out.

Au Refuge, la crise ça veut dire pas le temps de m’intéresser à ton passé, toi que j’accueille, et pas le temps non plus de me pencher sur ton futur. Il n’y a qu’ici et maintenant que tu existes, et tu ressembles plus à un colis encombrant qu’à une personne comme moi et mes potes. Le présentisme c’est un peu la maltraitance ordinaire : peu importe d’où tu viens et où tu vas, comme c’est l’urgence ici, tant que tu y es tu seras un parmi d’autres, à nos yeux d’accueillant.es. Pas le temps d’écouter tes problèmes, et si par hasard tu deviens connu.e de moi c’est que t’auras merdé quelque part, tu te seras fait remarquer et probablement pas pour les bonnes raisons, t’auras eu le culot de faire des vagues alors que franchement, t’as pas vu comme c’est compliqué déjà la vie ici, t’étais vraiment obligé de rajouter des problèmes, sérieux ?6. Parler de crise au Refuge c’est, souvent, éviter de remettre en question des pratiques d’accueil qui traitent les personnes accueillies comme des indésirables et forcent leur départ vers des futurs précaires.

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INDÉSIRABLES

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INDÉSIRABLES

Mais qui part quand la jauge est pleine ? Qui est-ce qu’on met à la porte en premier et à qui est-ce qu’on accorde un peu de répit ? Ces questions quotidiennes – étendre ou non la durée de l’accueil, enfreindre ou pas le protocole qui stipule que chaque personne accueillie ne peut rester que trois jours et trois nuits – révèlent souvent une hiérarchie qui classe les personnes exilées en fonction de leur vulnérabilité (perçue). Les familles avec enfants, les femmes seules et les femmes enceintes sont souvent désignées comme plus vulnérables que les hommes seuls, et donc plus à même de pouvoir rester. Mais ces catégories sont héritées de logiques gouvernementales. Ce sont celles qui déterminent l’accueil au 115 ou dans les Centres d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA). Les semeur.euses de trouble, les accros au Lyrica, celles et ceux qui s’attardent un peu trop, qui commencent à se sentir comme chez elleux, et sortent de l’anonymat qui leur était assigné, en revanche, sont les premier.es à subir des pressions au départ. Grâce à cette belle contorsion logique, celles et ceux qui n’ont vraiment nulle part où aller, sont celles et ceux qu’on fout dehors avec le moins de scrupules. C’est-à-dire qu’une personne accueillie a plus de chance de devoir partir si elle va à l’encontre des normes de vulnérabilité qu’on lui assigne que si elle incarne une certaine image de la migration, selon laquelle un.e migrant.e se doit d’être isolé.e, vulnérable et obéissante pour mériter l’accueil.

Et qui est-ce qui décide de qui peut rester, et qui doit partir ? Un œil sur la jauge-à-ne-surtout-pas-dépasser, l’autre sur le prix des billets de train pour Paris, les salarié.es de l’accueil concentrent de fait le pouvoir de laisser rester et faire partir. La décision de renvoyer quelqu’un.e du refuge n’est ni collective ni vraiment protocolaire, mais bien arbitraire, puisqu’elle repose souvent sur les impressions, humeurs et inimitiés personnelles que les salarié.es de l’accueil nourrissent envers les personnes accueillies. Si l’on ajoute à ça l’urgence dont on parlait plus tôt, on se retrouve assez vite dans une panade bien grisâtre dans laquelle une poignée de gens contrôle et confisque la mobilité – toi tu restes, toi tu pars – d’une majorité d’exilé.es. Ce contexte est propice à des débordements de plus en plus fréquents, où l’attitude contrôlante est si brutale qu’elle semble inspirée par un vrai sadisme, ou par une sorte de délire de puissance que la fatigue et le stress ne suffisent pas à justifier.

Voici quelques extraits de dialogues qu’on a pu entendre dans le bureau de l’accueil du Refuge : « T’es bien content de dormir et manger gratuitement ici, hein? Mais ça peut pas durer ! Tu as trois jours pour acheter un billet et partir! » « [en pleurant:] Mais je n’ai pas d’argent et je ne sais pas où aller ! » « Et ben tu vas te le faire prêter, l’argent, ou alors tu partiras en stop ! »

Ou encore, à une personne en manque de Lyrica: « Tu veux ta dose ? Il faut que tu achètes un billet pour Grenoble et je vais te la donner, ta dose ! »7

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FAUT CONCLURE

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FAUT CONCLURE

Accueillir c’est aussi contrôler. C’est se rendre responsable de quand part qui et parfois où, sans trop savoir pourquoi. En ce sens, la contrainte ne prend pas toujours la forme d’une interdiction. Au Refuge bien souvent la contrainte oriente, elle rassure, elle encourage, elle donne à des futurs flous des contours nets pour les faire advenir vite, très vite, parce qu’il faut faire de la place. La contrainte se fait douce8, quand elle n’est pas ouvertement horrible.

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LA SOLUTION (PUISQU’ON L’A PROMISE)

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LA SOLUTION (PUISQU’ON L’A PROMISE)

La solution que nous proposons a l’avantage de s’adapter à presque tous les picotements de conscience (réels ou factices) des personnes qui détiennent un pouvoir sur les autres. Elle consiste à simplement arrêter de l’exercer, ce pouvoir, à regarder un peu ce qui se passe, et à prendre des notes si possible. La jauge va exploser de mai à la mi-octobre9, comme l’année passée, et celle d’avant encore, ce qui pourrait provoquer autre chose que la fin du monde. Les portes des trois étages vides pourraient finir par s’ouvrir, par exemple. Celleux parmi les propriétaires et les membres du CA qui voudraient les refermer seraient obligé.es de s’exposer publiquement, elleux et les limites si mesquines de leur charité. Un tel geste pourrait même faire gagner un peu de sympathie à l’institution épuisée qu’est le CA du Refuge, dont la politique demeure incertaine, parfois suspecte, et toujours décevante, voire un peu collabo, comme quand ses membres s’époumonent dans les oreilles du préfet, des député.es et des ministres, qu’enfin y’en a marre, il faut agir, y’a trop de migrant.es par chez nous. Il pourrait arriver plein de choses, sérieux. Le « russe » pourrait même retrouver le sommeil, ou un.e bonne avocat.e.


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Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce qu’une frontière est de ce qu’elle n’est pas. On s’appuie surtout sur la frontière franco-italienne (qu’on appellera parfois FFI pour aller plus vite), parce que c’est celle qu’on habite, qu’on connaît un peu mieux que les autres, et depuis laquelle on écrit la plupart de cette revue. Pour celles et ceux qui, pris d’un grand coup de flemme, ne souhaiteraient pas lire la suite, ce qu’on y dit est plutôt simple : la frontière est une construction juridique historiquement récente, difficilement séparable des idées d’Etat et de territoire, et dont la forme, le tracé et les modalités changent constamment. Le fait que les frontières nationales correspondent parfois à des frontières dites naturelles n’a rien d’évident : c’est le fruit d’un processus politique qui, depuis plusieurs siècles, inscrit l’Etat et ses limites dans une « nature » qui les précède et légitime leur existence.

Le rétablissement des contrôles d’identité et le renforcement des effectifs policiers le long de la frontière franco-italienne ont fait de « la frontière » un objet ordinaire dans le Briançonnais. Pour les mi-litant.es du coin, « la frontière » est une réalité quotidienne : on l’arpente, on la dénonce, on essaye, le plus possible, de la rendre inutile, mais jamais – ou presque – on ne remet en question son existence. La frontière fait partie du décor. Et si elle apparait sur nos cartes de randonnée comme une ligne nette et bien tracée, peu de choses indiquent, dans nos paysages frontaliers, qu’ici se trouve la limite d’un territoire. A la différence des murs de barbelés érigés en Grèce, en Espagne ou en Hongrie, la frontière franco-italienne reste relativement intangible. Et pourtant, « la frontière » structure mouvements, pensées et luttes avec autant d’évidence que si c’était un mur. C’est pour détricoter un peu de ce sens commun que nous analysons ici le mot « frontière », les ambitions territoriales qu’il reflète et les réalités sociales qu’il impose.

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FICTION JURIDIQUE

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FICTION JURIDIQUE

La frontière est avant tout une invention juridique, qui délimite dans l’espace là où s’applique le droit national, et là où il ne s’applique pas. Elle est légitimée chaque fois que des accords bilatéraux ou internationaux viennent réguler les relations entre les Etats, et donc leur existence. Entre l’Italie et la France, c’est l’accord de Chambéry qui régule les relations frontalières et facilite, entre autres, le refoulement des personnes exilées quand elles se font arrêter. Mais comme elle n’est ni immuable, ni nécessaire, la frontière en tant que construction juridique change assez régulièrement.

A la fin des années 1980, la construction de l’espace Schengen a « ouvert » la frontière entre la France et l’Italie en mettant fin aux contrôles d’identité lorsqu’une personne passait d’un territoire à un autre. Une exception à cette règle persiste depuis en droit pénal : au sein d’une zone frontalière de 20km à partir de la ligne officielle, une personne peut toujours faire face à un contrôle d’identité, si elle est recherchée ou si elle commet une infraction. En 2015 cette frontière s’est partiellement refermée. L’Etat a établi une liste de 285 points stratégiques, appelés points de passages autorisés (PPA), autour desquels les contrôles d’identité ont été légalisés, sans que personne ne soit ni recherché ni pris en flagrant délit de quoi que ce soit. Officiellement ce rétablissement des contrôles aux frontières ne pouvait durer que 6 mois, et n’être renouvelé que pour une durée totale de deux ans. Pourtant, cela fait maintenant 8 ans que la police contrôle, expulse et enferme le long de la frontière sans aucune base légale.

Quant à celles et ceux qui ont le malheur d’arriver tout droit de plus loin – d’un pays extérieur à la zone Schengen – l’Etat a là encore une solution. Depuis 1992, des zones appelées « zones d’attente » – il y en a presque 100 en France – permettent aux autorités de contrôler l’identité des gens et de les immobiliser, jusqu’à 26 jours, dans les ports, les aéroports et les gares internationales. En 2003, ces zones ont été étendues des points de débarquement à leurs environs, ce qui implique, en clair, que toutes les côtes françaises sont désormais des lieux où les immobilisations arbitraires sont possibles, et légales.

Fiction juridique, la frontière n’en est pas moins réelle pour celles et ceux qui la traversent chaque jour sans la bonne couleur de peau, ou à défaut les bons papiers. Et si elle reste une construction historique relativement récente, c’est dans le registre de l’universel que la frontière puise sa légitimité, jusqu’à devenir une évidence territoriale, une sorte de sens commun dans la manière dont nous envisageons l’espace. Pourtant, et c’est ce qui nous intéresse dans la partie suivante, les frontières n’ont rien de naturel, et leur adéquation avec certains traits de paysage – comme les rivières ou les montagnes – est elle aussi une fabrication nationale.

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FRONTIÈRES SYNTHÉTIQUES

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FRONTIÈRES SYNTHÉTIQUES

Au XVIIe siècle le mot « frontière désignait une ligne de front, celle qui se tenait face à l’ennemi, peu importe que celui-ci se trouve au milieu ou en périphérie d’un territoire donné. La « frontière » délimitait une zone de défense. C’est au siècle suivant que frontières militaires et frontières nationales ont commencé à coïncider, dans les écrits officiels comme dans ceux des Lumières, qui s’évertuaient alors à ancrer la nation dans un territoire propre. Bien souvent c’est dans le paysage que les philosophes allaient piocher pour donner à la nation ses limites. Pour Rousseau ou Montesquieu, la nature avait établi sur Terre les frontières idéales de la France et des autres Etats : le Rhin, les Pyrénées et les Alpes fournissaient à la jeune nation française des limites toutes trouvées. C’est la Révolution, autrement dit, qui nationalisa l’idée d’une frontière dite naturelle, et naturalisa celle des frontières nationales.

Dans son histoire du Rhin, Lucien Febvre retrace les enjeux nationalistes du fleuve qui marque la frontière entre l’Allemagne et la France. Alors que depuis le XVIe siècle le Rhin était considéré en Allemagne comme un fleuve sacré et sacrément national, l’historien démontre au contraire comment le fleuve fut, au cours de l’histoire, un lieu d’échanges économiques, culturels et linguistiques. Le fleuve, comme la frontière qu’il trace dans la géographie européenne, figure non pas comme un donné naturel mais comme un produit de l’histoire humaine, et l’outil naturel d’une politique nationaliste.

Les montagnes, comme les fleuves, ont souvent fait l’objet d’une frontiérisation, c’est-à-dire de la projection de logiques étatiques sur des paysages dont rien n’indique, a priori, qu’ils appartiennent à tel ou tel pays ou qu’ils séparent des nations entre elles. Dans les Pyrénées, la construction des Etats français et espagnol est allée de pair avec l’invention de la montagne comme frontière naturelle. Le développement de la cartographie par les monarchies de l’époque à des fins commerciales et souveraines contribua à transformer montagnes et vallées en une ligne frontalière qui depuis Paris ou Madrid facilitaient peut-être l’organisation du pouvoir, mais dont le tracé sur place semblait bien arbitraire. Dans les Alpes, c’est la ligne de partage des eaux, le long des crètes, qui marque les limites entre la France, la Suisse et l’Italie.

En France comme ailleurs, pourtant, les montagnes font souvent de piètres frontières. Difficilement contrôlables, elles offrent à celles et ceux qui apprennent à les connaitre des couloirs, chemins, passages et autres conduits pour creuser des trous dans le dispositif sécuritaire de celleux qui pensaient que d’un relief, on pouvait faire un mur. Les histoires de contrebande et de mobilités ne manquent pas pour illustrer les liens entre montagne et clandestinité. Il faudrait donc envisager la frontière comme un projet ou une aspiration étatique plutôt que comme une réalité géographique. Il y a un côté téléologique à la frontiérisation, c’est-à-dire que les frontières dessinées sur nos cartes correspondent moins à une réalité physique qu’à une ambition territoriale, à la fois incomplète et sans cesse contestée.

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FRONTIÈRES INCARNÉES

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FRONTIÈRES INCARNÉES

Si les frontières nationales ont finalement peu d’ancrage dans la réalité matérielle – fluviale, géologique, environnementale – du monde, elles ont cependant des effets dévastateurs sur celles et ceux qui osent franchir ces lignes – souvent invisibles – sans y avoir été préalablement invité.es, soit par leur capital, soit par leur couleur de peau. C’est-à-dire que la frontière fait le tri, entre celleux qui la traversent sans même s’en apercevoir et celleux qui cherchent à éviter son contact, parce que la rencontrer c’est risquer de se faire suivre, poursuivre, et arrêter. Pour la géographe Anne-Laure Amilhat-Szary, la frontière est devenue un outil de hiérarchisation des vies et des mobilités ; une condition d’exclusion du non-citoyen, dont la mobilité est toujours considérée comme a priori dangereuse.

Il n’y a pas qu’en zone frontalière que la frontière opère ces distinctions. Comme le dit Grégoire Chamayou, on a, « au prétexte de faire respecter une frontière territoriale, créé sur le territoire une frontière légale entre ceux qui peuvent être protégés par le droit et ceux qui ne le peuvent plus ». En d’autres termes, les frontières continuent d’opérer des distinctions et des exclusions sociales bien après qu’elles ont été franchies par celles et ceux dont la mobilité est jugée indésirable. La frontière est portable. Ne pas avoir les bons papiers, c’est la transporter avec soi. Celles et ceux qui incarnent la frontière en portent le poids quotidiennement. Dans les bureaux de l’administration, la frontière prend la forme d’une attente : l’immigré.e est celui ou celle que l’on peut faire attendre, que l’on soumet aux temporalités de la bureaucratie, que l’on domine par le temps. La frontière perdure aussi dans les corps de celleux qui l’ont franchie en tant que traces, en tant que marques somatiques qui attestent de violences subies et que l’Etat ausculte comme autant de preuves de persécutions passées contre lesquelles mesurer la parole – sans cesse mise en doute – des demandeur.euses d’asile.

Mais la frontière s’immisce aussi et surtout dans le quotidien de celles et ceux qui l’ont franchie en tant que déportation possible. Pour l’anthropologue Nicholas de Genova, c’est la possibilité de la déportation – ce qu’il nomme deportability – plus que la déportation elle-même – ce qu’il appelle deportation – qui nourrit l’exclusion des sans-papiers sur un territoire donné, et facilite leur exploitation par le capital. Peur, hypervigilance et résignation donnent à la frontière – dont l’existence matérielle semble maintenant secondaire – une dimension affective. C’est à grand renfort de surveillance, d’intimidation et de harcèlement que l’Etat cultive la précarité des sans-papiers et la condition de dé-portabilité qui les rend particulièrement vulnérables à des formes d’exploitation contre lesquelles l’Etat – le même – prétend par ailleurs lutter.

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Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Qu’est-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance à se dissoudre dans notre vécu ordinaire, emportant avec elle les personnes qui en subissent la ségrégation. Cet article veut montrer que cette invisibilisation ne va pas de soi, qu’elle est le résultat d’imaginaires portés par des acteur.ices locaux qui font du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Inhabitable dans le sens où les personnes exilées sont au mieux considérées comme des « invités », au pire comme une masse nuisible, mais jamais – ou trop rarement – comme des personnes libres et fortes d’un pouvoir d’agir individuel et collectif. Des expériences collectives locales, allant des squats à certaines associations visant l’émancipation des personnes apparaissent alors comme de potentielles sources d’imaginaires territoriaux qui n’invisibilisent plus les exilé.es mais au contraire leur redonnent un peu d’autonomie.

Non-respect des procédures de demande d’asile par la police de l’air et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places d’hébergement d’urgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que l’on peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation.

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INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE !

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INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE !

En 2007, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et ancien officier de la PAF, écrivait : « Dépassant les clivages humains qui ont conduit aux pires atrocités, Montgenèvre, par sa spécificité de commune transfrontalière, tend la main à ses voisins italiens pour créer ensemble une coopération au service des populations et de leur maintien en montagne. Ce lien va perdurer au-delà des années pour créer l’un des plus beaux domaines skiables internationaux d’Europe : La Voie Lactée ».1

M. Hermitte loue le «lien», « tend la main », coopère, comme si l’époque de la séparation des peuples était révolue. Pourtant, à Montgenèvre aujourd’hui, la coopération entre la France et l’Italie est surtout commerciale et policière. Un golf, une station de ski et une macabre partie de ping-pong avec les personnes exilées ; voilà les seules choses réellement transfrontalières à Montgenèvre. Le local de « mise à l’abri » où sont enfermées les personnes arrêtées alors qu’elles tentaient de traverser la frontière, est un Algeco dissimulé derrière le poste de police. Le vocabulaire officiel est pour le moins trompeur, car cette « mise à l’abri » se traduit quasi systématiquement par l’enfermement illégal et le refoulement en Italie des personnes exilées. La fraternité prônée par M. Hermitte ne vaut qu’en tant qu’elle promeut le tourisme et efface d’un même geste les questions migratoires. Ces mots datent. Mais aujourd’hui encore, l’équipe municipale montgenèvroise continue de louer le caractère « transfrontalier » de sa station, tout en réussissant l’exploit de rester muette sur les enjeux migratoires, alors même que la situation locale fait régulièrement l’objet d’une couverture nationale.

Le mutisme est aussi à l’œuvre chez des acteur.ices dépendant.es de subventions, ou de marchés publics. Parmi elleux, des acteur.ices de la solidarité, de la culture et du tourisme font attention à rester « neutres », « apolitiques », à ne pas faire de vagues, une posture qui participe au maintien de l’ordre frontalier. La société de transport Resalp, par exemple, a choisi de collaborer avec la police2. C’est ainsi que les chauffeur.euses de la ligne Montgenèvre-Briançon demandent aujourd’hui les documents d’identité à certain.es passager.es – non-blanc.hes – suivant une pratique ouvertement raciste et totalement illégale.

A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge Solidaire de ranger le linge pendu à ses fenêtres. Ça ne fait pas propre, et il parait que les habitants de Briançon le « vivent mal ». Lorsqu’un mort est retrouvé sur un chemin descendant vers Briançon, que le refuge solidaire bat des records d’accueil à Briançon, les seules préoccupations d’Arnaud Murgia sont la « sécurité et la tranquillité des habitants »3. Soucieuses que l’opinion publique n’associe « personnes exilées » avec « insalubrité », des associations organisent au printemps des randonnées pour ramasser les habits abandonnés sur les chemins pendant l’hiver, effaçant ainsi les traces des passages migratoires et de leur répression, se laissant prendre au piège de l’invisibilisation. De manière générale, le Briançonnais se muséifie. La « préservation » du patrimoine et de l’environnement sert d’excuse pour définir où est-ce que les personnes en situation d’exil peuvent être hébergées, et quels usages sont tolérés. Le tout étant que ce, celles et ceux qui dérangent ne se voient pas, en particulier pour les touristes, qui ont le champ libre et un accès privilégié à l’usage, voire à l’usure, du territoire.

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SOLIDARITÉ DE FAÇADE

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SOLIDARITÉ DE FAÇADE

Les mécanismes d’invisibilisation de la frontière sont d’autant plus efficaces qu’ils sont secondés par une redoutable stratégie de communication qui affiche le Briançonnais comme un territoire ouvert et accueillant, une stratégie consistant à créer une image officielle convenable, voire séduisante, et à limiter l’expression de récits alternatifs.

Une fresque murale représentant une personne noire qui traverse des montagnes, un festival se voulant « polychrome » affichant une programmation éclectique de musiques du monde, une station de ski transfrontalière : si on ne sait pas ce qui se trame autour de la frontière, le Briançonnais pourrait passer pour un territoire ouvert, presque solidaire. Après tout, le maire de Briançon et le préfet du département s’affichent publiquement en soutien d’un nouveau centre de vacances pour des personnes en situation de précarité. C’est que ça doit être des gars bien !

La communication est bien ficelée. En s’affichant publiquement comme soutiens de l’association 82-4000 solidaires, qui vise à démocratiser la haute montagne, Arnaud Murgia et Dominique Dufour (le préfet des Hautes-Alpes) apparaissent « solidaires », sans pour autant remettre en cause les catégories sociales servant à discriminer l’accès au territoire et aux droits. Les immigrés « légaux » (ou tolérés un temps) ont le droit de venir en vacances dans le Briançonnais, tandis que les « migrants », les « illégaux » peuvent toujours attendre à Oulx. En plus de cacher leur politique sécuritaire derrière une solidarité sélective, cette pirouette communicationnelle leur permet de se réapproprier la solidarité et de marginaliser les discours d’opposition. Si la solidarité n’appartient pas qu’aux militant.es, alors ceux-ci se caractérisent par leur radicalité, et peuvent être érigés en menace pour l’ordre public. Pourtant, cette solidarité de façade dissimule mal les priorités répressives de M. Murgia. On peut citer, à titre d’exemple, le sort de la MAPEmonde, ancien service d’aide aux personnes étrangères de la MJC, qui n’a pas été maintenu dans le nouveau centre social intercommunal.

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D’AUTRES RÉCITS EXISTENT…

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D’AUTRES RÉCITS EXISTENT…

La persévérance des associations et collectifs locaux fait que d’autres récits existent sur le territoire et se diffusent jusque dans la presse et les réseaux (inter)nationaux : celui de l’accueil, ou de la liberté de circulation. Néanmoins, ces récits peuvent aussi contribuer à entretenir la ségrégation qu’instituent les frontières étatiques.

Nous opposons assez facilement à l’image de montagne-frontière celle d’une montagne-refuge, un récit qui s’appuie sur l’imaginaire montagnard, et quelques formules de bon sens : « on n’abandonne pas quelqu’un en montagne » ; « en refuge, on ne laisse personne dormir dehors, quitte à dormir sur et sous les tables », etc. Si ce récit peut correspondre à une certaine réalité, il comporte également un certain nombre de dangers. En ne nommant pas les violences racistes et sécuritaires qui rendent ces « refuges » nécessaires, il empêche de s’attaquer aux problèmes de fond. Il fait aussi de la montagne un territoire d’exception par rapport aux autres territoires, alors même que, par principe, la liberté de circulation devrait être défendue partout.

La mise en spectacle de l’hospitalité et des maraudes crée d’autre part une figure de héros-solidaire dont dépendent les personnes en exil pour arriver à bon port. C’est-à-dire qu’on naturalise l’idée selon laquelle les « solidaires » seraient indispensables aux personnes en exil, ce qui revient à les priver de leur capacité d’action et de leur autonomie. On recrée ainsi une situation de domination, dans laquelle le héros-solidaire confisque le pouvoir au lieu de contribuer à l’émancipation des personnes qu’il prétend aider.

Comment alors faire exister des récits qui permettent l’émancipation des personnes en exil, et démontent les structures racistes ? A l’évidence, la première chose à faire est de rendre visible la ségrégation raciste que produit la frontière, et que les autorités cherchent à cacher. Reste ensuite à imaginer, et diffuser, des imaginaires territoriaux qui favorisent l’émergence d’espaces et de structures sociales émancipatrices.

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ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QU’ELLES FORMENT DES FORÊTS !?4

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ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QU’ELLES FORMENT DES FORÊTS !?4

L’idée que tout le monde puisse circuler et s’installer où bon lui semble peut paraître aussi absurde que le titre de cet article. Pourtant, l’expérience montre qu’il peut exister des structures sociales et des modes d’organisation collectifs qui permettent aux personnes exilées d’être dans une posture d’acteur.ices et de regagner de l’autonomie. Des structures dans lesquelles la notion « d’étranger.e » ne fait que peu de sens et celle de « personne accueillie » est rapidement remplacée par celle de « cohabitant.e » ou de « voisin.e ». Comment seulement faire que ces possibles émancipateurs remplacent les conceptions racistes dans les imaginaires et les récits territoriaux ?

Lutter pour l’émancipation individuelle et collective c’est redonner le pouvoir d’agir aux personnes qui en ont été privées : un pouvoir d’auto-détermination, mais aussi et surtout un pouvoir d’agir politique. La politologue Fatima Ouassak, comme d’autres théori-cien.nes de la pensée décoloniale, montre que rien de cela ne peut se faire sans laisser aux personnes exilées un « accès à la Terre », et la possibilité de vivre où elles le souhaitent. Souvent considérées comme des sources d’insécurité potentielles, les personnes immigrées ou considérées comme telles ne sont presque jamais associées aux choix politiques ou urbanistiques impactant leurs lieux de vie. Les politiques locales mises en place par messieurs Murgia ou Hermitte sont une déclinaison locale de la politique sécuritaire en œuvre au niveau national : elles cherchent, presque explicitement, à faire du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Les personnes exilées sont par défaut exclues, exceptionnellement tolérées, mais uniquement dans des lieux prévus à cet effet, qui incarnent l’imaginaire de la « bonne solidarité »; des lieux dans lesquels on peut être « accueilli », mais où on ne vit pas. Si l’on suit la proposition de Fatima Ouassak, l’enjeu n’est pas d’offrir aux personnes exilées un retour à la Terre au sens écolo-privilégié de l’expression, mais de leur rendre la possibilité d’habiter, comme elles veulent, et où elles veulent.

Là où « être accueilli.e » est un statut passif, « habiter » est une posture active et émancipatrice, tant individuellement que collectivement. En revenant sur l’histoire du marronnage – la sécession des esclaves en Amérique et dans les archipels de l’Océan Indien – le philosophe et anthropologue mahorais Dénètem Touam Bona montre l’importance des « forêts » dans la reprise d’une puissance d’agir collective vers l’émancipation. Le terme « forêt » désigne ici un espace où l’on est libre d’habiter comme on le souhaite, un en-dehors des normes instituées où l’on développe des pratiques de subsistance, de loisir ou de spiritualité, où l’on crée des liens et où l’on s’organise contre un système oppressif. Dans le Briançonnais, les espaces qui se rapprochent de cette idée se font rares. Il y a bien quelques squats, lieux collectifs ou associations où les personnes exilées ne sont pas contraintes par des normes qu’elles n’ont pas faites, mais ils sont rares, et surveillés de près.

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