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@ -2,7 +2,7 @@ Title: Tadi taxi oula saroukh ?
Author: ravages
Date: 12/04/2023
## «Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»[^1]
### _«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»[^1]_
Lyrica est un nom assez poétique pour un médicament. Pourtant la prégabaline en a beaucoup dautres, encore plus évocateurs. Selon la langue et la latitude on lappelle la « Rouge », le « Taxi », la « Fusée ». Il semble que, de ce puissant médicament anxiolytique, antalgique et antiépileptique, on parle même dans quelques chansons, sur les côtes méridionales de la Méditerranée. Sa popularité en tant que drogue récréative est énorme dans les pays du Maghreb. Lîle de Samos semble avoir été, pendant plusieurs années, sa plaque tournante et le centre de sa diramation vers lEurope. Aujourdhui, le Lyrica se trouve partout, vendu sous le manteau à 1,50€ la gélule, 10€ la plaquette, de Perpignan à Bruxelles, en passant par la Porte de la Chapelle.

4
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@ -0,0 +1,4 @@
Title: Contact
Author: ravages
Ici les contacts.

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@ -1,6 +1,8 @@
Title: Edito
Author: ravages
Date: 12/04/2023
Slug: index
Status: hidden
Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et surtout parce que des ravages y en a plein. Dans ldico ya écrit quun ravage est un dégât matériel causé de façon violente par laction des gens ou de la nature. Cest aussi « leffet désastreux de quelque chose sur quelquun », comme quand on parle des ravages de la guerre, ou de ceux du salariat.
@ -15,3 +17,4 @@ Textes : FleurBleu, KroustiKebs, Mody-Bic, Biche, Plume, Verveine Citronnée, Li
Illustrations : Le dindon de la furss, Nao, vrrhngt, Plume, François, Léon.
[^1]: Cest pour rire...
l

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<title>ravages - Archives</title>
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<h1>Archives for ravages</h1>
<dl>
<dt>lun. 04 décembre 2023</dt>
<dd><a href="/edito.html">Edito</a></dd>
<dt>lun. 04 décembre 2023</dt>
<dd><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</a></dd>
<dt>lun. 04 décembre 2023</dt>
@ -32,6 +30,22 @@
<dt>lun. 04 décembre 2023</dt>
<dd><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html">Tadi taxi oula saroukh ?</a></dd>
</dl>
</section>
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<hr>
<li><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</a></li>
<li><a href="/lexique-frontiere.html">Lexique : frontière</a></li>
<li><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html">L'intégration à coups de patates</a></li>
<li><a href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</a></li>
<li><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></li>
<li><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html">Tadi taxi oula saroukh ?</a></li>
<hr>
<li><a href="/pages/contact">Contact</a></li>
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@ -4,77 +4,48 @@
<title>ravages - Articles by ravages</title>
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<h2>Articles by ravages</h2>
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<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/edito.html" rel="bookmark" title="Permalink to Edito">Edito</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <p>Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html" rel="bookmark" title="Permalink to La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
<address class="vcard author">By
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<div class="entry-content"> <p>Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/lexique-frontiere.html" rel="bookmark" title="Permalink to Lexique : frontière">Lexique : frontière</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
<address class="vcard author">By
<a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<div class="entry-content"> <p>Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html" rel="bookmark" title="Permalink to L'intégration à coups de patates">L'intégration à coups de patates</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
<address class="vcard author">By
<a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<div class="entry-content"> <p>Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html" rel="bookmark" title="Permalink to Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
<address class="vcard author">By
<a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<div class="entry-content"> <p>LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
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<a href="/author/ravages2.html">&raquo;</a>
<a href="/author/ravages2.html">&#8649;</a>
</p>
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<h1>Edito</h1>
<p>Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et surtout parce que des ravages y en a plein. Dans ldico ya écrit quun ravage est un dégât matériel causé de façon violente par laction des gens ou de la nature. Cest aussi « leffet désastreux de quelque chose sur quelquun », comme quand on parle des ravages de la guerre, ou de ceux du salariat.</p>
<p>Loin de simaginer comme des cataclysmes de chair et dos qui répandraient la colère à laide de petites revues, lidée est plutôt de témoigner des ravages de notre époque à partir dun point dobservation précis, celui de la frontière franco-italienne à Briançon. On sest dit que ça manquait un peu, dans le paysage militant du coin. Alors on a commencé à écrire. Certains de nos articles sont écrits à quatre, six, huit, parfois dix mains ! Et cétait pas toujours facile. Entre nous les critiques étaient vives, et certaines oreilles sourdes au moindre reproche<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>.</p>
<p>Pour le moment cest tout !</p>
<p>Bonne lecture,</p>
<p>Textes : FleurBleu, KroustiKebs, Mody-Bic, Biche, Plume, Verveine Citronnée, Libé-nul, Daiyon.</p>
<p>Illustrations : Le dindon de la furss, Nao, vrrhngt, Plume, François, Léon.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Cest pour rire...
l&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
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<li><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</a></li>
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<li><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html">Tadi taxi oula saroukh ?</a></li>
<hr>
<li><a href="/pages/contact">Contact</a></li>
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@ -4,48 +4,48 @@
<title>ravages - Articles by ravages</title>
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<h2>Articles by ravages</h2>
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<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html" rel="bookmark" title="Permalink to Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <p>Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html" rel="bookmark" title="Permalink to Tadi taxi oula saroukh ?">Tadi taxi oula saroukh ?</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <h2>«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup></h2>
<p>Lyrica est un nom assez poétique pour un médicament. Pourtant la prégabaline en a beaucoup dautres, encore plus évocateurs. Selon la langue et la latitude on lappelle la « Rouge », le « Taxi », la « Fusée ». Il semble que, de ce puissant …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<h1>Edito</h1>
<p>Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et surtout parce que des ravages y en a plein. Dans ldico ya écrit quun ravage est un dégât matériel causé de façon violente par laction des gens ou de la nature. Cest aussi « leffet désastreux de quelque chose sur quelquun », comme quand on parle des ravages de la guerre, ou de ceux du salariat.</p>
<p>Loin de simaginer comme des cataclysmes de chair et dos qui répandraient la colère à laide de petites revues, lidée est plutôt de témoigner des ravages de notre époque à partir dun point dobservation précis, celui de la frontière franco-italienne à Briançon. On sest dit que ça manquait un peu, dans le paysage militant du coin. Alors on a commencé à écrire. Certains de nos articles sont écrits à quatre, six, huit, parfois dix mains ! Et cétait pas toujours facile. Entre nous les critiques étaient vives, et certaines oreilles sourdes au moindre reproche<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>.</p>
<p>Pour le moment cest tout !</p>
<p>Bonne lecture,</p>
<p>Textes : FleurBleu, KroustiKebs, Mody-Bic, Biche, Plume, Verveine Citronnée, Libé-nul, Daiyon.</p>
<p>Illustrations : Le dindon de la furss, Nao, vrrhngt, Plume, François, Léon.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Cest pour rire...
l&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
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</section>
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<li><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</a></li>
<li><a href="/lexique-frontiere.html">Lexique : frontière</a></li>
<li><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html">L'intégration à coups de patates</a></li>
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<li><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html">Tadi taxi oula saroukh ?</a></li>
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<li><a href="/pages/contact">Contact</a></li>
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<li><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></li>
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<li><a href="/pages/contact">Contact</a></li>
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<h1>Categories on ravages</h1>
<ul>
<li><a href="/category/01md.html">01.md</a> (6)</li>
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<li><a href="/category/01.html">01</a> (6)</li>
</ul>
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<li><a href="/lexique-frontiere.html">Lexique : frontière</a></li>
<li><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html">L'intégration à coups de patates</a></li>
<li><a href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</a></li>
<li><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></li>
<li><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html">Tadi taxi oula saroukh ?</a></li>
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<li><a href="/pages/contact">Contact</a></li>
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<li><a href="/lexique-frontiere.html">Lexique : frontière</a></li>
<li><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html">L'intégration à coups de patates</a></li>
<li><a href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</a></li>
<li><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></li>
<li><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html">Tadi taxi oula saroukh ?</a></li>
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<li><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</a></li>
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<h2>Articles in the 01.md category</h2>
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<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html" rel="bookmark" title="Permalink to La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <p>Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/lexique-frontiere.html" rel="bookmark" title="Permalink to Lexique : frontière">Lexique : frontière</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <p>Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html" rel="bookmark" title="Permalink to L'intégration à coups de patates">L'intégration à coups de patates</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <p>Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html" rel="bookmark" title="Permalink to Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <p>LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html" rel="bookmark" title="Permalink to Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <p>Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<h2>Articles in the 01.md category</h2>
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<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html" rel="bookmark" title="Permalink to Tadi taxi oula saroukh ?">Tadi taxi oula saroukh ?</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<div class="entry-content"> <h2>«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup></h2>
<p>Lyrica est un nom assez poétique pour un médicament. Pourtant la prégabaline en a beaucoup dautres, encore plus évocateurs. Selon la langue et la latitude on lappelle la « Rouge », le « Taxi », la « Fusée ». Il semble que, de ce puissant …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
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<h2>Articles in the misc category</h2>
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<li><article class="hentry">
<header> <h2 class="entry-title"><a href="/edito.html" rel="bookmark" title="Permalink to Edito">Edito</a></h2> </header>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
<address class="vcard author">By
<a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<div class="entry-content"> <p>Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et …</p> </div><!-- /.entry-content -->
</article></li>
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<feed xmlns="http://www.w3.org/2005/Atom"><title>ravages - 01</title><link href="/" rel="alternate"></link><link href="/feeds/01.atom.xml" rel="self"></link><id>/</id><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><entry><title>La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</title><link href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple le fait quun accueil qui se dit inconditionnel et une jauge à ne pas dépasser ne vont pas facilement de pair, quun bâtiment ne peut se dire plein tant quil est vide à 60%, que les normes nont pas été inventées pour le bien de lhumanité, spécialement quand elles obligent de gens à dormir dans un couloir pourri plutôt que dans une chambre de merde. Et que les discours de lautorité, de la propriété, de lurgence et de la peur ont plutôt mauvaise presse dans nos pages.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Avant on pouvait toujours pousser les murs. Quand les chambres étaient pleines on se serrait encore plus. On dormait dehors, on tapissait la cuisine de matelas en se demandant comment on allait faire pour que tout le monde dorme dans un local si petit. Avant cétait «le squat», mettez lintonation que vous voudrez dans ces mots. Le Refuge&lt;sup id="fnref:1"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:1"&gt;1&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt; du 37 rue Pasteur avait ses règles, celles dun lieu plus ou moins autogéré, tout autant contournées, détournées, enjambées par les bénévoles et les personnes accueillies sil le fallait, en fonction des circonstances. Parce quil y avait des règles, mais pas de propriétaire pour les faire respecter, on nen gardait que le meilleur : des indications de bon sens à respecter quand cest possible, à oublier le reste du temps. Et ça a duré des années, et on en a vu passer du monde ! Ne nous demandez pas les chiffres, on naime pas ça, mais on peut vous dire quon sest retrouvé à cent et même plus, dans ce petit lieu chaotique et passablement insalubre. On pourrait nous suspecter dagiter le fameux «cétait mieux avant» , mais on dit juste que les règles étaient moins étouffantes peut être au détriment du confort matériel du lieu. Et puis en août 2021, après un virage à droite de la mairie et des luttes intestines quon vous épargne ici, le Refuge a fermé ses portes, et cest là-haut, à côté de lhôpital, quil les a rouvertes, dans les locaux des Terrasses Solidaires.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Le nouveau Refuge est plus grand, et plus cher aussi. Derrière lachat et la rénovation du 34 route de Grenoble qui a coûté plus ou moins un million deuros avant même douvrir ses portes il y a Olivier Legrain du fond Riace France et ancien du groupe Lafarge, et Jean-François Rambicur de la fondation Arceal-Caritas France, administrateur du groupe Roquette, petit géant de lagro-industrie française et méga-pollueur. Alors voilà, des personnes très sérieuses ont donné beaucoup dargent, et il sagirait de ne pas en faire nimporte quoi. Le nouveau Refuge se pare de nouvelles règles. Il y a des normes de sécurité, dhygiène, des façons régulières et irrégulières de se rendre au sous-sol, dans la cuisine, dans la réserve de vêtements, et celle de nourriture. Il y a des clés, des codes qui ferment des portes, des protocoles daccueil, dentrée, de sortie et de soin. Il y a aussi trois étages supplémentaires, dont deux avec des chambres, des toilettes et des douches, que les propriétaires ont décidé de ne pas destiner à laccueil, et qui restent donc vides et inutilisés, parce que pas aux normes, alors quil suffirait de faire tomber une porte pour y accéder. Et puis il y a un.e « russe » dont tout le monde parle, Responsable Unique de Sécurité, de son vrai nom, qui ne dort pas la nuit à lidée que la moindre infraction à lune de ses règles ne finisse par lui coûter la prison. Et parmi ces règles, il y a la jauge : 64 personnes, à ne pas dépasser.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Le but de cet article nest pas de dire : refusons largent des patrons-philanthropes et organisons-nous pour laccueil digne et autogéré des personnes exilées même si on dit ça un peu quand même mais de comprendre un peu mieux comment les protocoles qui régulent lhospitalité affectent laccueil et le traitement des personnes exilées au Refuge. Et de dénoncer, au passage, certains abus vraiment intolérables.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;ARRÊTEZ DARRIVER&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;« Non mais tu comprends pas, si personne ne part, personne ne peut arriver non plus ! Et puis ya des questions de sécurité aussi : si le bâtiment crame on fait quoi ? Si on dépasse la jauge lassurance ne paye pas, et puis même, au-delà des normes, tu te verrais dormir dans le réfectoire, toi ? Ya du bruit tout le temps, cest pas tenable, mieux vaut les faire partir, on sait pas où, mieux vaut éviter le pire ! Et puis le Russe il a des cernes on dirait un dindon. »&lt;sup id="fnref:2"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:2"&gt;2&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt; Il est plutôt brouillon lépouvantail quon agite au Refuge pour pousser les personnes exilées vers la sortie : on y trouve des enjeux dargent et de sûreté tout entremêlés de soucis du bien-être et de la dignité dautrui&lt;sup id="fnref:3"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:3"&gt;3&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;. Il nous arrive aussi parfois dentendre la théorie de lappel dair, dans sa version pour les nul.les, selon laquelle si on rajoute trois lits de camp dans le couloir, il y aurait immédiatement et immanquablement trois personnes pour quitter le Bangladesh en direction de Briançon.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;De toutes ces règles à respecter et faire respecter ressort une impression de crise permanente. Cest-à-dire quà partir du moment où les yeux du conseil dadministration, des salarié.es et des bénévoles sont rivés sur la jauge-quil-ne-faut-pas-dépasser, les personnes qui restent et celles qui arrivent toutes celles qui menacent malgré elles de faire péter la jauge deviennent perçues et traitées comme des problèmes à gérer. Les personnes exilées qui arrivent au Refuge sont donc accueillies, certes, mais accueillies comme de potentielles futures menaces, des réfractaires au départ, les empêcheurs et empêcheuses du bon fonctionnement du Refuge en général et de laccueil (qui porte mal son nom) en particulier. Ce triste arrangement de conscience na pas lair de troubler plus que ça les membres du conseil dadministration. A nos critiques, ces gens-là répondent généralement avec agacement quil ny a pas dautres solutions et que nous ne servons donc à rien, avec notre empathie et notre idéalisme que lurgence perpétuelle ne parvient pas à anesthésier. Parce que LA solution, tenez-vous bien, nous lavons très claire en tête, elle est simple comme deux et deux font quatre, irréfutable mais on ne la révélera quà la fin de cet article.&lt;sup id="fnref:4"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:4"&gt;4&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;LA TYRANNIE DU PRÉSENT&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Les discours de crise ont tant été utilisés comme moteurs dindignation que lespace public est devenu largement saturé durgences qui finalement peuvent attendre, et de chocs qui ne choquent plus. En dautres termes, les discours de crise sont contre-révolutionnaires en tant quils permettent de stabiliser une condition existante plutôt que de minimiser des formes de violences quotidiennes. La crise reproduit des institutions, des pratiques et des réalités plus quelle ninterroge la manière dont ces crises sont advenues, ou comment on pourrait en sortir&lt;sup id="fnref:5"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:5"&gt;5&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;. Les personnes qui, au refuge comme ailleurs, nourrissent un sentiment durgence permanente se font les complices, volontaires ou non, dun discours qui, tant quil nous fait tourner en rond, nous empêche de nous demander pourquoi, au fait, est-ce quon tourne en rond. Etat durgence et dérive gestionnaire sont les écueils contre lesquels sécrase toute possibilité de réflexion autour de sujets pourtant centraux : la responsabilité du néocolonialisme dans les grands mouvements migratoires ; le rôle du capitalisme dans les dérèglements climatiques à lorigine de ces mêmes phénomènes ; la possibilité dun accueil digne dans une société qui refuse de remettre en question la propriété privée, la croissance économique, le plein emploi et le salariat. Tant de choses, une fois réintégrées dans le débat, pourraient servir de garde-fou (voire dantidote) contre le paternalisme et la maltraitance de salarié.es constamment au bord du burn-out.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Au Refuge, la crise ça veut dire pas le temps de mintéresser à ton passé, toi que jaccueille, et pas le temps non plus de me pencher sur ton futur. Il ny a quici et maintenant que tu existes, et tu ressembles plus à un colis encombrant quà une personne comme moi et mes potes. Le présentisme cest un peu la maltraitance ordinaire : peu importe doù tu viens et où tu vas, comme cest lurgence ici, tant que tu y es tu seras un parmi dautres, à nos yeux daccueillant.es. Pas le temps découter tes problèmes, et si par hasard tu deviens connu.e de moi cest que tauras merdé quelque part, tu te seras fait remarquer et probablement pas pour les bonnes raisons, tauras eu le culot de faire des vagues alors que franchement, tas pas vu comme cest compliqué déjà la vie ici, tétais vraiment obligé de rajouter des problèmes, sérieux ?&lt;sup id="fnref:6"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:6"&gt;6&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;. Parler de crise au Refuge cest, souvent, éviter de remettre en question des pratiques daccueil qui traitent les personnes accueillies comme des indésirables et forcent leur départ vers des futurs précaires.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;INDÉSIRABLES&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Mais qui part quand la jauge est pleine ? Qui est-ce quon met à la porte en premier et à qui est-ce quon accorde un peu de répit ? Ces questions quotidiennes étendre ou non la durée de laccueil, enfreindre ou pas le protocole qui stipule que chaque personne accueillie ne peut rester que trois jours et trois nuits révèlent souvent une hiérarchie qui classe les personnes exilées en fonction de leur vulnérabilité (perçue). Les familles avec enfants, les femmes seules et les femmes enceintes sont souvent désignées comme plus vulnérables que les hommes seuls, et donc plus à même de pouvoir rester. Mais ces catégories sont héritées de logiques gouvernementales. Ce sont celles qui déterminent laccueil au 115 ou dans les Centres dAccueil des Demandeurs dAsile (CADA). Les semeur.euses de trouble, les accros au Lyrica, celles et ceux qui sattardent un peu trop, qui commencent à se sentir comme chez elleux, et sortent de lanonymat qui leur était assigné, en revanche, sont les premier.es à subir des pressions au départ. Grâce à cette belle contorsion logique, celles et ceux qui nont vraiment nulle part où aller, sont celles et ceux quon fout dehors avec le moins de scrupules. Cest-à-dire quune personne accueillie a plus de chance de devoir partir si elle va à lencontre des normes de vulnérabilité quon lui assigne que si elle incarne une certaine image de la migration, selon laquelle un.e migrant.e se doit dêtre isolé.e, vulnérable et obéissante pour mériter laccueil.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Et qui est-ce qui décide de qui peut rester, et qui doit partir ? Un œil sur la jauge-à-ne-surtout-pas-dépasser, lautre sur le prix des billets de train pour Paris, les salarié.es de laccueil concentrent de fait le pouvoir de laisser rester et faire partir. La décision de renvoyer quelquun.e du refuge nest ni collective ni vraiment protocolaire, mais bien arbitraire, puisquelle repose souvent sur les impressions, humeurs et inimitiés personnelles que les salarié.es de laccueil nourrissent envers les personnes accueillies. Si lon ajoute à ça lurgence dont on parlait plus tôt, on se retrouve assez vite dans une panade bien grisâtre dans laquelle une poignée de gens contrôle et confisque la mobilité toi tu restes, toi tu pars dune majorité dexilé.es. Ce contexte est propice à des débordements de plus en plus fréquents, où lattitude contrôlante est si brutale quelle semble inspirée par un vrai sadisme, ou par une sorte de délire de puissance que la fatigue et le stress ne suffisent pas à justifier.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Voici quelques extraits de dialogues quon a pu entendre dans le bureau de laccueil du Refuge : « Tes bien content de dormir et manger gratuitement ici, hein? Mais ça peut pas durer ! Tu as trois jours pour acheter un billet et partir! » « [en pleurant:] Mais je nai pas dargent et je ne sais pas où aller ! » « Et ben tu vas te le faire prêter, largent, ou alors tu partiras en stop ! »&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Ou encore, à une personne en manque de Lyrica: « Tu veux ta dose ? Il faut que tu achètes un billet pour Grenoble et je vais te la donner, ta dose ! »&lt;sup id="fnref:7"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:7"&gt;7&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;FAUT CONCLURE&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Accueillir cest aussi contrôler. Cest se rendre responsable de quand part qui et parfois où, sans trop savoir pourquoi. En ce sens, la contrainte ne prend pas toujours la forme dune interdiction. Au Refuge bien souvent la contrainte oriente, elle rassure, elle encourage, elle donne à des futurs flous des contours nets pour les faire advenir vite, très vite, parce quil faut faire de la place. La contrainte se fait douce&lt;sup id="fnref:8"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:8"&gt;8&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;, quand elle nest pas ouvertement horrible.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;LA SOLUTION (PUISQUON LA PROMISE)&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;La solution que nous proposons a lavantage de sadapter à presque tous les picotements de conscience (réels ou factices) des personnes qui détiennent un pouvoir sur les autres. Elle consiste à simplement arrêter de lexercer, ce pouvoir, à regarder un peu ce qui se passe, et à prendre des notes si possible. La jauge va exploser de mai à la mi-octobre&lt;sup id="fnref:9"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:9"&gt;9&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;, comme lannée passée, et celle davant encore, ce qui pourrait provoquer autre chose que la fin du monde. Les portes des trois étages vides pourraient finir par souvrir, par exemple. Celleux parmi les propriétaires et les membres du CA qui voudraient les refermer seraient obligé.es de sexposer publiquement, elleux et les limites si mesquines de leur charité. Un tel geste pourrait même faire gagner un peu de sympathie à linstitution épuisée quest le CA du Refuge, dont la politique demeure incertaine, parfois suspecte, et toujours décevante, voire un peu collabo, comme quand ses membres sépoumonent dans les oreilles du préfet, des député.es et des ministres, quenfin yen a marre, il faut agir, ya trop de migrant.es par chez nous. Il pourrait arriver plein de choses, sérieux. Le « russe » pourrait même retrouver le sommeil, ou un.e bonne avocat.e.&lt;/p&gt;
&lt;div class="footnote"&gt;
&lt;hr&gt;
&lt;ol&gt;
&lt;li id="fn:1"&gt;
&lt;p&gt;Le Refuge Solidaire est un lieu daccueil temporaire des personnes exilées traversant la frontière franco-italienne.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:2"&gt;
&lt;p&gt;Soupe darguments régulièrement servie à quiconque questionne la jauge le plus souvent des bénévoles un peu inquièt.es de mettre des gens à la porte ou des éxilé.es peu désireux.es de se retrouver à la rue.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:3"&gt;
&lt;p&gt;Entendez : cest pour le bien des personnes exilées quon les met dehors, et puis de toute façon on na pas le choix, le refuge ne peut quand même pas accueillir toute la misère du monde (sans le soutien de lEtat qui, lui-même la déjà dit, ne peut pas non plus accueillir toute la misère du monde). Voilà on laisse ce tacle en bas de page pour éviter de trop froisser celleux qui ne sidentifieraient pas à la colère qui infuse ce petit article (pour linstant).&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:4"&gt;
&lt;p&gt;Suspense de ouf.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:4" title="Jump back to footnote 4 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:5"&gt;
&lt;p&gt;Cest pas nous qui le disons cest Joseph Masco, un très chouette anthropologue qui travaille sur linstrumentalisation politique des fins du monde aux Etats-Unis, dans un article (en anglais sorry) qui sappelle The Crisis in Crisis.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:5" title="Jump back to footnote 5 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:6"&gt;
&lt;p&gt;Cest une autre soupe, elle aussi indigeste, quon sert parfois au refuge quand la première na pas suffi.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:6" title="Jump back to footnote 6 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:7"&gt;
&lt;p&gt;Au moment où cet article était déjà écrit en large partie, nous avons appris une nouvelle déconcertante: une personne salariée du Refuge venait dêtre mise à pied et soumise à enquête parce que accusée dabus de pouvoir sur fond sexuel envers les exilé.es, notamment dans lapplication des mesures mise en place pour respecter la f***ue jauge. Cette histoire touche trop de près le sujet de notre article pour que nous ne la mentionnions pas, mais, dun autre point de vue, elle est beaucoup trop complexe, délicate et troublante, pour quon laborde de manière précipitée. Nous considérons par ailleurs quelle nenlève rien aux opinions que nous exprimons ici. Au contraire, elle corrobore notre indignation. Et, pour le reste, lévènement donne une couleur particulièrement sinistre au ton de certains de nos propos, que nous ne considérions pas, au moment de lécriture, à ce point allusifs.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:7" title="Jump back to footnote 7 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:8"&gt;
&lt;p&gt;Puisquil faut rendre à César ce qui appartient à César, lidée dune contrainte positive dun pouvoir qui dit oui, vas-y ! plutôt que beh non tu peux pas faire ça en fait a été pensée et théorisée en grande partie par Michel (Foucault).&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:8" title="Jump back to footnote 8 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:9"&gt;
&lt;p&gt;Et ben non ! Le Refuge a décidé le 30 août de fermer ses portes et que plus personne ne rentre. Au moment où nous envoyons RAVAGES à limprimerie, il ny a plus de lieu daccueil inconditionnel à Briançon, à part un squat sans eau (le Pado) et sous menace dexpulsion imminente. Ça nous fait tout drôle, à RAVAGES, cette sensation davoir été, pour une fois, presque TROP OPTIMISTES ?!&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:9" title="Jump back to footnote 9 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;/ol&gt;
&lt;/div&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>Lexique : frontière</title><link href="/lexique-frontiere.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/lexique-frontiere.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI pour aller plus vite), parce que cest celle quon habite, quon connaît un peu mieux que les autres, et depuis laquelle on écrit la plupart de cette revue. Pour celles et ceux qui, pris dun grand coup de flemme, ne souhaiteraient pas lire la suite, ce quon y dit est plutôt simple : la frontière est une construction juridique historiquement récente, difficilement séparable des idées dEtat et de territoire, et dont la forme, le tracé et les modalités changent constamment. Le fait que les frontières nationales correspondent parfois à des frontières dites naturelles na rien dévident : cest le fruit dun processus politique qui, depuis plusieurs siècles, inscrit lEtat et ses limites dans une « nature » qui les précède et légitime leur existence.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Le rétablissement des contrôles didentité et le renforcement des effectifs policiers le long de la frontière franco-italienne ont fait de « la frontière » un objet ordinaire dans le Briançonnais. Pour les mi-litant.es du coin, « la frontière » est une réalité quotidienne : on larpente, on la dénonce, on essaye, le plus possible, de la rendre inutile, mais jamais ou presque on ne remet en question son existence. La frontière fait partie du décor. Et si elle apparait sur nos cartes de randonnée comme une ligne nette et bien tracée, peu de choses indiquent, dans nos paysages frontaliers, quici se trouve la limite dun territoire. A la différence des murs de barbelés érigés en Grèce, en Espagne ou en Hongrie, la frontière franco-italienne reste relativement intangible. Et pourtant, « la frontière » structure mouvements, pensées et luttes avec autant dévidence que si cétait un mur. Cest pour détricoter un peu de ce sens commun que nous analysons ici le mot
« frontière », les ambitions territoriales quil reflète et les réalités sociales quil impose.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;FICTION JURIDIQUE&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;La frontière est avant tout une invention juridique, qui délimite dans lespace là où sapplique le droit national, et là où il ne sapplique pas. Elle est légitimée chaque fois que des accords bilatéraux ou internationaux viennent réguler les relations entre les Etats, et donc leur existence. Entre lItalie et la France, cest laccord de Chambéry qui régule les relations frontalières et facilite, entre autres, le refoulement des personnes exilées quand elles se font arrêter. Mais comme elle nest ni immuable, ni nécessaire, la frontière en tant que construction juridique change assez régulièrement.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;A la fin des années 1980, la construction de lespace Schengen a « ouvert » la frontière entre la France et lItalie en mettant fin aux contrôles didentité lorsquune personne passait dun territoire à un autre. Une exception à cette règle persiste depuis en droit pénal : au sein dune zone frontalière de 20km à partir de la ligne officielle, une personne peut toujours faire face à un contrôle didentité, si elle est recherchée ou si elle commet une infraction.
En 2015 cette frontière sest partiellement refermée. LEtat a établi une liste de 285 points stratégiques, appelés points de passages autorisés (PPA), autour desquels les contrôles didentité ont été légalisés, sans que personne ne soit ni recherché ni pris en flagrant délit de quoi que ce soit. Officiellement ce rétablissement des contrôles aux frontières ne pouvait durer que 6 mois, et nêtre renouvelé que pour une durée totale de deux ans. Pourtant, cela fait maintenant 8 ans que la police contrôle, expulse et enferme le long de la frontière sans aucune base légale.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Quant à celles et ceux qui ont le malheur darriver tout droit de plus loin dun pays extérieur à la zone Schengen lEtat a là encore une solution. Depuis 1992, des zones appelées « zones dattente » il y en a presque 100 en France permettent aux autorités de contrôler lidentité des gens et de les immobiliser, jusquà 26 jours, dans les ports, les aéroports et les gares internationales. En 2003, ces zones ont été étendues des points de débarquement à leurs environs, ce qui implique, en clair, que toutes les côtes françaises sont désormais des lieux où les immobilisations arbitraires sont possibles, et légales.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Fiction juridique, la frontière nen est pas moins réelle pour celles et ceux qui la traversent chaque jour sans la bonne couleur de peau, ou à défaut les bons papiers. Et si elle reste une construction historique relativement récente, cest dans le registre de luniversel que la frontière puise sa légitimité, jusquà devenir une évidence territoriale, une sorte de sens commun dans la manière dont nous envisageons lespace. Pourtant, et cest ce qui nous intéresse dans la partie suivante, les frontières nont rien de naturel, et leur adéquation avec certains traits de paysage comme les rivières ou les montagnes est elle aussi une fabrication nationale.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;FRONTIÈRES SYNTHÉTIQUES&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Au XVIIe siècle le mot « frontière désignait une ligne de front, celle qui se tenait face à lennemi, peu importe que celui-ci se trouve au milieu ou en périphérie dun territoire donné. La « frontière » délimitait une zone de défense. Cest au siècle suivant que frontières militaires et frontières nationales ont commencé à coïncider, dans les écrits officiels comme dans ceux des Lumières, qui sévertuaient alors à ancrer la nation dans un territoire propre. Bien souvent cest dans le paysage que les philosophes allaient piocher pour donner à la nation ses limites. Pour Rousseau ou Montesquieu, la nature avait établi sur Terre les frontières idéales de la France et des autres Etats : le Rhin, les Pyrénées et les Alpes fournissaient à la jeune nation française des limites toutes trouvées. Cest la Révolution, autrement dit, qui nationalisa lidée dune frontière dite naturelle, et naturalisa celle des frontières nationales.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Dans son histoire du Rhin, Lucien Febvre retrace les enjeux nationalistes du fleuve qui marque la frontière entre lAllemagne et la France. Alors que depuis le XVIe siècle le Rhin était considéré en Allemagne comme un fleuve sacré et sacrément national, lhistorien démontre au contraire comment le fleuve fut, au cours de lhistoire, un lieu déchanges économiques, culturels et linguistiques. Le fleuve, comme la frontière quil trace dans la géographie européenne, figure non pas comme un donné naturel mais comme un produit de lhistoire humaine, et loutil naturel dune politique nationaliste.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Les montagnes, comme les fleuves, ont souvent fait lobjet dune frontiérisation, cest-à-dire de la projection de logiques étatiques sur des paysages dont rien nindique, a priori, quils appartiennent à tel ou tel pays ou quils séparent des nations entre elles. Dans les Pyrénées, la construction des Etats français et espagnol est allée de pair avec linvention de la montagne comme frontière naturelle. Le développement de la cartographie par les monarchies de lépoque à des fins commerciales et souveraines contribua à transformer montagnes et vallées en une ligne frontalière qui depuis Paris ou Madrid facilitaient peut-être lorganisation du pouvoir, mais dont le tracé sur place semblait bien arbitraire. Dans les Alpes, cest la ligne de partage des eaux, le long des crètes, qui marque les limites entre la France, la Suisse et lItalie.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;En France comme ailleurs, pourtant, les montagnes font souvent de piètres frontières. Difficilement contrôlables, elles offrent à celles et ceux qui apprennent à les connaitre des couloirs, chemins, passages et autres conduits pour creuser des trous dans le dispositif sécuritaire de celleux qui pensaient que dun relief, on pouvait faire un mur. Les histoires de contrebande et de mobilités ne manquent pas pour illustrer les liens entre montagne et clandestinité. Il faudrait donc envisager la frontière comme un projet ou une aspiration étatique plutôt que comme une réalité géographique. Il y a un côté téléologique à la frontiérisation, cest-à-dire que les frontières dessinées sur nos cartes correspondent moins à une réalité physique quà une ambition territoriale, à la fois incomplète et sans cesse contestée.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;FRONTIÈRES INCARNÉES&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Si les frontières nationales ont finalement peu dancrage dans la réalité matérielle fluviale, géologique, environnementale du monde, elles ont cependant des effets dévastateurs sur celles et ceux qui osent franchir ces lignes souvent invisibles sans y avoir été préalablement invité.es, soit par leur capital, soit par leur couleur de peau. Cest-à-dire que la frontière fait le tri, entre celleux qui la traversent sans même sen apercevoir et celleux qui cherchent à éviter son contact, parce que la rencontrer cest risquer de se faire suivre, poursuivre, et arrêter. Pour la géographe Anne-Laure Amilhat-Szary, la frontière est devenue un outil de hiérarchisation des vies et des mobilités ; une condition dexclusion du non-citoyen, dont la mobilité est toujours considérée comme a priori dangereuse.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Il ny a pas quen zone frontalière que la frontière opère ces distinctions. Comme le dit Grégoire Chamayou, on a, « au prétexte de faire respecter une frontière territoriale, créé sur le territoire une frontière légale entre ceux qui peuvent être protégés par le droit et ceux qui ne le peuvent plus ». En dautres termes, les frontières continuent dopérer des distinctions et des exclusions sociales bien après quelles ont été franchies par celles et ceux dont la mobilité est jugée indésirable. La frontière est portable. Ne pas avoir les bons papiers, cest la transporter avec soi. Celles et ceux qui incarnent la frontière en portent le poids quotidiennement. Dans les bureaux de ladministration, la frontière prend la forme dune attente : limmigré.e est celui ou celle que lon peut faire attendre, que lon soumet aux temporalités de la bureaucratie, que lon domine par le temps. La frontière perdure aussi dans les corps de celleux qui lont franchie en tant que traces, en tant que marques somatiques qui attestent de violences subies et que lEtat ausculte comme autant de preuves de persécutions passées contre lesquelles mesurer la parole sans cesse mise en doute des demandeur.euses dasile.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Mais la frontière simmisce aussi et surtout dans le quotidien de celles et ceux qui lont franchie en tant que déportation possible. Pour lanthropologue Nicholas de Genova, cest la possibilité de la déportation ce quil nomme deportability plus que la déportation elle-même ce quil appelle deportation qui nourrit lexclusion des sans-papiers sur un territoire donné, et facilite leur exploitation par le capital. Peur, hypervigilance et résignation donnent à la frontière dont lexistence matérielle semble maintenant secondaire une dimension affective. Cest à grand renfort de surveillance, dintimidation et de harcèlement que lEtat cultive la précarité des sans-papiers et la condition de dé-portabilité qui les rend particulièrement vulnérables à des formes dexploitation contre lesquelles lEtat le même prétend par ailleurs lutter.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La frontière est donc à la fois synthétique et incarnée. Autrement dit, elle nest ni naturelle, ni immobile. Elle nest devenue évidente, en tant que manière dappréhender lespace, quà grand renfort de cartographie étatique traçant autour de nations mouvantes des limites fixes. La frontière nest pas neutre. Elle ne représente pas lespace de manière objective. Au contraire cest une construction, juridique et historique, qui, en divisant lespace entérinait surtout lidée que dautres séparations, entre les gens cette fois, étaient à la fois nécessaires et naturelles.&lt;/p&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>L'intégration à coups de patates</title><link href="/lintegration-a-coups-de-patates.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/lintegration-a-coups-de-patates.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de jour comme de nuit. Dans le salon où nous nous sommes rencontrés il y avait P., de Côte dIvoire, R., du Burkina Faso et M., qui vient du Pakistan. On a parlé de leur vie en Ile de France, de leurs relations entre eux et de celles quils ont avec les éducateur.ices, depuis quils ont emménagé au foyer il y a quelques mois. Dans lentretien qui suit on parle surtout de nourriture : des repas préparés et partagés entre les quatre murs du foyer, de listes de courses qui se perdent, de sorties sous tutelle au supermarché du coin, dinterdictions, de contraintes, de lobstination de certain.es éducateur.ices à préparer des plats français, parce que cest important pour lintégration des jeunes, iels disent.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Car lintégration est une affaire de patates. Et de crème fraîche, aussi. Dans les repas préparés et échangés au foyer le soin se mêle au contrôle, et le don à la menace. Parce que les jeunes du foyer ne sont pris en charge par lAide Sociale à lEnfance (ASE) quen tant que mineurs (et parce quils ont été reconnus comme tels, ce qui nest pas le cas de toustes), ce ne sont ni des citoyens ni de simples « migrants », terme qui semble sappliquer seulement aux adultes en situation dexil. En dautres termes, ils ne sont accueillis institutionnellement quen tant quenfants. Ce sont un peu des apprentis citoyens, des mineurs sur la sellette de la légalité qui doivent faire les preuves de leur désir dintégration pour maintenir un statut régulier, une fois majeurs. Être à la fois enfant et étranger en France, cest devoir se plier à des formes de soin baignées dinjonctions à être un « bon MNA », cest-à-dire un MNA qui correspond aux normes de la blanchité : un MNA fort à lécole, sage à la maison, et respectueux des éducateur.ices qui lentourent. Dans limaginaire collectif qui reste un imaginaire nationaliste létranger est un peu lenfant du citoyen, et lenfant létranger des adultes, faisant des MNA enfants et étrangers les cibles dune double infantilisation, au nom de leur minorité et de leur étrangéité.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Doublement enfants, les MNA du foyer sont souvent en partie privés de leur autonomie. Les éducateur.ices qui travaillent avec eux leur disent quoi faire de leur temps, de leur argent, ce quil faut manger et comment, en faisant abstraction de leurs désirs, envies et besoins. Tout cela sous couvert de bons sentiments qui étouffent, autant quils maintiennent lillusion baroque selon laquelle la citoyenneté serait une manière dêtre et de se tenir, à table comme ailleurs.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Depuis quon est arrivé cest les éducateurs qui font à manger pour nous. Quand le Ramadan a commencé, on voulait pas déranger les éducateurs pour nous faire la cuisine, parce que cest un mois sacré pour nous, il faut quon mange bien pour bien passer le Ramadan. Les repas quils nous faisaient, bon… on mangeait parce quil faut manger pour notre faim, même si ça passe pas, on boit de leau par dessus et ça passe. Quand le Ramadan a commencé cest M. [un jeune accueilli par lassociation] qui faisait la cuisine, et moi jaidais beaucoup, on mangeait à quatre heures du matin, on faisait du riz, du couscous, du poulet, on a mangé beaucoup pendant le Ramadan.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Et les éducateurs ils faisaient quoi à manger?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Des repas français. Quand le Ramadan est fini, M. a décidé darrêter de faire la cuisine, moi aussi javais pris ma décision, mais souvent on est là à midi ou une heure et ya personne pour faire la cuisine, donc on est obligé de faire des trucs à manger. On fait ce quon veut à manger. Ils font aussi ce quils veulent, les éducateurs, il préparent ce quils veulent, même si cest pour nous. Souvent cest Z. [une éducatrice] qui nous demande ce quon veut manger, ce quon a prévu de faire, moi je dis tout me va, jai aucun problème avec la nourriture, cest elle qui faisait beaucoup. Mais L. [un éducateur] une fois il a fait un truc que moi jai pas aimé. Quelque chose avec des pommes de terre, je sais plus comment ça sappelle [une tartiflette]. Après jai eu mal au ventre, jai mangé pour ne pas le décourager, parce que M. na pas aimé non plus, donc moi jai ajouté un peu de sel et jai mangé pour le motiver, mais après jai regretté, il fallait pas le manger son plat mais javais pas le choix.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Et tu lui as pas dit que tu voulais pas le manger?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Non, je lui ai même pas dit que cest pas bon, que je naime pas, je lui ai même pas dit, parce que M. lui avait déjà dit quil aimait pas, il a gouté et il a arrêté de manger, donc jai mangé pour quil soit plus à laise, jai mangé avec beaucoup de sel et après jai eu mal au ventre, mais cest passé. Depuis L. a fait dautres plats. Même aujourdhui il a fait une blanquette de veau, parce quon est allé regarder le match de foot et yavait personne pour faire la cuisine, donc cest lui qui nous a préparé la sauce.
[Pendant que P. parle, X, un autre jeune accueilli, pose une cagette de provisions sur la table du salon.]&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Tas ramené quoi sur la table ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;X:&lt;/strong&gt; Ça, ça vient des Restos du Coeur. Depuis quon la pris aux Restos du Coeur personne ne la mangé. Ça, cest pareil. Ça, cest de la crème fraiche, tu peux la jeter. Jai fait une liste mais personne na acheté ce que jai demandé. On peut parler des courses ? Concernant les courses, ya quelques éducateurs qui font comme sils étaient chez eux. Par exemple, un jour on a fait une liste, et quand léducatrice est arrivée elle a laissé la liste quon avait écrit et elle a acheté ce quelle voulait, et maintenant il parait quil nous reste plus assez de budget, mais elle, elle a acheté ce quelle voulait, de la crème fraiche, du café, pourtant il y avait déjà du café, mais elle en a racheté au lieu dacheter ce que nous on avait écrit. Elle a acheté ce quelle voulait, parce que cest elle qui fait les courses ici. Ya beaucoup de choses quils achètent [les éducateurs], bon, si tachètes et que tu fais la cuisine pour nous, si on ta dit que cest bon, alors on peut accepter, mais si on mange pas ce que tu cuisines, cest pas acceptable.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Et vous allez jamais faire les courses vous-mêmes?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Bien sûr, avant on allait faire les courses une fois par semaine, mais depuis le mois du Ramadan on a arrêté. Seulement hier on est retourné faire des courses, on est parti tous les trois, on a fait une liste, et un éducateur nous a dit quon navait plus de budget et quon devait faire attention. Quand on est allé au supermarché on a compté. Jai dit à léducateur qui était venu avec nous, trente-cinq euros pour finir le mois, on ne peut pas acheter tout ce quon veut, donc jachète, et si le budget finit tu dis au chef que ce mois-ci on a dépassé le budget, pour quil puisse compter sur le mois prochain. Il a dit « non, je vais me faire engueuler par le chef ». Moi jai laissé le chariot sur place et je suis rentré à la maison. En rentrant il ma crié dessus, il ma dit que je métais mal comporté avec lui.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;X:&lt;/strong&gt; Ici on a 150€ par mois pour la nourriture, par personne [ils sont six], et à part Z. qui amène sa nourriture à la maison, les autres ils mangent ce quil y a dans le frigo. Si quelquun vient et ne cuisine pas, il ne devrait pas manger avec nous. Mais si la personne cuisine, elle peut manger avec nous, cest donnant donnant. Est-ce que vous êtes ici pour cuisiner ou est-ce que vous êtes ici pour manger notre argent ? Sils cuisinent ça peut aller. Quand L. a dit quon navait plus dargent ça ma étonné, parce quon nest pas allé faire les courses depuis le Ramadan, cest les éducateurs qui amènent à manger. On na pas pu acheter pour 900€ de nourriture en deux semaines, cest pas possible.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Est-ce que vous allez aussi au Secours Populaire ou aux Restos du Cœur pour les courses ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Avant on partait, quand le budget de la nourriture cétait 900 euros, on partait chaque mercredi, et quand ils ont ajouté 100 euros sur le budget, ce qui fait 1000 euros, on nous a dit quon nallait plus aller là-bas. Jai dit daccord. Jusquà présent personne nest retourné là-bas parce que la déci-sion vient du chef. Nous on ne peut plus rien dire. On a même fait deux jours, il ny avait plus rien dans le frigo, on a parlé avec léducateur, il a dit quil pouvait pas aller faire les courses. Alors jai fait en sorte quon puisse avoir à manger, je crois que cétait la pomme de terre que javais fait, jai cuit les pommes de terre avec les œufs, cest ça que jai fait à manger. Il ny avait pas de poulet, il ny avait pas de riz, pas de couscous. Même jai parlé avec le directeur ici, à la réunion, il a dit quon pouvait faire une liste de courses mais ce que les éducateurs achètent on est obligé de laccepter. Il dit « si tout à lheure L. part acheter de la crème fraîche, et si toi tu naimes pas, tu le manges quand même, cest un plat français. »&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Et vous en pensez quoi quand ils vous disent des trucs comme «Il faut manger français, cest important pour votre intégration» ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; On peut manger des plats, de la nourriture française, quand nous sommes arrivés cest ce quon mangeait, puisquon navait pas commencé à préparer nous-mêmes à manger. Cest les éducateurs qui préparent à manger, mais nous aussi on veut essayer de faire des trucs, laissez-nous tranquillement faire notre truc, on se met à laise et ça passe. Nous on veut juste pouvoir faire nos courses, et eux [les éducateurs] ils sont là pour signer les reçus, même pas pour payer avec leur argent, pour signer le reçu seulement. Après on revient à la maison. Cest ce quon veut.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Ya dautres choses que vous navez pas le droit de faire ici ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Un jour un ami ma envoyé de la semoule de manioc, que nous on appelle en Côte dIvoire de lattiéké, quon mange beaucoup avec la main, jamais avec une cuillère, même les riches ils mangent avec la main. Ce jour-là jai fait de lattiéké, avec des haricots, des œufs, et on a mangé avec A. [un jeune pris en charge par lassociation]. On était à laise, on mangeait, et moi mon plat était un peu caché, parce quun éducateur était là mais il voyait pas, et quand il est rentré dans la cuisine il a vu A., et il a commencé à dire « Mais quest-ce que tu fais ? » Moi je parlais pas, je mangeais, et léducateur a commencé à crier sur A., « Les gars ça se fait pas ici, on na pas le droit de manger avec la main. » Il a continué à parler, mais moi à un moment jai pris la parole et on sest engueulé. Il a dit « et si Emmanuel Macron il arrive tout à lheure, est-ce que tu mangeras avec la main? » Jai dit « il est où Emmanuel Macron? Je sais que la France cest pour toi, mais la Côte dIvoire cest pour moi, je mange avec la main, tu peux pas me forcer à manger avec une cuillère », parce quon est chez nous ici, même si cest pas chez nous, on dort ici, on mange ici, on fait tout ici, donc cest chez nous. Il me dit « Et si on te voyait dans un restaurant ? » Je lui dis « Déjà moi jaime pas aller dans les restaurants, jaime pas, je préfère manger chez moi, à laise, tranquille, je bois mon eau et jai fini. » Avec un repas au restaurant ça me fait deux semaines de courses à la maison, donc chez moi cest mieux. Après dautres éducateurs sont arrivés et nous ont dit quon ne pouvait pas manger avec la main. Nous on a dit, « quand on mange, allez dans le bureau, fermez le bureau, et laissez-nous manger dans la cuisine. Vous êtes là pour travailler avec nous, pas pour venir faire votre loi comme vous faites avec vos enfants. » Ca sest passé comme ça avec eux. Après le chef est venu, il a essayé de nous obliger à manger avec une cuillère ou une fourchette, il a dit « parce que quand vous allez commencer votre apprentissage, vous allez manger avec des collègues, et si vous mangez avec votre main... » Jai dit « Déjà jai pas encore commencé lapprentissage, et quand je commence, si je vois que tous mes amis ont des cuillères, moi aussi je vais prendre une cuillère, je vais pas manger devant eux avec ma main. Mais ici je suis chez moi cest pour ça que je mange avec la main. » Si jai envie de manger avec ma main, je mange avec ma main. Tout est comme ça ici. Hier jai dit au nouvel éducateur, « Ici je vis dans une petite prison. Je vis dans une petite prison. »&lt;/p&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</title><link href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui est alors devenue un véritable sous-traitant du droit à lasile, et procède depuis à laccueil des personnes qui arrivent sur son territoire.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Nombreuses sont les personnes qui osent tout de même la traversée, par voie terrestre ou maritime, vers lEurope. La frontière gréco-turque est depuis devenue un lieu sinistre où les exilé.es sont soumis.es aux règles dun ping-pong meurtrier et confronté.es, dannée en année, à toujours plus de monstruosités : «encampements», travaux forcés, mois dattente puis de renvois, tentatives de traversée ratées, violences physiques et psychologiques, manque de sommeil, de nourriture et de soins.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Au paroxysme de cette politique migratoire violente et violatrice des droits les plus fondamentaux se trouve le recours quasi systématique aux refoulements, ou « pushbacks ». Pour répondre à nos questions sur cette pratique, nous avons contacté Marion, avocate au Legal Centre Lesvos (LCL) en Grèce.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;Ravages: &lt;/strong&gt; Depuis quand les pushbacks existent-ils en Grèce ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;Marion :&lt;/strong&gt; Cest une pratique bien connue depuis le début des années 2000 à la frontière terrestre dans le nord de la Grèce. Pour les renvois en pleine mer, avant 2020 cétait plus rare, on avait seulement connaissance de quelques épisodes isolés. Une fois la pandémie [de COVID] déclarée, les autorités grecques en ont profité pour instaurer cette nouvelle pratique de refoulements illégaux et clandestins. Avec des durcissements législatifs successifs du droit dasile survenus en parallèle, cest clairement devenu la norme.
En Grèce, la frontière terrestre dEvros étant une zone militarisée fermée au public, les ONG nont pas daccès officiel, et cest difficile de savoir ce qui sy passe. Le même problème se pose pour les refoulements en mer Egée, ou les opérations de recherche et sauvetage sont interdites aux ONGs. On a donc mis un peu de temps avant de comprendre le phénomène des refoulements qui est devenu systématique et généralisé.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R: &lt;/strong&gt; Comment ça se passe ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;M : &lt;/strong&gt; La majeure partie des personnes qui traversent la mer Egée pour demander lasile sont refoulées généralement au moins une fois, et le plus souvent, elles subissent des violences physiques ou verbales. Le modus operandi se répète : les personnes arrivent sur une des îles grecques, souvent dans une forêt ou sur une plage, et souhaitent se présenter aux autorités pour demander lasile.
Une fois localisées par les autorités, elles sont forcées par des hommes armés et cagoulés à entrer dans des vans ou dautres véhicules, souvent banalisés et sans immatriculation. Les personnes sont ensuite obligées à monter sur les bateaux des garde-côtes et sont emmenées à la « frontière » avec les eaux turques. Elles sont abandonnées en mer sur des canots de sauvetage sans moteur, sans moyen dappeler au secours, mais aussi sans eau, sans nourriture, ni gilet de sauvetage, jusquà ce que les garde-côtes turcs les récupèrent. La dernière enquête du New York Times sur le sujet du mois de mai 2023 est un exemple poignant de cette pratique sur lile de Lesvos.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;A Evros, au nord de la Grèce, à la frontière terrestre, les personnes en exil sont souvent détenues dans des endroits non officiels et même parfois dans des commissariats de police frontaliers. Dans tous les cas, le vol de leurs papiers et de leur argent est systématique, une recette lucrative estimée à 2 millions deuros selon une enquête des journaux Solomon et El Pais. Les téléphones aussi sont volés. Cest pourquoi documenter ces pratiques est très compliqué. Tout étant fait pour ne pas laisser aux personnes subissant ces mesures la possibilité de garder les preuves du traitement subi. La méthode est clandestine, maîtrisée et couteuse.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Les personnes refoulées de la sorte vers la Turquie se retrouvent sans papiers, sans téléphone pour prévenir leurs proches, sans argent, et risquent un passage en détention. Ce sont des mois et des mois de perdus pendant lesquels il faut travailler, se cacher et espérer collecter assez dargent pour repartir.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R: &lt;/strong&gt; Qui pratique les pushbacks?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;M : &lt;/strong&gt; Il est compliqué davoir une réponse précise, car les hommes sont en principe cagoulés et habillés de noir, sans matricule ni signe distinctif. Ils opèrent toutefois depuis, ou avec des bateaux des garde-côtes grecs. Ce sont vraisemblablement des agents au service des garde-côtes, ou des gardes eux-mêmes. Ils sont méthodiques et armés. Pour gérer de nombreuses personnes en mer, il faut être bien entraîné. A la frontière terrestre, certains témoignages relatent la présence de la police grecque. Dans ces zones frontalières, plusieurs jeunes grecs, en devenant gardes frontières, voient un moyen de bien gagner leur vie et de trouver un emploi stable. Comble du cynisme, à Evros, les autorités grecques exploitent des personnes migrantes pour organiser les pushbacks et repousser les exilés sur la rivière Evros du côté turc.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R: &lt;/strong&gt; Et avec quel argent ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;M : &lt;/strong&gt; On a déjà entendu la commissaire à lUnion européenne Yvla Johansson dire que la Grèce doit être « le bouclier de lUnion ». Elle réagit toujours après les publications darticles accablants sur le sujet des pushbacks en Grèce, mais au final rien ne bouge et rien ne change. Donc pour le Legal Centre Lesvos, cest évident que lUnion européenne valide ces pratiques, autant par le manque de positionnement clair que par le financement direct attribué aux opérations aux frontières. Chaque année, des millions deuros sont alloués pour les interventions aux frontières en bateaux, drones, radars, caméras infrarouge, caméras thermiques et autres technologies toujours plus sophistiquées… Et tout cela sans compter largent dédié à lagence Frontex5 ! Cest donc difficile de croire que lUE nest pas complice... Largument de lEtat souverain gardien de ses frontières a alors souvent bon dos pour dire que cest aux Grecs de ré-agir, mais lUnion Européenne demeure en grade partie le trésorier de ces pratiques. Ces politiques sont donc indirectement payées par nous toustes...&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R: &lt;/strong&gt; Quelle est la stratégie du Legal Centre Lesvos, en sachant que votre terrain daction est celui du plaidoyer et du combat juridique ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;M : &lt;/strong&gt; Les actions intentées devant les tribunaux nationaux grecs étant systématiquement classées sans suite, sans que des enquêtes indépendantes et sérieuses ne soient menées, nous avons été for-cé.es de saisir la Cour Européenne des Droits de lHomme (CEDH) pour tenter dobtenir une prise de position officielle dune institution, et surtout une réparation pour les victimes. 32 demandes, incluant deux cas représentés par le Legal Centre Lesvos, ont été communiquées à la Grèce en décembre 2021, et sont actuellement en attente dune décision. Dautres plaintes ont été déposées mais nont pour linstant toujours pas été étudiées, malgré les preuves déposées, sans que nous sachions pourquoi. Largumentaire juridique dans ces cas est majoritairement basé sur larticle 2 de la Convention Européenne des Droits de lHomme mise en danger de la vie dautrui , larticle 3 traitements inhumains, dégradants et tortures , et larticle 5 détention arbitraire. La Grèce est le seule pays de lUnion européenne qui na jamais ratifié le protocole 4 de la Convention consacrant le principe dinterdiction des refoulements et linterdiction des expulsions collectives ce qui, de fait, exclu une condamnation sur ce seul fondement.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Nous espérons une « décision position » de la CEDH, mais ne sommes tout de même pas certains que cela mènera à une amélioration de la situation aux frontières. Dans dautres affaires, nous avons déjà vu la Cour justifier les pratiques de refoulement en invoquant le fait que les personnes en migration doivent utiliser les « points dentrée officiels » pour demander lasile. Cet argument est toutefois inopérant : le deal signé entre lUE et la Turquie est justement fait pour que les Turcs retiennent les personnes exilées sur leur territoire et les empêchent de venir en Europe. Ces points dentrée, cest pour les touristes et les achats de cigarettes moins chères, aucune chance dy demander lasile. La plupart des plaignant.es que nous représentons ont depuis réussi à migrer dans dautres pays de lUE et ont été reconnu.es réfugié.es là-bas. Il est primordial de continuer de dénoncer ces méthodes illégales aux frontières malgré la pression accrue sur les ONGs et le monde militant. La Turquie et la Grèce instrumentalisent au maximum le sujet chacune de leur côté. En Turquie, certaines institutions publient et dénoncent le traitement grec des personnes en migration. Elles tentent de calculer le nombre de pushbacks et déplorent publiquement que la Grèce financée par lUE gère si mal ses frontières. La Grèce quant à elle, dans son discours affirme quil sagit de la propagande dErdogan. La vieille rengaine entre les deux pays… et pendant ce temps rien ne change! Il faudra certainement encore des années dinvestigations et de dénonciation pour arriver à faire bouger la pratique, si une autre, encore plus dramatique, nest pas inventée dici là. La prochaine piste à explorer est de tenter de faire qualifier les pushbacks en tant que crimes contre lhumanité, et de se battre sur le terrain pénal.&lt;/p&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</title><link href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance à se dissoudre dans notre vécu ordinaire, emportant avec elle les personnes qui en subissent la ségrégation. Cet article veut montrer que cette invisibilisation ne va pas de soi, quelle est le résultat dimaginaires portés par des acteur.ices locaux qui font du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Inhabitable dans le sens où les personnes exilées sont au mieux considérées comme des « invités », au pire comme une masse nuisible, mais jamais ou trop rarement comme des personnes libres et fortes dun pouvoir dagir individuel et collectif. Des expériences collectives locales, allant des squats à certaines associations visant lémancipation des personnes apparaissent alors comme de potentielles sources dimaginaires territoriaux qui ninvisibilisent plus les exilé.es mais au contraire leur redonnent un peu dautonomie.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Non-respect des procédures de demande dasile par la police de lair et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places dhébergement durgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que lon peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE !&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;En 2007, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et ancien officier de la PAF, écrivait : « Dépassant les clivages humains qui ont conduit aux pires atrocités, Montgenèvre, par sa spécificité de commune transfrontalière, tend la main à ses voisins italiens pour créer ensemble une coopération au service des populations et de leur maintien en montagne. Ce lien va perdurer au-delà des années pour créer lun des plus beaux domaines skiables internationaux dEurope : La Voie Lactée ». M. Hermitte loue le «lien», « tend la main », coopère, comme si lépoque de la séparation des peuples était révolue. Pourtant, à Montgenèvre aujourdhui, la coopération entre la France et lItalie est surtout commerciale et policière. Un golf, une station de ski et une macabre partie de ping-pong avec les personnes exilées ; voilà les seules choses réellement transfrontalières à Montgenèvre. Le local de « mise à labri » où sont enfermées les personnes arrêtées alors quelles tentaient de traverser la frontière, est un Algeco dissimulé derrière le poste de police. Le vocabulaire officiel est pour le moins trompeur, car cette « mise à labri » se traduit quasi systématiquement par lenfermement illégal et le refoulement en Italie des personnes exilées. La fraternité prônée par M. Hermitte ne vaut quen tant quelle promeut le tourisme et efface dun même geste les questions migratoires. Ces mots datent. Mais aujourdhui encore, léquipe municipale montgenèvroise continue de louer le caractère « transfrontalier » de sa station, tout en réussissant lexploit de rester muette sur les enjeux migratoires, alors même que la situation locale fait régulièrement lobjet dune couverture nationale.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Le mutisme est aussi à lœuvre chez des acteur.ices dépendant.es de subventions, ou de marchés publics. Parmi elleux, des acteur.ices de la solidarité, de la culture et du tourisme font attention à rester « neutres », « apolitiques », à ne pas faire de vagues, une posture qui participe au maintien de lordre frontalier. La société de transport Resalp, par exemple, a choisi de collaborer avec la police. Cest ainsi que les chauffeur.euses de la ligne Montgenèvre-Briançon demandent aujourdhui les documents didentité à certain.es passager.es non-blanc.hes suivant une pratique ouvertement raciste et totalement illégale.
A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge Solidaire de ranger le linge pendu à ses fenêtres. Ça ne fait pas propre, et il parait que les habitants de Briançon le « vivent mal ». Lorsquun mort est retrouvé sur un chemin descendant vers Briançon, que le refuge solidaire bat des records daccueil à Briançon, les seules préoccupations dArnaud Murgia sont la « sécurité et la tranquillité des habitants ». Soucieuses que lopinion publique nassocie « personnes exilées » avec « insalubrité », des associations organisent au printemps des randonnées pour ramasser les habits abandonnés sur les chemins pendant lhiver, effaçant ainsi les traces des passages migratoires et de leur répression, se laissant prendre au piège de linvisibilisation. De manière générale, le Briançonnais se muséifie. La « préservation » du patrimoine et de lenvironnement sert dexcuse pour définir où est-ce que les personnes en situation dexil peuvent être hébergées, et quels usages sont tolérés. Le tout étant que ce, celles et ceux qui dérangent ne se voient pas, en particulier pour les touristes, qui ont le champ libre et un accès privilégié à lusage, voire à lusure, du territoire.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;SOLIDARITÉ DE FAÇADE&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Les mécanismes dinvisibilisation de la frontière sont dautant plus efficaces quils sont secondés par une redoutable stratégie de communication qui affiche le Briançonnais comme un territoire ouvert et accueillant, une stratégie consistant à créer une image officielle convenable, voire séduisante, et à limiter lexpression de récits alternatifs.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Une fresque murale représentant une personne noire qui traverse des montagnes, un festival se voulant « polychrome » affichant une programmation éclectique de musiques du monde, une station de ski transfrontalière : si on ne sait pas ce qui se trame autour de la frontière, le Briançonnais pourrait passer pour un territoire ouvert, presque solidaire. Après tout, le maire de Briançon et le préfet du département saffichent publiquement en soutien dun nouveau centre de vacances pour des personnes en situation de précarité. Cest que ça doit être des gars bien !&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La communication est bien ficelée. En saffichant publiquement comme soutiens de lassociation 82-4000 solidaires, qui vise à démocratiser la haute montagne, Arnaud Murgia et Dominique Dufour (le préfet des Hautes-Alpes) apparaissent « solidaires », sans pour autant remettre en cause les catégories sociales servant à discriminer laccès au territoire et aux droits. Les immigrés « légaux » (ou tolérés un temps) ont le droit de venir en vacances dans le Briançonnais, tandis que les « migrants », les « illégaux » peuvent toujours attendre à Oulx. En plus de cacher leur politique sécuritaire derrière une solidarité sélective, cette pirouette communicationnelle leur permet de se réapproprier la solidarité et de marginaliser les discours dopposition. Si la solidarité nappartient pas quaux militant.es, alors ceux-ci se caractérisent par leur radicalité, et peuvent être érigés en menace pour lordre public. Pourtant, cette solidarité de façade dissimule mal les priorités répressives de M. Murgia. On peut citer, à titre dexemple, le sort de la MAPEmonde, ancien service daide aux personnes étrangères de la MJC, qui na pas été maintenu dans le nouveau centre social intercommunal.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;DAUTRES RÉCITS EXISTENT…&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;La persévérance des associations et collectifs locaux fait que dautres récits existent sur le territoire et se diffusent jusque dans la presse et les réseaux (inter)nationaux : celui de laccueil, ou de la liberté de circulation. Néanmoins, ces récits peuvent aussi contribuer à entretenir la ségrégation quinstituent les frontières étatiques.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Nous opposons assez facilement à limage de montagne-frontière celle dune montagne-refuge, un récit qui sappuie sur limaginaire montagnard, et quelques formules de bon sens : « on nabandonne pas quelquun en montagne » ; « en refuge, on ne laisse personne dormir dehors, quitte à dormir sur et sous les tables », etc. Si ce récit peut correspondre à une certaine réalité, il comporte également un certain nombre de dangers. En ne nommant pas les violences racistes et sécuritaires qui rendent ces « refuges » nécessaires, il empêche de sattaquer aux problèmes de fond. Il fait aussi de la montagne un territoire dexception par rapport aux autres territoires, alors même que, par principe, la liberté de circulation devrait être défendue partout.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La mise en spectacle de lhospitalité et des maraudes crée dautre part une figure de héros-solidaire dont dépendent les personnes en exil pour arriver à bon port. Cest-à-dire quon naturalise lidée selon laquelle les « solidaires » seraient indispensables aux personnes en exil, ce qui revient à les priver de leur capacité daction et de leur autonomie. On recrée ainsi une situation de domination, dans laquelle le héros-solidaire confisque le pouvoir au lieu de contribuer à lémancipation des personnes quil prétend aider.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Comment alors faire exister des récits qui permettent lémancipation des personnes en exil, et démontent les structures racistes ? A lévidence, la première chose à faire est de rendre visible la ségrégation raciste que produit la frontière, et que les autorités cherchent à cacher. Reste ensuite à imaginer, et diffuser, des imaginaires territoriaux qui favorisent lémergence despaces et de structures sociales émancipatrices.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QUELLES FORMENT DES FORÊTS !?&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Lidée que tout le monde puisse circuler et sinstaller où bon lui semble peut paraître aussi absurde que le titre de cet article. Pourtant, lexpérience montre quil peut exister des structures sociales et des modes dorganisation collectifs qui permettent aux personnes exilées dêtre dans une posture dacteur.ices et de regagner de lautonomie. Des structures dans lesquelles la notion « détranger.e » ne fait que peu de sens et celle de « personne accueillie » est rapidement remplacée par celle de « cohabitant.e » ou de « voisin.e ». Comment seulement faire que ces possibles émancipateurs remplacent les conceptions racistes dans les imaginaires et les récits territoriaux ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Lutter pour lémancipation individuelle et collective cest redonner le pouvoir dagir aux personnes qui en ont été privées : un pouvoir dauto-détermination, mais aussi et surtout un pouvoir dagir politique. La politologue Fatima Ouassak, comme dautres théori-cien.nes de la pensée décoloniale, montre que rien de cela ne peut se faire sans laisser aux personnes exilées un « accès à la Terre », et la possibilité de vivre où elles le souhaitent. Souvent considérées comme des sources dinsécurité potentielles, les personnes immigrées ou considérées comme telles ne sont presque jamais associées aux choix politiques ou urbanistiques impactant leurs lieux de vie. Les politiques locales mises en place par messieurs Murgia ou Hermitte sont une déclinaison locale de la politique sécuritaire en œuvre au niveau national : elles cherchent, presque explicitement, à faire du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Les personnes exilées sont par défaut exclues, exceptionnellement tolérées, mais uniquement dans des lieux prévus à cet effet, qui incarnent limaginaire de la « bonne solidarité »; des lieux dans lesquels on peut être « accueilli », mais où on ne vit pas. Si lon suit la proposition de Fatima Ouassak, lenjeu nest pas doffrir aux personnes exilées un retour à la Terre au sens écolo-privilégié de lexpression, mais de leur rendre la possibilité dhabiter, comme elles veulent, et où elles veulent.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Là où « être accueilli.e » est un statut passif, « habiter » est une posture active et émancipatrice, tant individuellement que collectivement. En revenant sur lhistoire du marronnage la sécession des esclaves en Amérique et dans les archipels de lOcéan Indien le philosophe et anthropologue mahorais Dénètem Touam Bona montre limportance des « forêts » dans la reprise dune puissance dagir collective vers lémancipation. Le terme « forêt » désigne ici un espace où lon est libre dhabiter comme on le souhaite, un en-dehors des normes instituées où lon développe des pratiques de subsistance, de loisir ou de spiritualité, où lon crée des liens et où lon sorganise contre un système oppressif. Dans le Briançonnais, les espaces qui se rapprochent de cette idée se font rares. Il y a bien quelques squats, lieux collectifs ou associations où les personnes exilées ne sont pas contraintes par des normes quelles nont pas faites, mais ils sont rares, et surveillés de près.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La production de récits territoriaux émancipateurs reste ouverte, mais se dessinent déjà quelques pistes de réflexion : laisser la parole aux premier.es concerné.es, et enquêter à partir dexpériences qui montrent tant les discriminations que les émancipations ; montrer comment se construisent ces expériences, ces espaces et ces structures sans en cacher les limites ou les difficultés. Lenjeu est de désarmer les récits qui hiérarchisent les vies entre elles, invisibilisent une partie de la population et marginalisent les pensées alternatives, en multipliant les récits dans lesquels les individus choisissent dhabiter, plutôt quacceptent dêtre accueillis.&lt;/p&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>Tadi taxi oula saroukh ?</title><link href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/tadi-taxi-oula-saroukh.html</id><summary type="html">&lt;h2&gt;«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»&lt;sup id="fnref:1"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:1"&gt;1&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Lyrica est un nom assez poétique pour un médicament. Pourtant la prégabaline en a beaucoup dautres, encore plus évocateurs. Selon la langue et la latitude on lappelle la « Rouge », le « Taxi », la « Fusée ». Il semble que, de ce puissant …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;h2&gt;«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»&lt;sup id="fnref:1"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:1"&gt;1&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Lyrica est un nom assez poétique pour un médicament. Pourtant la prégabaline en a beaucoup dautres, encore plus évocateurs. Selon la langue et la latitude on lappelle la « Rouge », le « Taxi », la « Fusée ». Il semble que, de ce puissant médicament anxiolytique, antalgique et antiépileptique, on parle même dans quelques chansons, sur les côtes méridionales de la Méditerranée. Sa popularité en tant que drogue récréative est énorme dans les pays du Maghreb. Lîle de Samos semble avoir été, pendant plusieurs années, sa plaque tournante et le centre de sa diramation vers lEurope. Aujourdhui, le Lyrica se trouve partout, vendu sous le manteau à 1,50€ la gélule, 10€ la plaquette, de Perpignan à Bruxelles, en passant par la Porte de la Chapelle.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Quelle est donc la raison dun succès international qui frôle la légende ? Quest-ce qui fait de ce dérivé de lacide gamma-amino-butyrique (ça fait moins rêver, nest-ce pas?), lun des médicaments les plus cités dans des fausses ordonnances, en France et en Belgique ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La réponse est simple, chères lecteur.ices : une stratégie de marketing bien réussie ! Qui comporte, il est vrai, quelques pépins avec la justice, mais cela na plus lair de scandaliser lopinion publique occidentale, après les affaires de lOxyContin de Purdue Pharma, ou du Fentanyl dInsys Therapeutics, protagonistes inoubliables de la saga des opioïdes aux Etats-Unis.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Dautant plus que le Lyrica, pour le moment, est la drogue des sans-papiers, des exilé.es, des détenu. es, des sans-abris, des usager.es dopioïdes : une population dinvisibles, sans droits et sans repré-sentant.es. Ce qui fait de sa diffusion sous le manteau un crime presque parfait.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Bravo donc à Pfizer, propriétaire des droits dexploitation de la prégabaline, davoir réussi une deuxième affaire du siècle, après le vaccin anti-Covid ! Ces profits sont bienvenus, si lon tient compte des 2,3 milliards de dollars damende payés en 2009 au gouvernement Étasunien pour avoir fait la promotion illicite de plusieurs médicaments (dont le Lyrica); des 60 millions de dollars damende payés en 2012, pour avoir corrompu des médecins et des représentant.es de gouvernement en Chine, République Tchèque, Italie, Serbie, Bulgarie, Croatie, Kazakhstan et Russie. Sans oublier les 1,3 millions deuros versés à Jérôme Cahuzac en 2016, on se demande bien pourquoi...&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Mais attention, chères lecteur.ices. Comme vous pouvez bien limaginer, lutilisation de ce médicament nest pas sans un certain nombre de conséquences plus que négatives. La prégabaline a en effet des propriétés euphorisantes, relaxantes et désinhibantes, en particulier lorsquelle est utilisée en association avec dautres dépresseurs (opiacés, alcool, benzodiazépines…) dont elle potentialise les effets. Certains usager.es rapportent également une sensation de toute puissance. Mais un usage excessif entraîne très rapidement une forte dépendance physique, ainsi que plusieurs effets indésirables : prise de poids, œdème périphérique, vertiges, somnolence, ataxie, tremblements, fatigue, céphalées, douleurs articulaires, impuissance, troubles visuels. Le mésusage augmente le risque de dépression respiratoire par surdose dopiacés, ainsi que le risque de troubles du rythme cardiaque. Au niveau comportemental, son usage est associé à une augmentation des idées suicidaires et des passages à lacte, des accidents de la route, et de lagressivité.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;En fouillant dans la littérature pharmaceutique, on découvre que « les médicaments de la famille des gabapentinoïdes, dont le Lyrica fait partie, semblent être une cause de mortalité insuffisamment recherchée en médecine légale, notamment dans le cadre des décès pour overdose dopioïdes », ce qui veut dire, dans notre langue, que le Lyrica tue un grand nombre dusager.es dopioïdes, mais que, pour le moment, personne na vraiment envie de savoir combien, ni bien sûr de bouger un doigt pour les aider.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Merci Pfizer, encore une fois.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Mais laissons la parole à notre ami K., [ancien usager de Lyrica] qui vit à Briançon depuis plus de deux ans.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Toi, tas quoi à me dire sur le Lyrica ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Encore hier, il y a un gars du Refuge Solidaire&lt;sup id="fnref:2"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:2"&gt;2&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt; qui savait quil était en manque, alors il a pris son drap et il est allé dormir dans le parking près du refuge.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Mais il a dormi sur le parking, à même le sol ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Bah oui, il savait quavec tout le monde au Refuge il pourrait pas se contrôler, alors il est parti sur le parking, tranquille, tout seul.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; La dernière fois quand je tai demandé cétait quoi les plats typiques de lAlgérie, tu mas répondu que cétait le Lyrica ! Parce quau Maroc ya pas une aussi grande consommation, cest ça ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Pour la moitié des gens, comme les Marocains, la prise de Lyrica commence en Turquie. A Takzim, les potes que tu vas te faire ils vont te proposer du Lyrica. Les gens ils en vendent dans les camps, dans les associations. Au Maroc on a dautres drogues, des Karkoubi [drogues psychotropes] comme roche [surnom du Valium]. Mais on na pas trop de Lyrica. Et tu vois, les gens qui sont pas sociables, qui sont timides et tout, ils prennent du Lyrica. Les gens qui sont SDF en Bosnie et qui partent dans les markets ou au feu rouge pour demander de largent, eux ils prennent du Lyrica, ça les encourage à faire ça. Pour voler aussi, ça donne du courage.
Beaucoup de gens ils en prennent pour marcher aussi, pour traverser la montagne, pour se donner de lénergie.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Et ten a déjà pris ? Tu ressens quoi exactement ? Tes pas obligé de répondre si tu veux pas.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Moi mon maximum cest 21 en une journée ! Une fois au Refuge, parce que tas le droit à 3 pilules maximum par jour&lt;sup id="fnref:3"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:3"&gt;3&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;, ya un gars il disait « mais moi je suis habitué à 7 ou 8 par jour » et moi je lui ai pas dit mais jen prenais parfois 17, 21 par jour (rires). Mais il faut se contrôler, jai pas tout pris dun coup, comme ça tu sais. Il faut en prendre sur la journée. Au début ten prends, tas plein dénergie et tout. Ça te rend trop sociable, ça te donne du courage et un peu de force. Et quand tu commences à sentir que lénergie ça finit, tu prends encore. Mais à la fin moi quand jai senti que cest bon lénergie cest fini, jai arrêté den prendre, jai aussi senti que je pouvais mendormir nimporte où. Javais les yeux tout rouges, et plus dénergie. Et si tu continues de trainer, par exemple de marcher, tu commences à oublier où tu es et tu peux tendormir dun coup. Et tu peux plus marcher normalement. Et puis, ya des gens le lendemain ils se souviennent plus de rien. Ca te fait vraiment sentir high, mumteshi [défoncé en darija marocain]. Le best combo, cest Lyrica, du coca, et fumer du shit. Ça cest comme si ça explosait la force du Lyrica, ça donne vraiment un trop trop grand high.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Mais du coup quand tes habitué à en prendre 21 par jours et quaprès tu peux en prendre seulement trois, le manque il se manifeste comment ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Quand tes en manque ya des gens ils deviennent vraiment trop agressifs. Ya des gens qui volent et qui tuent à cause du Lyrica sur la route. Une fois jétais en prison en Slovénie et yavait des gens qui étaient en manque de Lyrica. Et les employés de la prison ne voulaient pas leur en donner. Alors les exilé.es ont commencé à ouvrir leur corps, à se faire du mal à eux-même&lt;sup id="fnref:4"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:4"&gt;4&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt; et à tout casser. Les toilettes, les chaises… Et une fois quils ont ouvert leur corps, on leur a donné du Rivotril.&lt;sup id="fnref:5"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:5"&gt;5&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;
Tu peux mourir à cause du Lyrica. Une fois, jétais en Bosnie, il y a des gens ils vivaient dans une maison abandonnée. Cétait des migrants. Ils ont passé la limite du Lyrica.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Tentends quoi par la limite du Lyrica ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Ils ont pris plus quun paquet. Et dans un paquet des fois il y a 14, des fois il y a 21 pilules. Ils étaient trois personnes. Un il était sorti de la maison. Un il était déjà en train de dormir, en overdose, K.O. Et lautre il était au téléphone avec sa mère. Et dans la maison il y avait pas de lumière. Il a allumé une bougie mais il était sous Lyrica alors il a rien mis en bas de la bougie, il la posée directement sur la couverture. Et le mec il avait seulement envie de parler avec sa mère et après cest bon, il dort. Le moment où il a fini lappel avec sa mère, il a commencé à être en overdose lui aussi, et il a oublié déteindre la bougie. La bougie elle a continué, continué de fumer et ça a allumé la couverture. Et parce que vraiment ils avaient trop pris de Lyrica, ils se sont pas réveillés. Cest la troisième personne qui était pas dans la maison qui est rentrée et a trouvé que tout avait brûlé. Ils sont restés les deux dans le coma et au bout dun mois lun est mort et lautre sest réveillé...
Mais il faut pouvoir contrôler. Parce que un peu ça taide trop. Tu en prends pour passer, sur la route. Quand tu marches dans la forêt ou quand tu sais que tu vas devoir faire des trucs durs. Mais trop vraiment cest dangereux. Tu peux devenir tellement agressif, faire vraiment nimporte quoi, et après tu te rappelles de rien.&lt;/p&gt;
&lt;div class="footnote"&gt;
&lt;hr&gt;
&lt;ol&gt;
&lt;li id="fn:1"&gt;
&lt;p&gt;Paroles de la chanson Takoul Saroukh (littéralement: « mange du Lyrica ») de Cheb Djalil.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:2"&gt;
&lt;p&gt;Le Refuge Solidaire est un lieu daccueil temporaire des personnes exilées traversant la frontière franco-italienne.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:3"&gt;
&lt;p&gt;La PASS à lhôpital de Briançon donne maximum trois jours de Lyrica aux habitant.es du refuge. Lordonnance est théoriquement non-renouvelable si le départ est décalé.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:4"&gt;
&lt;p&gt;Comme dit plus haut, une des principales manifestations du manque est de se faire du mal à soi-même.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:4" title="Jump back to footnote 4 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:5"&gt;
&lt;p&gt;Le Rivotril est utilisé dune manière similaire au Lyrica.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:5" title="Jump back to footnote 5 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;/ol&gt;
&lt;/div&gt;</content><category term="01"></category></entry></feed>

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<feed xmlns="http://www.w3.org/2005/Atom"><title>ravages</title><link href="/" rel="alternate"></link><link href="/feeds/all.atom.xml" rel="self"></link><id>/</id><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><entry><title>La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</title><link href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple le fait quun accueil qui se dit inconditionnel et une jauge à ne pas dépasser ne vont pas facilement de pair, quun bâtiment ne peut se dire plein tant quil est vide à 60%, que les normes nont pas été inventées pour le bien de lhumanité, spécialement quand elles obligent de gens à dormir dans un couloir pourri plutôt que dans une chambre de merde. Et que les discours de lautorité, de la propriété, de lurgence et de la peur ont plutôt mauvaise presse dans nos pages.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Avant on pouvait toujours pousser les murs. Quand les chambres étaient pleines on se serrait encore plus. On dormait dehors, on tapissait la cuisine de matelas en se demandant comment on allait faire pour que tout le monde dorme dans un local si petit. Avant cétait «le squat», mettez lintonation que vous voudrez dans ces mots. Le Refuge&lt;sup id="fnref:1"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:1"&gt;1&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt; du 37 rue Pasteur avait ses règles, celles dun lieu plus ou moins autogéré, tout autant contournées, détournées, enjambées par les bénévoles et les personnes accueillies sil le fallait, en fonction des circonstances. Parce quil y avait des règles, mais pas de propriétaire pour les faire respecter, on nen gardait que le meilleur : des indications de bon sens à respecter quand cest possible, à oublier le reste du temps. Et ça a duré des années, et on en a vu passer du monde ! Ne nous demandez pas les chiffres, on naime pas ça, mais on peut vous dire quon sest retrouvé à cent et même plus, dans ce petit lieu chaotique et passablement insalubre. On pourrait nous suspecter dagiter le fameux «cétait mieux avant» , mais on dit juste que les règles étaient moins étouffantes peut être au détriment du confort matériel du lieu. Et puis en août 2021, après un virage à droite de la mairie et des luttes intestines quon vous épargne ici, le Refuge a fermé ses portes, et cest là-haut, à côté de lhôpital, quil les a rouvertes, dans les locaux des Terrasses Solidaires.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Le nouveau Refuge est plus grand, et plus cher aussi. Derrière lachat et la rénovation du 34 route de Grenoble qui a coûté plus ou moins un million deuros avant même douvrir ses portes il y a Olivier Legrain du fond Riace France et ancien du groupe Lafarge, et Jean-François Rambicur de la fondation Arceal-Caritas France, administrateur du groupe Roquette, petit géant de lagro-industrie française et méga-pollueur. Alors voilà, des personnes très sérieuses ont donné beaucoup dargent, et il sagirait de ne pas en faire nimporte quoi. Le nouveau Refuge se pare de nouvelles règles. Il y a des normes de sécurité, dhygiène, des façons régulières et irrégulières de se rendre au sous-sol, dans la cuisine, dans la réserve de vêtements, et celle de nourriture. Il y a des clés, des codes qui ferment des portes, des protocoles daccueil, dentrée, de sortie et de soin. Il y a aussi trois étages supplémentaires, dont deux avec des chambres, des toilettes et des douches, que les propriétaires ont décidé de ne pas destiner à laccueil, et qui restent donc vides et inutilisés, parce que pas aux normes, alors quil suffirait de faire tomber une porte pour y accéder. Et puis il y a un.e « russe » dont tout le monde parle, Responsable Unique de Sécurité, de son vrai nom, qui ne dort pas la nuit à lidée que la moindre infraction à lune de ses règles ne finisse par lui coûter la prison. Et parmi ces règles, il y a la jauge : 64 personnes, à ne pas dépasser.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Le but de cet article nest pas de dire : refusons largent des patrons-philanthropes et organisons-nous pour laccueil digne et autogéré des personnes exilées même si on dit ça un peu quand même mais de comprendre un peu mieux comment les protocoles qui régulent lhospitalité affectent laccueil et le traitement des personnes exilées au Refuge. Et de dénoncer, au passage, certains abus vraiment intolérables.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;ARRÊTEZ DARRIVER&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;« Non mais tu comprends pas, si personne ne part, personne ne peut arriver non plus ! Et puis ya des questions de sécurité aussi : si le bâtiment crame on fait quoi ? Si on dépasse la jauge lassurance ne paye pas, et puis même, au-delà des normes, tu te verrais dormir dans le réfectoire, toi ? Ya du bruit tout le temps, cest pas tenable, mieux vaut les faire partir, on sait pas où, mieux vaut éviter le pire ! Et puis le Russe il a des cernes on dirait un dindon. »&lt;sup id="fnref:2"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:2"&gt;2&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt; Il est plutôt brouillon lépouvantail quon agite au Refuge pour pousser les personnes exilées vers la sortie : on y trouve des enjeux dargent et de sûreté tout entremêlés de soucis du bien-être et de la dignité dautrui&lt;sup id="fnref:3"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:3"&gt;3&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;. Il nous arrive aussi parfois dentendre la théorie de lappel dair, dans sa version pour les nul.les, selon laquelle si on rajoute trois lits de camp dans le couloir, il y aurait immédiatement et immanquablement trois personnes pour quitter le Bangladesh en direction de Briançon.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;De toutes ces règles à respecter et faire respecter ressort une impression de crise permanente. Cest-à-dire quà partir du moment où les yeux du conseil dadministration, des salarié.es et des bénévoles sont rivés sur la jauge-quil-ne-faut-pas-dépasser, les personnes qui restent et celles qui arrivent toutes celles qui menacent malgré elles de faire péter la jauge deviennent perçues et traitées comme des problèmes à gérer. Les personnes exilées qui arrivent au Refuge sont donc accueillies, certes, mais accueillies comme de potentielles futures menaces, des réfractaires au départ, les empêcheurs et empêcheuses du bon fonctionnement du Refuge en général et de laccueil (qui porte mal son nom) en particulier. Ce triste arrangement de conscience na pas lair de troubler plus que ça les membres du conseil dadministration. A nos critiques, ces gens-là répondent généralement avec agacement quil ny a pas dautres solutions et que nous ne servons donc à rien, avec notre empathie et notre idéalisme que lurgence perpétuelle ne parvient pas à anesthésier. Parce que LA solution, tenez-vous bien, nous lavons très claire en tête, elle est simple comme deux et deux font quatre, irréfutable mais on ne la révélera quà la fin de cet article.&lt;sup id="fnref:4"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:4"&gt;4&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;LA TYRANNIE DU PRÉSENT&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Les discours de crise ont tant été utilisés comme moteurs dindignation que lespace public est devenu largement saturé durgences qui finalement peuvent attendre, et de chocs qui ne choquent plus. En dautres termes, les discours de crise sont contre-révolutionnaires en tant quils permettent de stabiliser une condition existante plutôt que de minimiser des formes de violences quotidiennes. La crise reproduit des institutions, des pratiques et des réalités plus quelle ninterroge la manière dont ces crises sont advenues, ou comment on pourrait en sortir&lt;sup id="fnref:5"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:5"&gt;5&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;. Les personnes qui, au refuge comme ailleurs, nourrissent un sentiment durgence permanente se font les complices, volontaires ou non, dun discours qui, tant quil nous fait tourner en rond, nous empêche de nous demander pourquoi, au fait, est-ce quon tourne en rond. Etat durgence et dérive gestionnaire sont les écueils contre lesquels sécrase toute possibilité de réflexion autour de sujets pourtant centraux : la responsabilité du néocolonialisme dans les grands mouvements migratoires ; le rôle du capitalisme dans les dérèglements climatiques à lorigine de ces mêmes phénomènes ; la possibilité dun accueil digne dans une société qui refuse de remettre en question la propriété privée, la croissance économique, le plein emploi et le salariat. Tant de choses, une fois réintégrées dans le débat, pourraient servir de garde-fou (voire dantidote) contre le paternalisme et la maltraitance de salarié.es constamment au bord du burn-out.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Au Refuge, la crise ça veut dire pas le temps de mintéresser à ton passé, toi que jaccueille, et pas le temps non plus de me pencher sur ton futur. Il ny a quici et maintenant que tu existes, et tu ressembles plus à un colis encombrant quà une personne comme moi et mes potes. Le présentisme cest un peu la maltraitance ordinaire : peu importe doù tu viens et où tu vas, comme cest lurgence ici, tant que tu y es tu seras un parmi dautres, à nos yeux daccueillant.es. Pas le temps découter tes problèmes, et si par hasard tu deviens connu.e de moi cest que tauras merdé quelque part, tu te seras fait remarquer et probablement pas pour les bonnes raisons, tauras eu le culot de faire des vagues alors que franchement, tas pas vu comme cest compliqué déjà la vie ici, tétais vraiment obligé de rajouter des problèmes, sérieux ?&lt;sup id="fnref:6"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:6"&gt;6&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;. Parler de crise au Refuge cest, souvent, éviter de remettre en question des pratiques daccueil qui traitent les personnes accueillies comme des indésirables et forcent leur départ vers des futurs précaires.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;INDÉSIRABLES&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Mais qui part quand la jauge est pleine ? Qui est-ce quon met à la porte en premier et à qui est-ce quon accorde un peu de répit ? Ces questions quotidiennes étendre ou non la durée de laccueil, enfreindre ou pas le protocole qui stipule que chaque personne accueillie ne peut rester que trois jours et trois nuits révèlent souvent une hiérarchie qui classe les personnes exilées en fonction de leur vulnérabilité (perçue). Les familles avec enfants, les femmes seules et les femmes enceintes sont souvent désignées comme plus vulnérables que les hommes seuls, et donc plus à même de pouvoir rester. Mais ces catégories sont héritées de logiques gouvernementales. Ce sont celles qui déterminent laccueil au 115 ou dans les Centres dAccueil des Demandeurs dAsile (CADA). Les semeur.euses de trouble, les accros au Lyrica, celles et ceux qui sattardent un peu trop, qui commencent à se sentir comme chez elleux, et sortent de lanonymat qui leur était assigné, en revanche, sont les premier.es à subir des pressions au départ. Grâce à cette belle contorsion logique, celles et ceux qui nont vraiment nulle part où aller, sont celles et ceux quon fout dehors avec le moins de scrupules. Cest-à-dire quune personne accueillie a plus de chance de devoir partir si elle va à lencontre des normes de vulnérabilité quon lui assigne que si elle incarne une certaine image de la migration, selon laquelle un.e migrant.e se doit dêtre isolé.e, vulnérable et obéissante pour mériter laccueil.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Et qui est-ce qui décide de qui peut rester, et qui doit partir ? Un œil sur la jauge-à-ne-surtout-pas-dépasser, lautre sur le prix des billets de train pour Paris, les salarié.es de laccueil concentrent de fait le pouvoir de laisser rester et faire partir. La décision de renvoyer quelquun.e du refuge nest ni collective ni vraiment protocolaire, mais bien arbitraire, puisquelle repose souvent sur les impressions, humeurs et inimitiés personnelles que les salarié.es de laccueil nourrissent envers les personnes accueillies. Si lon ajoute à ça lurgence dont on parlait plus tôt, on se retrouve assez vite dans une panade bien grisâtre dans laquelle une poignée de gens contrôle et confisque la mobilité toi tu restes, toi tu pars dune majorité dexilé.es. Ce contexte est propice à des débordements de plus en plus fréquents, où lattitude contrôlante est si brutale quelle semble inspirée par un vrai sadisme, ou par une sorte de délire de puissance que la fatigue et le stress ne suffisent pas à justifier.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Voici quelques extraits de dialogues quon a pu entendre dans le bureau de laccueil du Refuge : « Tes bien content de dormir et manger gratuitement ici, hein? Mais ça peut pas durer ! Tu as trois jours pour acheter un billet et partir! » « [en pleurant:] Mais je nai pas dargent et je ne sais pas où aller ! » « Et ben tu vas te le faire prêter, largent, ou alors tu partiras en stop ! »&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Ou encore, à une personne en manque de Lyrica: « Tu veux ta dose ? Il faut que tu achètes un billet pour Grenoble et je vais te la donner, ta dose ! »&lt;sup id="fnref:7"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:7"&gt;7&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;FAUT CONCLURE&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Accueillir cest aussi contrôler. Cest se rendre responsable de quand part qui et parfois où, sans trop savoir pourquoi. En ce sens, la contrainte ne prend pas toujours la forme dune interdiction. Au Refuge bien souvent la contrainte oriente, elle rassure, elle encourage, elle donne à des futurs flous des contours nets pour les faire advenir vite, très vite, parce quil faut faire de la place. La contrainte se fait douce&lt;sup id="fnref:8"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:8"&gt;8&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;, quand elle nest pas ouvertement horrible.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;LA SOLUTION (PUISQUON LA PROMISE)&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;La solution que nous proposons a lavantage de sadapter à presque tous les picotements de conscience (réels ou factices) des personnes qui détiennent un pouvoir sur les autres. Elle consiste à simplement arrêter de lexercer, ce pouvoir, à regarder un peu ce qui se passe, et à prendre des notes si possible. La jauge va exploser de mai à la mi-octobre&lt;sup id="fnref:9"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:9"&gt;9&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;, comme lannée passée, et celle davant encore, ce qui pourrait provoquer autre chose que la fin du monde. Les portes des trois étages vides pourraient finir par souvrir, par exemple. Celleux parmi les propriétaires et les membres du CA qui voudraient les refermer seraient obligé.es de sexposer publiquement, elleux et les limites si mesquines de leur charité. Un tel geste pourrait même faire gagner un peu de sympathie à linstitution épuisée quest le CA du Refuge, dont la politique demeure incertaine, parfois suspecte, et toujours décevante, voire un peu collabo, comme quand ses membres sépoumonent dans les oreilles du préfet, des député.es et des ministres, quenfin yen a marre, il faut agir, ya trop de migrant.es par chez nous. Il pourrait arriver plein de choses, sérieux. Le « russe » pourrait même retrouver le sommeil, ou un.e bonne avocat.e.&lt;/p&gt;
&lt;div class="footnote"&gt;
&lt;hr&gt;
&lt;ol&gt;
&lt;li id="fn:1"&gt;
&lt;p&gt;Le Refuge Solidaire est un lieu daccueil temporaire des personnes exilées traversant la frontière franco-italienne.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:2"&gt;
&lt;p&gt;Soupe darguments régulièrement servie à quiconque questionne la jauge le plus souvent des bénévoles un peu inquièt.es de mettre des gens à la porte ou des éxilé.es peu désireux.es de se retrouver à la rue.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:3"&gt;
&lt;p&gt;Entendez : cest pour le bien des personnes exilées quon les met dehors, et puis de toute façon on na pas le choix, le refuge ne peut quand même pas accueillir toute la misère du monde (sans le soutien de lEtat qui, lui-même la déjà dit, ne peut pas non plus accueillir toute la misère du monde). Voilà on laisse ce tacle en bas de page pour éviter de trop froisser celleux qui ne sidentifieraient pas à la colère qui infuse ce petit article (pour linstant).&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:4"&gt;
&lt;p&gt;Suspense de ouf.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:4" title="Jump back to footnote 4 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:5"&gt;
&lt;p&gt;Cest pas nous qui le disons cest Joseph Masco, un très chouette anthropologue qui travaille sur linstrumentalisation politique des fins du monde aux Etats-Unis, dans un article (en anglais sorry) qui sappelle The Crisis in Crisis.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:5" title="Jump back to footnote 5 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:6"&gt;
&lt;p&gt;Cest une autre soupe, elle aussi indigeste, quon sert parfois au refuge quand la première na pas suffi.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:6" title="Jump back to footnote 6 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:7"&gt;
&lt;p&gt;Au moment où cet article était déjà écrit en large partie, nous avons appris une nouvelle déconcertante: une personne salariée du Refuge venait dêtre mise à pied et soumise à enquête parce que accusée dabus de pouvoir sur fond sexuel envers les exilé.es, notamment dans lapplication des mesures mise en place pour respecter la f***ue jauge. Cette histoire touche trop de près le sujet de notre article pour que nous ne la mentionnions pas, mais, dun autre point de vue, elle est beaucoup trop complexe, délicate et troublante, pour quon laborde de manière précipitée. Nous considérons par ailleurs quelle nenlève rien aux opinions que nous exprimons ici. Au contraire, elle corrobore notre indignation. Et, pour le reste, lévènement donne une couleur particulièrement sinistre au ton de certains de nos propos, que nous ne considérions pas, au moment de lécriture, à ce point allusifs.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:7" title="Jump back to footnote 7 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:8"&gt;
&lt;p&gt;Puisquil faut rendre à César ce qui appartient à César, lidée dune contrainte positive dun pouvoir qui dit oui, vas-y ! plutôt que beh non tu peux pas faire ça en fait a été pensée et théorisée en grande partie par Michel (Foucault).&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:8" title="Jump back to footnote 8 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:9"&gt;
&lt;p&gt;Et ben non ! Le Refuge a décidé le 30 août de fermer ses portes et que plus personne ne rentre. Au moment où nous envoyons RAVAGES à limprimerie, il ny a plus de lieu daccueil inconditionnel à Briançon, à part un squat sans eau (le Pado) et sous menace dexpulsion imminente. Ça nous fait tout drôle, à RAVAGES, cette sensation davoir été, pour une fois, presque TROP OPTIMISTES ?!&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:9" title="Jump back to footnote 9 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;/ol&gt;
&lt;/div&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>Lexique : frontière</title><link href="/lexique-frontiere.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/lexique-frontiere.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI pour aller plus vite), parce que cest celle quon habite, quon connaît un peu mieux que les autres, et depuis laquelle on écrit la plupart de cette revue. Pour celles et ceux qui, pris dun grand coup de flemme, ne souhaiteraient pas lire la suite, ce quon y dit est plutôt simple : la frontière est une construction juridique historiquement récente, difficilement séparable des idées dEtat et de territoire, et dont la forme, le tracé et les modalités changent constamment. Le fait que les frontières nationales correspondent parfois à des frontières dites naturelles na rien dévident : cest le fruit dun processus politique qui, depuis plusieurs siècles, inscrit lEtat et ses limites dans une « nature » qui les précède et légitime leur existence.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Le rétablissement des contrôles didentité et le renforcement des effectifs policiers le long de la frontière franco-italienne ont fait de « la frontière » un objet ordinaire dans le Briançonnais. Pour les mi-litant.es du coin, « la frontière » est une réalité quotidienne : on larpente, on la dénonce, on essaye, le plus possible, de la rendre inutile, mais jamais ou presque on ne remet en question son existence. La frontière fait partie du décor. Et si elle apparait sur nos cartes de randonnée comme une ligne nette et bien tracée, peu de choses indiquent, dans nos paysages frontaliers, quici se trouve la limite dun territoire. A la différence des murs de barbelés érigés en Grèce, en Espagne ou en Hongrie, la frontière franco-italienne reste relativement intangible. Et pourtant, « la frontière » structure mouvements, pensées et luttes avec autant dévidence que si cétait un mur. Cest pour détricoter un peu de ce sens commun que nous analysons ici le mot
« frontière », les ambitions territoriales quil reflète et les réalités sociales quil impose.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;FICTION JURIDIQUE&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;La frontière est avant tout une invention juridique, qui délimite dans lespace là où sapplique le droit national, et là où il ne sapplique pas. Elle est légitimée chaque fois que des accords bilatéraux ou internationaux viennent réguler les relations entre les Etats, et donc leur existence. Entre lItalie et la France, cest laccord de Chambéry qui régule les relations frontalières et facilite, entre autres, le refoulement des personnes exilées quand elles se font arrêter. Mais comme elle nest ni immuable, ni nécessaire, la frontière en tant que construction juridique change assez régulièrement.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;A la fin des années 1980, la construction de lespace Schengen a « ouvert » la frontière entre la France et lItalie en mettant fin aux contrôles didentité lorsquune personne passait dun territoire à un autre. Une exception à cette règle persiste depuis en droit pénal : au sein dune zone frontalière de 20km à partir de la ligne officielle, une personne peut toujours faire face à un contrôle didentité, si elle est recherchée ou si elle commet une infraction.
En 2015 cette frontière sest partiellement refermée. LEtat a établi une liste de 285 points stratégiques, appelés points de passages autorisés (PPA), autour desquels les contrôles didentité ont été légalisés, sans que personne ne soit ni recherché ni pris en flagrant délit de quoi que ce soit. Officiellement ce rétablissement des contrôles aux frontières ne pouvait durer que 6 mois, et nêtre renouvelé que pour une durée totale de deux ans. Pourtant, cela fait maintenant 8 ans que la police contrôle, expulse et enferme le long de la frontière sans aucune base légale.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Quant à celles et ceux qui ont le malheur darriver tout droit de plus loin dun pays extérieur à la zone Schengen lEtat a là encore une solution. Depuis 1992, des zones appelées « zones dattente » il y en a presque 100 en France permettent aux autorités de contrôler lidentité des gens et de les immobiliser, jusquà 26 jours, dans les ports, les aéroports et les gares internationales. En 2003, ces zones ont été étendues des points de débarquement à leurs environs, ce qui implique, en clair, que toutes les côtes françaises sont désormais des lieux où les immobilisations arbitraires sont possibles, et légales.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Fiction juridique, la frontière nen est pas moins réelle pour celles et ceux qui la traversent chaque jour sans la bonne couleur de peau, ou à défaut les bons papiers. Et si elle reste une construction historique relativement récente, cest dans le registre de luniversel que la frontière puise sa légitimité, jusquà devenir une évidence territoriale, une sorte de sens commun dans la manière dont nous envisageons lespace. Pourtant, et cest ce qui nous intéresse dans la partie suivante, les frontières nont rien de naturel, et leur adéquation avec certains traits de paysage comme les rivières ou les montagnes est elle aussi une fabrication nationale.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;FRONTIÈRES SYNTHÉTIQUES&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Au XVIIe siècle le mot « frontière désignait une ligne de front, celle qui se tenait face à lennemi, peu importe que celui-ci se trouve au milieu ou en périphérie dun territoire donné. La « frontière » délimitait une zone de défense. Cest au siècle suivant que frontières militaires et frontières nationales ont commencé à coïncider, dans les écrits officiels comme dans ceux des Lumières, qui sévertuaient alors à ancrer la nation dans un territoire propre. Bien souvent cest dans le paysage que les philosophes allaient piocher pour donner à la nation ses limites. Pour Rousseau ou Montesquieu, la nature avait établi sur Terre les frontières idéales de la France et des autres Etats : le Rhin, les Pyrénées et les Alpes fournissaient à la jeune nation française des limites toutes trouvées. Cest la Révolution, autrement dit, qui nationalisa lidée dune frontière dite naturelle, et naturalisa celle des frontières nationales.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Dans son histoire du Rhin, Lucien Febvre retrace les enjeux nationalistes du fleuve qui marque la frontière entre lAllemagne et la France. Alors que depuis le XVIe siècle le Rhin était considéré en Allemagne comme un fleuve sacré et sacrément national, lhistorien démontre au contraire comment le fleuve fut, au cours de lhistoire, un lieu déchanges économiques, culturels et linguistiques. Le fleuve, comme la frontière quil trace dans la géographie européenne, figure non pas comme un donné naturel mais comme un produit de lhistoire humaine, et loutil naturel dune politique nationaliste.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Les montagnes, comme les fleuves, ont souvent fait lobjet dune frontiérisation, cest-à-dire de la projection de logiques étatiques sur des paysages dont rien nindique, a priori, quils appartiennent à tel ou tel pays ou quils séparent des nations entre elles. Dans les Pyrénées, la construction des Etats français et espagnol est allée de pair avec linvention de la montagne comme frontière naturelle. Le développement de la cartographie par les monarchies de lépoque à des fins commerciales et souveraines contribua à transformer montagnes et vallées en une ligne frontalière qui depuis Paris ou Madrid facilitaient peut-être lorganisation du pouvoir, mais dont le tracé sur place semblait bien arbitraire. Dans les Alpes, cest la ligne de partage des eaux, le long des crètes, qui marque les limites entre la France, la Suisse et lItalie.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;En France comme ailleurs, pourtant, les montagnes font souvent de piètres frontières. Difficilement contrôlables, elles offrent à celles et ceux qui apprennent à les connaitre des couloirs, chemins, passages et autres conduits pour creuser des trous dans le dispositif sécuritaire de celleux qui pensaient que dun relief, on pouvait faire un mur. Les histoires de contrebande et de mobilités ne manquent pas pour illustrer les liens entre montagne et clandestinité. Il faudrait donc envisager la frontière comme un projet ou une aspiration étatique plutôt que comme une réalité géographique. Il y a un côté téléologique à la frontiérisation, cest-à-dire que les frontières dessinées sur nos cartes correspondent moins à une réalité physique quà une ambition territoriale, à la fois incomplète et sans cesse contestée.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;FRONTIÈRES INCARNÉES&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Si les frontières nationales ont finalement peu dancrage dans la réalité matérielle fluviale, géologique, environnementale du monde, elles ont cependant des effets dévastateurs sur celles et ceux qui osent franchir ces lignes souvent invisibles sans y avoir été préalablement invité.es, soit par leur capital, soit par leur couleur de peau. Cest-à-dire que la frontière fait le tri, entre celleux qui la traversent sans même sen apercevoir et celleux qui cherchent à éviter son contact, parce que la rencontrer cest risquer de se faire suivre, poursuivre, et arrêter. Pour la géographe Anne-Laure Amilhat-Szary, la frontière est devenue un outil de hiérarchisation des vies et des mobilités ; une condition dexclusion du non-citoyen, dont la mobilité est toujours considérée comme a priori dangereuse.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Il ny a pas quen zone frontalière que la frontière opère ces distinctions. Comme le dit Grégoire Chamayou, on a, « au prétexte de faire respecter une frontière territoriale, créé sur le territoire une frontière légale entre ceux qui peuvent être protégés par le droit et ceux qui ne le peuvent plus ». En dautres termes, les frontières continuent dopérer des distinctions et des exclusions sociales bien après quelles ont été franchies par celles et ceux dont la mobilité est jugée indésirable. La frontière est portable. Ne pas avoir les bons papiers, cest la transporter avec soi. Celles et ceux qui incarnent la frontière en portent le poids quotidiennement. Dans les bureaux de ladministration, la frontière prend la forme dune attente : limmigré.e est celui ou celle que lon peut faire attendre, que lon soumet aux temporalités de la bureaucratie, que lon domine par le temps. La frontière perdure aussi dans les corps de celleux qui lont franchie en tant que traces, en tant que marques somatiques qui attestent de violences subies et que lEtat ausculte comme autant de preuves de persécutions passées contre lesquelles mesurer la parole sans cesse mise en doute des demandeur.euses dasile.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Mais la frontière simmisce aussi et surtout dans le quotidien de celles et ceux qui lont franchie en tant que déportation possible. Pour lanthropologue Nicholas de Genova, cest la possibilité de la déportation ce quil nomme deportability plus que la déportation elle-même ce quil appelle deportation qui nourrit lexclusion des sans-papiers sur un territoire donné, et facilite leur exploitation par le capital. Peur, hypervigilance et résignation donnent à la frontière dont lexistence matérielle semble maintenant secondaire une dimension affective. Cest à grand renfort de surveillance, dintimidation et de harcèlement que lEtat cultive la précarité des sans-papiers et la condition de dé-portabilité qui les rend particulièrement vulnérables à des formes dexploitation contre lesquelles lEtat le même prétend par ailleurs lutter.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La frontière est donc à la fois synthétique et incarnée. Autrement dit, elle nest ni naturelle, ni immobile. Elle nest devenue évidente, en tant que manière dappréhender lespace, quà grand renfort de cartographie étatique traçant autour de nations mouvantes des limites fixes. La frontière nest pas neutre. Elle ne représente pas lespace de manière objective. Au contraire cest une construction, juridique et historique, qui, en divisant lespace entérinait surtout lidée que dautres séparations, entre les gens cette fois, étaient à la fois nécessaires et naturelles.&lt;/p&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>L'intégration à coups de patates</title><link href="/lintegration-a-coups-de-patates.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/lintegration-a-coups-de-patates.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de jour comme de nuit. Dans le salon où nous nous sommes rencontrés il y avait P., de Côte dIvoire, R., du Burkina Faso et M., qui vient du Pakistan. On a parlé de leur vie en Ile de France, de leurs relations entre eux et de celles quils ont avec les éducateur.ices, depuis quils ont emménagé au foyer il y a quelques mois. Dans lentretien qui suit on parle surtout de nourriture : des repas préparés et partagés entre les quatre murs du foyer, de listes de courses qui se perdent, de sorties sous tutelle au supermarché du coin, dinterdictions, de contraintes, de lobstination de certain.es éducateur.ices à préparer des plats français, parce que cest important pour lintégration des jeunes, iels disent.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Car lintégration est une affaire de patates. Et de crème fraîche, aussi. Dans les repas préparés et échangés au foyer le soin se mêle au contrôle, et le don à la menace. Parce que les jeunes du foyer ne sont pris en charge par lAide Sociale à lEnfance (ASE) quen tant que mineurs (et parce quils ont été reconnus comme tels, ce qui nest pas le cas de toustes), ce ne sont ni des citoyens ni de simples « migrants », terme qui semble sappliquer seulement aux adultes en situation dexil. En dautres termes, ils ne sont accueillis institutionnellement quen tant quenfants. Ce sont un peu des apprentis citoyens, des mineurs sur la sellette de la légalité qui doivent faire les preuves de leur désir dintégration pour maintenir un statut régulier, une fois majeurs. Être à la fois enfant et étranger en France, cest devoir se plier à des formes de soin baignées dinjonctions à être un « bon MNA », cest-à-dire un MNA qui correspond aux normes de la blanchité : un MNA fort à lécole, sage à la maison, et respectueux des éducateur.ices qui lentourent. Dans limaginaire collectif qui reste un imaginaire nationaliste létranger est un peu lenfant du citoyen, et lenfant létranger des adultes, faisant des MNA enfants et étrangers les cibles dune double infantilisation, au nom de leur minorité et de leur étrangéité.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Doublement enfants, les MNA du foyer sont souvent en partie privés de leur autonomie. Les éducateur.ices qui travaillent avec eux leur disent quoi faire de leur temps, de leur argent, ce quil faut manger et comment, en faisant abstraction de leurs désirs, envies et besoins. Tout cela sous couvert de bons sentiments qui étouffent, autant quils maintiennent lillusion baroque selon laquelle la citoyenneté serait une manière dêtre et de se tenir, à table comme ailleurs.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Depuis quon est arrivé cest les éducateurs qui font à manger pour nous. Quand le Ramadan a commencé, on voulait pas déranger les éducateurs pour nous faire la cuisine, parce que cest un mois sacré pour nous, il faut quon mange bien pour bien passer le Ramadan. Les repas quils nous faisaient, bon… on mangeait parce quil faut manger pour notre faim, même si ça passe pas, on boit de leau par dessus et ça passe. Quand le Ramadan a commencé cest M. [un jeune accueilli par lassociation] qui faisait la cuisine, et moi jaidais beaucoup, on mangeait à quatre heures du matin, on faisait du riz, du couscous, du poulet, on a mangé beaucoup pendant le Ramadan.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Et les éducateurs ils faisaient quoi à manger?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Des repas français. Quand le Ramadan est fini, M. a décidé darrêter de faire la cuisine, moi aussi javais pris ma décision, mais souvent on est là à midi ou une heure et ya personne pour faire la cuisine, donc on est obligé de faire des trucs à manger. On fait ce quon veut à manger. Ils font aussi ce quils veulent, les éducateurs, il préparent ce quils veulent, même si cest pour nous. Souvent cest Z. [une éducatrice] qui nous demande ce quon veut manger, ce quon a prévu de faire, moi je dis tout me va, jai aucun problème avec la nourriture, cest elle qui faisait beaucoup. Mais L. [un éducateur] une fois il a fait un truc que moi jai pas aimé. Quelque chose avec des pommes de terre, je sais plus comment ça sappelle [une tartiflette]. Après jai eu mal au ventre, jai mangé pour ne pas le décourager, parce que M. na pas aimé non plus, donc moi jai ajouté un peu de sel et jai mangé pour le motiver, mais après jai regretté, il fallait pas le manger son plat mais javais pas le choix.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Et tu lui as pas dit que tu voulais pas le manger?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Non, je lui ai même pas dit que cest pas bon, que je naime pas, je lui ai même pas dit, parce que M. lui avait déjà dit quil aimait pas, il a gouté et il a arrêté de manger, donc jai mangé pour quil soit plus à laise, jai mangé avec beaucoup de sel et après jai eu mal au ventre, mais cest passé. Depuis L. a fait dautres plats. Même aujourdhui il a fait une blanquette de veau, parce quon est allé regarder le match de foot et yavait personne pour faire la cuisine, donc cest lui qui nous a préparé la sauce.
[Pendant que P. parle, X, un autre jeune accueilli, pose une cagette de provisions sur la table du salon.]&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Tas ramené quoi sur la table ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;X:&lt;/strong&gt; Ça, ça vient des Restos du Coeur. Depuis quon la pris aux Restos du Coeur personne ne la mangé. Ça, cest pareil. Ça, cest de la crème fraiche, tu peux la jeter. Jai fait une liste mais personne na acheté ce que jai demandé. On peut parler des courses ? Concernant les courses, ya quelques éducateurs qui font comme sils étaient chez eux. Par exemple, un jour on a fait une liste, et quand léducatrice est arrivée elle a laissé la liste quon avait écrit et elle a acheté ce quelle voulait, et maintenant il parait quil nous reste plus assez de budget, mais elle, elle a acheté ce quelle voulait, de la crème fraiche, du café, pourtant il y avait déjà du café, mais elle en a racheté au lieu dacheter ce que nous on avait écrit. Elle a acheté ce quelle voulait, parce que cest elle qui fait les courses ici. Ya beaucoup de choses quils achètent [les éducateurs], bon, si tachètes et que tu fais la cuisine pour nous, si on ta dit que cest bon, alors on peut accepter, mais si on mange pas ce que tu cuisines, cest pas acceptable.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Et vous allez jamais faire les courses vous-mêmes?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Bien sûr, avant on allait faire les courses une fois par semaine, mais depuis le mois du Ramadan on a arrêté. Seulement hier on est retourné faire des courses, on est parti tous les trois, on a fait une liste, et un éducateur nous a dit quon navait plus de budget et quon devait faire attention. Quand on est allé au supermarché on a compté. Jai dit à léducateur qui était venu avec nous, trente-cinq euros pour finir le mois, on ne peut pas acheter tout ce quon veut, donc jachète, et si le budget finit tu dis au chef que ce mois-ci on a dépassé le budget, pour quil puisse compter sur le mois prochain. Il a dit « non, je vais me faire engueuler par le chef ». Moi jai laissé le chariot sur place et je suis rentré à la maison. En rentrant il ma crié dessus, il ma dit que je métais mal comporté avec lui.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;X:&lt;/strong&gt; Ici on a 150€ par mois pour la nourriture, par personne [ils sont six], et à part Z. qui amène sa nourriture à la maison, les autres ils mangent ce quil y a dans le frigo. Si quelquun vient et ne cuisine pas, il ne devrait pas manger avec nous. Mais si la personne cuisine, elle peut manger avec nous, cest donnant donnant. Est-ce que vous êtes ici pour cuisiner ou est-ce que vous êtes ici pour manger notre argent ? Sils cuisinent ça peut aller. Quand L. a dit quon navait plus dargent ça ma étonné, parce quon nest pas allé faire les courses depuis le Ramadan, cest les éducateurs qui amènent à manger. On na pas pu acheter pour 900€ de nourriture en deux semaines, cest pas possible.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Est-ce que vous allez aussi au Secours Populaire ou aux Restos du Cœur pour les courses ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Avant on partait, quand le budget de la nourriture cétait 900 euros, on partait chaque mercredi, et quand ils ont ajouté 100 euros sur le budget, ce qui fait 1000 euros, on nous a dit quon nallait plus aller là-bas. Jai dit daccord. Jusquà présent personne nest retourné là-bas parce que la déci-sion vient du chef. Nous on ne peut plus rien dire. On a même fait deux jours, il ny avait plus rien dans le frigo, on a parlé avec léducateur, il a dit quil pouvait pas aller faire les courses. Alors jai fait en sorte quon puisse avoir à manger, je crois que cétait la pomme de terre que javais fait, jai cuit les pommes de terre avec les œufs, cest ça que jai fait à manger. Il ny avait pas de poulet, il ny avait pas de riz, pas de couscous. Même jai parlé avec le directeur ici, à la réunion, il a dit quon pouvait faire une liste de courses mais ce que les éducateurs achètent on est obligé de laccepter. Il dit « si tout à lheure L. part acheter de la crème fraîche, et si toi tu naimes pas, tu le manges quand même, cest un plat français. »&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Et vous en pensez quoi quand ils vous disent des trucs comme «Il faut manger français, cest important pour votre intégration» ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; On peut manger des plats, de la nourriture française, quand nous sommes arrivés cest ce quon mangeait, puisquon navait pas commencé à préparer nous-mêmes à manger. Cest les éducateurs qui préparent à manger, mais nous aussi on veut essayer de faire des trucs, laissez-nous tranquillement faire notre truc, on se met à laise et ça passe. Nous on veut juste pouvoir faire nos courses, et eux [les éducateurs] ils sont là pour signer les reçus, même pas pour payer avec leur argent, pour signer le reçu seulement. Après on revient à la maison. Cest ce quon veut.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R:&lt;/strong&gt; Ya dautres choses que vous navez pas le droit de faire ici ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;P:&lt;/strong&gt; Un jour un ami ma envoyé de la semoule de manioc, que nous on appelle en Côte dIvoire de lattiéké, quon mange beaucoup avec la main, jamais avec une cuillère, même les riches ils mangent avec la main. Ce jour-là jai fait de lattiéké, avec des haricots, des œufs, et on a mangé avec A. [un jeune pris en charge par lassociation]. On était à laise, on mangeait, et moi mon plat était un peu caché, parce quun éducateur était là mais il voyait pas, et quand il est rentré dans la cuisine il a vu A., et il a commencé à dire « Mais quest-ce que tu fais ? » Moi je parlais pas, je mangeais, et léducateur a commencé à crier sur A., « Les gars ça se fait pas ici, on na pas le droit de manger avec la main. » Il a continué à parler, mais moi à un moment jai pris la parole et on sest engueulé. Il a dit « et si Emmanuel Macron il arrive tout à lheure, est-ce que tu mangeras avec la main? » Jai dit « il est où Emmanuel Macron? Je sais que la France cest pour toi, mais la Côte dIvoire cest pour moi, je mange avec la main, tu peux pas me forcer à manger avec une cuillère », parce quon est chez nous ici, même si cest pas chez nous, on dort ici, on mange ici, on fait tout ici, donc cest chez nous. Il me dit « Et si on te voyait dans un restaurant ? » Je lui dis « Déjà moi jaime pas aller dans les restaurants, jaime pas, je préfère manger chez moi, à laise, tranquille, je bois mon eau et jai fini. » Avec un repas au restaurant ça me fait deux semaines de courses à la maison, donc chez moi cest mieux. Après dautres éducateurs sont arrivés et nous ont dit quon ne pouvait pas manger avec la main. Nous on a dit, « quand on mange, allez dans le bureau, fermez le bureau, et laissez-nous manger dans la cuisine. Vous êtes là pour travailler avec nous, pas pour venir faire votre loi comme vous faites avec vos enfants. » Ca sest passé comme ça avec eux. Après le chef est venu, il a essayé de nous obliger à manger avec une cuillère ou une fourchette, il a dit « parce que quand vous allez commencer votre apprentissage, vous allez manger avec des collègues, et si vous mangez avec votre main... » Jai dit « Déjà jai pas encore commencé lapprentissage, et quand je commence, si je vois que tous mes amis ont des cuillères, moi aussi je vais prendre une cuillère, je vais pas manger devant eux avec ma main. Mais ici je suis chez moi cest pour ça que je mange avec la main. » Si jai envie de manger avec ma main, je mange avec ma main. Tout est comme ça ici. Hier jai dit au nouvel éducateur, « Ici je vis dans une petite prison. Je vis dans une petite prison. »&lt;/p&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</title><link href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui est alors devenue un véritable sous-traitant du droit à lasile, et procède depuis à laccueil des personnes qui arrivent sur son territoire.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Nombreuses sont les personnes qui osent tout de même la traversée, par voie terrestre ou maritime, vers lEurope. La frontière gréco-turque est depuis devenue un lieu sinistre où les exilé.es sont soumis.es aux règles dun ping-pong meurtrier et confronté.es, dannée en année, à toujours plus de monstruosités : «encampements», travaux forcés, mois dattente puis de renvois, tentatives de traversée ratées, violences physiques et psychologiques, manque de sommeil, de nourriture et de soins.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Au paroxysme de cette politique migratoire violente et violatrice des droits les plus fondamentaux se trouve le recours quasi systématique aux refoulements, ou « pushbacks ». Pour répondre à nos questions sur cette pratique, nous avons contacté Marion, avocate au Legal Centre Lesvos (LCL) en Grèce.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;Ravages: &lt;/strong&gt; Depuis quand les pushbacks existent-ils en Grèce ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;Marion :&lt;/strong&gt; Cest une pratique bien connue depuis le début des années 2000 à la frontière terrestre dans le nord de la Grèce. Pour les renvois en pleine mer, avant 2020 cétait plus rare, on avait seulement connaissance de quelques épisodes isolés. Une fois la pandémie [de COVID] déclarée, les autorités grecques en ont profité pour instaurer cette nouvelle pratique de refoulements illégaux et clandestins. Avec des durcissements législatifs successifs du droit dasile survenus en parallèle, cest clairement devenu la norme.
En Grèce, la frontière terrestre dEvros étant une zone militarisée fermée au public, les ONG nont pas daccès officiel, et cest difficile de savoir ce qui sy passe. Le même problème se pose pour les refoulements en mer Egée, ou les opérations de recherche et sauvetage sont interdites aux ONGs. On a donc mis un peu de temps avant de comprendre le phénomène des refoulements qui est devenu systématique et généralisé.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R: &lt;/strong&gt; Comment ça se passe ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;M : &lt;/strong&gt; La majeure partie des personnes qui traversent la mer Egée pour demander lasile sont refoulées généralement au moins une fois, et le plus souvent, elles subissent des violences physiques ou verbales. Le modus operandi se répète : les personnes arrivent sur une des îles grecques, souvent dans une forêt ou sur une plage, et souhaitent se présenter aux autorités pour demander lasile.
Une fois localisées par les autorités, elles sont forcées par des hommes armés et cagoulés à entrer dans des vans ou dautres véhicules, souvent banalisés et sans immatriculation. Les personnes sont ensuite obligées à monter sur les bateaux des garde-côtes et sont emmenées à la « frontière » avec les eaux turques. Elles sont abandonnées en mer sur des canots de sauvetage sans moteur, sans moyen dappeler au secours, mais aussi sans eau, sans nourriture, ni gilet de sauvetage, jusquà ce que les garde-côtes turcs les récupèrent. La dernière enquête du New York Times sur le sujet du mois de mai 2023 est un exemple poignant de cette pratique sur lile de Lesvos.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;A Evros, au nord de la Grèce, à la frontière terrestre, les personnes en exil sont souvent détenues dans des endroits non officiels et même parfois dans des commissariats de police frontaliers. Dans tous les cas, le vol de leurs papiers et de leur argent est systématique, une recette lucrative estimée à 2 millions deuros selon une enquête des journaux Solomon et El Pais. Les téléphones aussi sont volés. Cest pourquoi documenter ces pratiques est très compliqué. Tout étant fait pour ne pas laisser aux personnes subissant ces mesures la possibilité de garder les preuves du traitement subi. La méthode est clandestine, maîtrisée et couteuse.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Les personnes refoulées de la sorte vers la Turquie se retrouvent sans papiers, sans téléphone pour prévenir leurs proches, sans argent, et risquent un passage en détention. Ce sont des mois et des mois de perdus pendant lesquels il faut travailler, se cacher et espérer collecter assez dargent pour repartir.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R: &lt;/strong&gt; Qui pratique les pushbacks?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;M : &lt;/strong&gt; Il est compliqué davoir une réponse précise, car les hommes sont en principe cagoulés et habillés de noir, sans matricule ni signe distinctif. Ils opèrent toutefois depuis, ou avec des bateaux des garde-côtes grecs. Ce sont vraisemblablement des agents au service des garde-côtes, ou des gardes eux-mêmes. Ils sont méthodiques et armés. Pour gérer de nombreuses personnes en mer, il faut être bien entraîné. A la frontière terrestre, certains témoignages relatent la présence de la police grecque. Dans ces zones frontalières, plusieurs jeunes grecs, en devenant gardes frontières, voient un moyen de bien gagner leur vie et de trouver un emploi stable. Comble du cynisme, à Evros, les autorités grecques exploitent des personnes migrantes pour organiser les pushbacks et repousser les exilés sur la rivière Evros du côté turc.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R: &lt;/strong&gt; Et avec quel argent ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;M : &lt;/strong&gt; On a déjà entendu la commissaire à lUnion européenne Yvla Johansson dire que la Grèce doit être « le bouclier de lUnion ». Elle réagit toujours après les publications darticles accablants sur le sujet des pushbacks en Grèce, mais au final rien ne bouge et rien ne change. Donc pour le Legal Centre Lesvos, cest évident que lUnion européenne valide ces pratiques, autant par le manque de positionnement clair que par le financement direct attribué aux opérations aux frontières. Chaque année, des millions deuros sont alloués pour les interventions aux frontières en bateaux, drones, radars, caméras infrarouge, caméras thermiques et autres technologies toujours plus sophistiquées… Et tout cela sans compter largent dédié à lagence Frontex5 ! Cest donc difficile de croire que lUE nest pas complice... Largument de lEtat souverain gardien de ses frontières a alors souvent bon dos pour dire que cest aux Grecs de ré-agir, mais lUnion Européenne demeure en grade partie le trésorier de ces pratiques. Ces politiques sont donc indirectement payées par nous toustes...&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R: &lt;/strong&gt; Quelle est la stratégie du Legal Centre Lesvos, en sachant que votre terrain daction est celui du plaidoyer et du combat juridique ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;M : &lt;/strong&gt; Les actions intentées devant les tribunaux nationaux grecs étant systématiquement classées sans suite, sans que des enquêtes indépendantes et sérieuses ne soient menées, nous avons été for-cé.es de saisir la Cour Européenne des Droits de lHomme (CEDH) pour tenter dobtenir une prise de position officielle dune institution, et surtout une réparation pour les victimes. 32 demandes, incluant deux cas représentés par le Legal Centre Lesvos, ont été communiquées à la Grèce en décembre 2021, et sont actuellement en attente dune décision. Dautres plaintes ont été déposées mais nont pour linstant toujours pas été étudiées, malgré les preuves déposées, sans que nous sachions pourquoi. Largumentaire juridique dans ces cas est majoritairement basé sur larticle 2 de la Convention Européenne des Droits de lHomme mise en danger de la vie dautrui , larticle 3 traitements inhumains, dégradants et tortures , et larticle 5 détention arbitraire. La Grèce est le seule pays de lUnion européenne qui na jamais ratifié le protocole 4 de la Convention consacrant le principe dinterdiction des refoulements et linterdiction des expulsions collectives ce qui, de fait, exclu une condamnation sur ce seul fondement.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Nous espérons une « décision position » de la CEDH, mais ne sommes tout de même pas certains que cela mènera à une amélioration de la situation aux frontières. Dans dautres affaires, nous avons déjà vu la Cour justifier les pratiques de refoulement en invoquant le fait que les personnes en migration doivent utiliser les « points dentrée officiels » pour demander lasile. Cet argument est toutefois inopérant : le deal signé entre lUE et la Turquie est justement fait pour que les Turcs retiennent les personnes exilées sur leur territoire et les empêchent de venir en Europe. Ces points dentrée, cest pour les touristes et les achats de cigarettes moins chères, aucune chance dy demander lasile. La plupart des plaignant.es que nous représentons ont depuis réussi à migrer dans dautres pays de lUE et ont été reconnu.es réfugié.es là-bas. Il est primordial de continuer de dénoncer ces méthodes illégales aux frontières malgré la pression accrue sur les ONGs et le monde militant. La Turquie et la Grèce instrumentalisent au maximum le sujet chacune de leur côté. En Turquie, certaines institutions publient et dénoncent le traitement grec des personnes en migration. Elles tentent de calculer le nombre de pushbacks et déplorent publiquement que la Grèce financée par lUE gère si mal ses frontières. La Grèce quant à elle, dans son discours affirme quil sagit de la propagande dErdogan. La vieille rengaine entre les deux pays… et pendant ce temps rien ne change! Il faudra certainement encore des années dinvestigations et de dénonciation pour arriver à faire bouger la pratique, si une autre, encore plus dramatique, nest pas inventée dici là. La prochaine piste à explorer est de tenter de faire qualifier les pushbacks en tant que crimes contre lhumanité, et de se battre sur le terrain pénal.&lt;/p&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</title><link href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html</id><summary type="html">&lt;p&gt;Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;p&gt;Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance à se dissoudre dans notre vécu ordinaire, emportant avec elle les personnes qui en subissent la ségrégation. Cet article veut montrer que cette invisibilisation ne va pas de soi, quelle est le résultat dimaginaires portés par des acteur.ices locaux qui font du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Inhabitable dans le sens où les personnes exilées sont au mieux considérées comme des « invités », au pire comme une masse nuisible, mais jamais ou trop rarement comme des personnes libres et fortes dun pouvoir dagir individuel et collectif. Des expériences collectives locales, allant des squats à certaines associations visant lémancipation des personnes apparaissent alors comme de potentielles sources dimaginaires territoriaux qui ninvisibilisent plus les exilé.es mais au contraire leur redonnent un peu dautonomie.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Non-respect des procédures de demande dasile par la police de lair et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places dhébergement durgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que lon peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE !&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;En 2007, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et ancien officier de la PAF, écrivait : « Dépassant les clivages humains qui ont conduit aux pires atrocités, Montgenèvre, par sa spécificité de commune transfrontalière, tend la main à ses voisins italiens pour créer ensemble une coopération au service des populations et de leur maintien en montagne. Ce lien va perdurer au-delà des années pour créer lun des plus beaux domaines skiables internationaux dEurope : La Voie Lactée ». M. Hermitte loue le «lien», « tend la main », coopère, comme si lépoque de la séparation des peuples était révolue. Pourtant, à Montgenèvre aujourdhui, la coopération entre la France et lItalie est surtout commerciale et policière. Un golf, une station de ski et une macabre partie de ping-pong avec les personnes exilées ; voilà les seules choses réellement transfrontalières à Montgenèvre. Le local de « mise à labri » où sont enfermées les personnes arrêtées alors quelles tentaient de traverser la frontière, est un Algeco dissimulé derrière le poste de police. Le vocabulaire officiel est pour le moins trompeur, car cette « mise à labri » se traduit quasi systématiquement par lenfermement illégal et le refoulement en Italie des personnes exilées. La fraternité prônée par M. Hermitte ne vaut quen tant quelle promeut le tourisme et efface dun même geste les questions migratoires. Ces mots datent. Mais aujourdhui encore, léquipe municipale montgenèvroise continue de louer le caractère « transfrontalier » de sa station, tout en réussissant lexploit de rester muette sur les enjeux migratoires, alors même que la situation locale fait régulièrement lobjet dune couverture nationale.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Le mutisme est aussi à lœuvre chez des acteur.ices dépendant.es de subventions, ou de marchés publics. Parmi elleux, des acteur.ices de la solidarité, de la culture et du tourisme font attention à rester « neutres », « apolitiques », à ne pas faire de vagues, une posture qui participe au maintien de lordre frontalier. La société de transport Resalp, par exemple, a choisi de collaborer avec la police. Cest ainsi que les chauffeur.euses de la ligne Montgenèvre-Briançon demandent aujourdhui les documents didentité à certain.es passager.es non-blanc.hes suivant une pratique ouvertement raciste et totalement illégale.
A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge Solidaire de ranger le linge pendu à ses fenêtres. Ça ne fait pas propre, et il parait que les habitants de Briançon le « vivent mal ». Lorsquun mort est retrouvé sur un chemin descendant vers Briançon, que le refuge solidaire bat des records daccueil à Briançon, les seules préoccupations dArnaud Murgia sont la « sécurité et la tranquillité des habitants ». Soucieuses que lopinion publique nassocie « personnes exilées » avec « insalubrité », des associations organisent au printemps des randonnées pour ramasser les habits abandonnés sur les chemins pendant lhiver, effaçant ainsi les traces des passages migratoires et de leur répression, se laissant prendre au piège de linvisibilisation. De manière générale, le Briançonnais se muséifie. La « préservation » du patrimoine et de lenvironnement sert dexcuse pour définir où est-ce que les personnes en situation dexil peuvent être hébergées, et quels usages sont tolérés. Le tout étant que ce, celles et ceux qui dérangent ne se voient pas, en particulier pour les touristes, qui ont le champ libre et un accès privilégié à lusage, voire à lusure, du territoire.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;SOLIDARITÉ DE FAÇADE&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Les mécanismes dinvisibilisation de la frontière sont dautant plus efficaces quils sont secondés par une redoutable stratégie de communication qui affiche le Briançonnais comme un territoire ouvert et accueillant, une stratégie consistant à créer une image officielle convenable, voire séduisante, et à limiter lexpression de récits alternatifs.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Une fresque murale représentant une personne noire qui traverse des montagnes, un festival se voulant « polychrome » affichant une programmation éclectique de musiques du monde, une station de ski transfrontalière : si on ne sait pas ce qui se trame autour de la frontière, le Briançonnais pourrait passer pour un territoire ouvert, presque solidaire. Après tout, le maire de Briançon et le préfet du département saffichent publiquement en soutien dun nouveau centre de vacances pour des personnes en situation de précarité. Cest que ça doit être des gars bien !&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La communication est bien ficelée. En saffichant publiquement comme soutiens de lassociation 82-4000 solidaires, qui vise à démocratiser la haute montagne, Arnaud Murgia et Dominique Dufour (le préfet des Hautes-Alpes) apparaissent « solidaires », sans pour autant remettre en cause les catégories sociales servant à discriminer laccès au territoire et aux droits. Les immigrés « légaux » (ou tolérés un temps) ont le droit de venir en vacances dans le Briançonnais, tandis que les « migrants », les « illégaux » peuvent toujours attendre à Oulx. En plus de cacher leur politique sécuritaire derrière une solidarité sélective, cette pirouette communicationnelle leur permet de se réapproprier la solidarité et de marginaliser les discours dopposition. Si la solidarité nappartient pas quaux militant.es, alors ceux-ci se caractérisent par leur radicalité, et peuvent être érigés en menace pour lordre public. Pourtant, cette solidarité de façade dissimule mal les priorités répressives de M. Murgia. On peut citer, à titre dexemple, le sort de la MAPEmonde, ancien service daide aux personnes étrangères de la MJC, qui na pas été maintenu dans le nouveau centre social intercommunal.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;DAUTRES RÉCITS EXISTENT…&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;La persévérance des associations et collectifs locaux fait que dautres récits existent sur le territoire et se diffusent jusque dans la presse et les réseaux (inter)nationaux : celui de laccueil, ou de la liberté de circulation. Néanmoins, ces récits peuvent aussi contribuer à entretenir la ségrégation quinstituent les frontières étatiques.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Nous opposons assez facilement à limage de montagne-frontière celle dune montagne-refuge, un récit qui sappuie sur limaginaire montagnard, et quelques formules de bon sens : « on nabandonne pas quelquun en montagne » ; « en refuge, on ne laisse personne dormir dehors, quitte à dormir sur et sous les tables », etc. Si ce récit peut correspondre à une certaine réalité, il comporte également un certain nombre de dangers. En ne nommant pas les violences racistes et sécuritaires qui rendent ces « refuges » nécessaires, il empêche de sattaquer aux problèmes de fond. Il fait aussi de la montagne un territoire dexception par rapport aux autres territoires, alors même que, par principe, la liberté de circulation devrait être défendue partout.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La mise en spectacle de lhospitalité et des maraudes crée dautre part une figure de héros-solidaire dont dépendent les personnes en exil pour arriver à bon port. Cest-à-dire quon naturalise lidée selon laquelle les « solidaires » seraient indispensables aux personnes en exil, ce qui revient à les priver de leur capacité daction et de leur autonomie. On recrée ainsi une situation de domination, dans laquelle le héros-solidaire confisque le pouvoir au lieu de contribuer à lémancipation des personnes quil prétend aider.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Comment alors faire exister des récits qui permettent lémancipation des personnes en exil, et démontent les structures racistes ? A lévidence, la première chose à faire est de rendre visible la ségrégation raciste que produit la frontière, et que les autorités cherchent à cacher. Reste ensuite à imaginer, et diffuser, des imaginaires territoriaux qui favorisent lémergence despaces et de structures sociales émancipatrices.&lt;/p&gt;
&lt;h2&gt;ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QUELLES FORMENT DES FORÊTS !?&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Lidée que tout le monde puisse circuler et sinstaller où bon lui semble peut paraître aussi absurde que le titre de cet article. Pourtant, lexpérience montre quil peut exister des structures sociales et des modes dorganisation collectifs qui permettent aux personnes exilées dêtre dans une posture dacteur.ices et de regagner de lautonomie. Des structures dans lesquelles la notion « détranger.e » ne fait que peu de sens et celle de « personne accueillie » est rapidement remplacée par celle de « cohabitant.e » ou de « voisin.e ». Comment seulement faire que ces possibles émancipateurs remplacent les conceptions racistes dans les imaginaires et les récits territoriaux ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Lutter pour lémancipation individuelle et collective cest redonner le pouvoir dagir aux personnes qui en ont été privées : un pouvoir dauto-détermination, mais aussi et surtout un pouvoir dagir politique. La politologue Fatima Ouassak, comme dautres théori-cien.nes de la pensée décoloniale, montre que rien de cela ne peut se faire sans laisser aux personnes exilées un « accès à la Terre », et la possibilité de vivre où elles le souhaitent. Souvent considérées comme des sources dinsécurité potentielles, les personnes immigrées ou considérées comme telles ne sont presque jamais associées aux choix politiques ou urbanistiques impactant leurs lieux de vie. Les politiques locales mises en place par messieurs Murgia ou Hermitte sont une déclinaison locale de la politique sécuritaire en œuvre au niveau national : elles cherchent, presque explicitement, à faire du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Les personnes exilées sont par défaut exclues, exceptionnellement tolérées, mais uniquement dans des lieux prévus à cet effet, qui incarnent limaginaire de la « bonne solidarité »; des lieux dans lesquels on peut être « accueilli », mais où on ne vit pas. Si lon suit la proposition de Fatima Ouassak, lenjeu nest pas doffrir aux personnes exilées un retour à la Terre au sens écolo-privilégié de lexpression, mais de leur rendre la possibilité dhabiter, comme elles veulent, et où elles veulent.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Là où « être accueilli.e » est un statut passif, « habiter » est une posture active et émancipatrice, tant individuellement que collectivement. En revenant sur lhistoire du marronnage la sécession des esclaves en Amérique et dans les archipels de lOcéan Indien le philosophe et anthropologue mahorais Dénètem Touam Bona montre limportance des « forêts » dans la reprise dune puissance dagir collective vers lémancipation. Le terme « forêt » désigne ici un espace où lon est libre dhabiter comme on le souhaite, un en-dehors des normes instituées où lon développe des pratiques de subsistance, de loisir ou de spiritualité, où lon crée des liens et où lon sorganise contre un système oppressif. Dans le Briançonnais, les espaces qui se rapprochent de cette idée se font rares. Il y a bien quelques squats, lieux collectifs ou associations où les personnes exilées ne sont pas contraintes par des normes quelles nont pas faites, mais ils sont rares, et surveillés de près.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La production de récits territoriaux émancipateurs reste ouverte, mais se dessinent déjà quelques pistes de réflexion : laisser la parole aux premier.es concerné.es, et enquêter à partir dexpériences qui montrent tant les discriminations que les émancipations ; montrer comment se construisent ces expériences, ces espaces et ces structures sans en cacher les limites ou les difficultés. Lenjeu est de désarmer les récits qui hiérarchisent les vies entre elles, invisibilisent une partie de la population et marginalisent les pensées alternatives, en multipliant les récits dans lesquels les individus choisissent dhabiter, plutôt quacceptent dêtre accueillis.&lt;/p&gt;</content><category term="01"></category></entry><entry><title>Tadi taxi oula saroukh ?</title><link href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html" rel="alternate"></link><published>2023-12-04T00:00:00+01:00</published><updated>2023-12-04T00:00:00+01:00</updated><author><name>ravages</name></author><id>tag:None,2023-12-04:/tadi-taxi-oula-saroukh.html</id><summary type="html">&lt;h2&gt;«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»&lt;sup id="fnref:1"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:1"&gt;1&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Lyrica est un nom assez poétique pour un médicament. Pourtant la prégabaline en a beaucoup dautres, encore plus évocateurs. Selon la langue et la latitude on lappelle la « Rouge », le « Taxi », la « Fusée ». Il semble que, de ce puissant …&lt;/p&gt;</summary><content type="html">&lt;h2&gt;«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»&lt;sup id="fnref:1"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:1"&gt;1&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;&lt;/h2&gt;
&lt;p&gt;Lyrica est un nom assez poétique pour un médicament. Pourtant la prégabaline en a beaucoup dautres, encore plus évocateurs. Selon la langue et la latitude on lappelle la « Rouge », le « Taxi », la « Fusée ». Il semble que, de ce puissant médicament anxiolytique, antalgique et antiépileptique, on parle même dans quelques chansons, sur les côtes méridionales de la Méditerranée. Sa popularité en tant que drogue récréative est énorme dans les pays du Maghreb. Lîle de Samos semble avoir été, pendant plusieurs années, sa plaque tournante et le centre de sa diramation vers lEurope. Aujourdhui, le Lyrica se trouve partout, vendu sous le manteau à 1,50€ la gélule, 10€ la plaquette, de Perpignan à Bruxelles, en passant par la Porte de la Chapelle.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Quelle est donc la raison dun succès international qui frôle la légende ? Quest-ce qui fait de ce dérivé de lacide gamma-amino-butyrique (ça fait moins rêver, nest-ce pas?), lun des médicaments les plus cités dans des fausses ordonnances, en France et en Belgique ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;La réponse est simple, chères lecteur.ices : une stratégie de marketing bien réussie ! Qui comporte, il est vrai, quelques pépins avec la justice, mais cela na plus lair de scandaliser lopinion publique occidentale, après les affaires de lOxyContin de Purdue Pharma, ou du Fentanyl dInsys Therapeutics, protagonistes inoubliables de la saga des opioïdes aux Etats-Unis.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Dautant plus que le Lyrica, pour le moment, est la drogue des sans-papiers, des exilé.es, des détenu. es, des sans-abris, des usager.es dopioïdes : une population dinvisibles, sans droits et sans repré-sentant.es. Ce qui fait de sa diffusion sous le manteau un crime presque parfait.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Bravo donc à Pfizer, propriétaire des droits dexploitation de la prégabaline, davoir réussi une deuxième affaire du siècle, après le vaccin anti-Covid ! Ces profits sont bienvenus, si lon tient compte des 2,3 milliards de dollars damende payés en 2009 au gouvernement Étasunien pour avoir fait la promotion illicite de plusieurs médicaments (dont le Lyrica); des 60 millions de dollars damende payés en 2012, pour avoir corrompu des médecins et des représentant.es de gouvernement en Chine, République Tchèque, Italie, Serbie, Bulgarie, Croatie, Kazakhstan et Russie. Sans oublier les 1,3 millions deuros versés à Jérôme Cahuzac en 2016, on se demande bien pourquoi...&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Mais attention, chères lecteur.ices. Comme vous pouvez bien limaginer, lutilisation de ce médicament nest pas sans un certain nombre de conséquences plus que négatives. La prégabaline a en effet des propriétés euphorisantes, relaxantes et désinhibantes, en particulier lorsquelle est utilisée en association avec dautres dépresseurs (opiacés, alcool, benzodiazépines…) dont elle potentialise les effets. Certains usager.es rapportent également une sensation de toute puissance. Mais un usage excessif entraîne très rapidement une forte dépendance physique, ainsi que plusieurs effets indésirables : prise de poids, œdème périphérique, vertiges, somnolence, ataxie, tremblements, fatigue, céphalées, douleurs articulaires, impuissance, troubles visuels. Le mésusage augmente le risque de dépression respiratoire par surdose dopiacés, ainsi que le risque de troubles du rythme cardiaque. Au niveau comportemental, son usage est associé à une augmentation des idées suicidaires et des passages à lacte, des accidents de la route, et de lagressivité.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;En fouillant dans la littérature pharmaceutique, on découvre que « les médicaments de la famille des gabapentinoïdes, dont le Lyrica fait partie, semblent être une cause de mortalité insuffisamment recherchée en médecine légale, notamment dans le cadre des décès pour overdose dopioïdes », ce qui veut dire, dans notre langue, que le Lyrica tue un grand nombre dusager.es dopioïdes, mais que, pour le moment, personne na vraiment envie de savoir combien, ni bien sûr de bouger un doigt pour les aider.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Merci Pfizer, encore une fois.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;Mais laissons la parole à notre ami K., [ancien usager de Lyrica] qui vit à Briançon depuis plus de deux ans.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Toi, tas quoi à me dire sur le Lyrica ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Encore hier, il y a un gars du Refuge Solidaire&lt;sup id="fnref:2"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:2"&gt;2&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt; qui savait quil était en manque, alors il a pris son drap et il est allé dormir dans le parking près du refuge.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Mais il a dormi sur le parking, à même le sol ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Bah oui, il savait quavec tout le monde au Refuge il pourrait pas se contrôler, alors il est parti sur le parking, tranquille, tout seul.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; La dernière fois quand je tai demandé cétait quoi les plats typiques de lAlgérie, tu mas répondu que cétait le Lyrica ! Parce quau Maroc ya pas une aussi grande consommation, cest ça ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Pour la moitié des gens, comme les Marocains, la prise de Lyrica commence en Turquie. A Takzim, les potes que tu vas te faire ils vont te proposer du Lyrica. Les gens ils en vendent dans les camps, dans les associations. Au Maroc on a dautres drogues, des Karkoubi [drogues psychotropes] comme roche [surnom du Valium]. Mais on na pas trop de Lyrica. Et tu vois, les gens qui sont pas sociables, qui sont timides et tout, ils prennent du Lyrica. Les gens qui sont SDF en Bosnie et qui partent dans les markets ou au feu rouge pour demander de largent, eux ils prennent du Lyrica, ça les encourage à faire ça. Pour voler aussi, ça donne du courage.
Beaucoup de gens ils en prennent pour marcher aussi, pour traverser la montagne, pour se donner de lénergie.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Et ten a déjà pris ? Tu ressens quoi exactement ? Tes pas obligé de répondre si tu veux pas.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Moi mon maximum cest 21 en une journée ! Une fois au Refuge, parce que tas le droit à 3 pilules maximum par jour&lt;sup id="fnref:3"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:3"&gt;3&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;, ya un gars il disait « mais moi je suis habitué à 7 ou 8 par jour » et moi je lui ai pas dit mais jen prenais parfois 17, 21 par jour (rires). Mais il faut se contrôler, jai pas tout pris dun coup, comme ça tu sais. Il faut en prendre sur la journée. Au début ten prends, tas plein dénergie et tout. Ça te rend trop sociable, ça te donne du courage et un peu de force. Et quand tu commences à sentir que lénergie ça finit, tu prends encore. Mais à la fin moi quand jai senti que cest bon lénergie cest fini, jai arrêté den prendre, jai aussi senti que je pouvais mendormir nimporte où. Javais les yeux tout rouges, et plus dénergie. Et si tu continues de trainer, par exemple de marcher, tu commences à oublier où tu es et tu peux tendormir dun coup. Et tu peux plus marcher normalement. Et puis, ya des gens le lendemain ils se souviennent plus de rien. Ca te fait vraiment sentir high, mumteshi [défoncé en darija marocain]. Le best combo, cest Lyrica, du coca, et fumer du shit. Ça cest comme si ça explosait la force du Lyrica, ça donne vraiment un trop trop grand high.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Mais du coup quand tes habitué à en prendre 21 par jours et quaprès tu peux en prendre seulement trois, le manque il se manifeste comment ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Quand tes en manque ya des gens ils deviennent vraiment trop agressifs. Ya des gens qui volent et qui tuent à cause du Lyrica sur la route. Une fois jétais en prison en Slovénie et yavait des gens qui étaient en manque de Lyrica. Et les employés de la prison ne voulaient pas leur en donner. Alors les exilé.es ont commencé à ouvrir leur corps, à se faire du mal à eux-même&lt;sup id="fnref:4"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:4"&gt;4&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt; et à tout casser. Les toilettes, les chaises… Et une fois quils ont ouvert leur corps, on leur a donné du Rivotril.&lt;sup id="fnref:5"&gt;&lt;a class="footnote-ref" href="#fn:5"&gt;5&lt;/a&gt;&lt;/sup&gt;
Tu peux mourir à cause du Lyrica. Une fois, jétais en Bosnie, il y a des gens ils vivaient dans une maison abandonnée. Cétait des migrants. Ils ont passé la limite du Lyrica.&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;R : &lt;/strong&gt; Tentends quoi par la limite du Lyrica ?&lt;/p&gt;
&lt;p&gt;&lt;strong&gt;K : &lt;/strong&gt; Ils ont pris plus quun paquet. Et dans un paquet des fois il y a 14, des fois il y a 21 pilules. Ils étaient trois personnes. Un il était sorti de la maison. Un il était déjà en train de dormir, en overdose, K.O. Et lautre il était au téléphone avec sa mère. Et dans la maison il y avait pas de lumière. Il a allumé une bougie mais il était sous Lyrica alors il a rien mis en bas de la bougie, il la posée directement sur la couverture. Et le mec il avait seulement envie de parler avec sa mère et après cest bon, il dort. Le moment où il a fini lappel avec sa mère, il a commencé à être en overdose lui aussi, et il a oublié déteindre la bougie. La bougie elle a continué, continué de fumer et ça a allumé la couverture. Et parce que vraiment ils avaient trop pris de Lyrica, ils se sont pas réveillés. Cest la troisième personne qui était pas dans la maison qui est rentrée et a trouvé que tout avait brûlé. Ils sont restés les deux dans le coma et au bout dun mois lun est mort et lautre sest réveillé...
Mais il faut pouvoir contrôler. Parce que un peu ça taide trop. Tu en prends pour passer, sur la route. Quand tu marches dans la forêt ou quand tu sais que tu vas devoir faire des trucs durs. Mais trop vraiment cest dangereux. Tu peux devenir tellement agressif, faire vraiment nimporte quoi, et après tu te rappelles de rien.&lt;/p&gt;
&lt;div class="footnote"&gt;
&lt;hr&gt;
&lt;ol&gt;
&lt;li id="fn:1"&gt;
&lt;p&gt;Paroles de la chanson Takoul Saroukh (littéralement: « mange du Lyrica ») de Cheb Djalil.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:2"&gt;
&lt;p&gt;Le Refuge Solidaire est un lieu daccueil temporaire des personnes exilées traversant la frontière franco-italienne.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:3"&gt;
&lt;p&gt;La PASS à lhôpital de Briançon donne maximum trois jours de Lyrica aux habitant.es du refuge. Lordonnance est théoriquement non-renouvelable si le départ est décalé.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:4"&gt;
&lt;p&gt;Comme dit plus haut, une des principales manifestations du manque est de se faire du mal à soi-même.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:4" title="Jump back to footnote 4 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;li id="fn:5"&gt;
&lt;p&gt;Le Rivotril est utilisé dune manière similaire au Lyrica.&amp;#160;&lt;a class="footnote-backref" href="#fnref:5" title="Jump back to footnote 5 in the text"&gt;&amp;#8617;&lt;/a&gt;&lt;/p&gt;
&lt;/li&gt;
&lt;/ol&gt;
&lt;/div&gt;</content><category term="01"></category></entry></feed>

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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <p>Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<div class="entry-content"> <p>Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<div class="entry-content"> <p>Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<div class="entry-content"> <p>Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<div class="entry-content"> <p>LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<h1>Edito</h1>
<p>Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et surtout parce que des ravages y en a plein. Dans ldico ya écrit quun ravage est un dégât matériel causé de façon violente par laction des gens ou de la nature. Cest aussi « leffet désastreux de quelque chose sur quelquun », comme quand on parle des ravages de la guerre, ou de ceux du salariat.</p>
<p>Loin de simaginer comme des cataclysmes de chair et dos qui répandraient la colère à laide de petites revues, lidée est plutôt de témoigner des ravages de notre époque à partir dun point dobservation précis, celui de la frontière franco-italienne à Briançon. On sest dit que ça manquait un peu, dans le paysage militant du coin. Alors on a commencé à écrire. Certains de nos articles sont écrits à quatre, six, huit, parfois dix mains ! Et cétait pas toujours facile. Entre nous les critiques étaient vives, et certaines oreilles sourdes au moindre reproche<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>.</p>
<p>Pour le moment cest tout !</p>
<p>Bonne lecture,</p>
<p>Textes : FleurBleu, KroustiKebs, Mody-Bic, Biche, Plume, Verveine Citronnée, Libé-nul, Daiyon.</p>
<p>Illustrations : Le dindon de la furss, Nao, vrrhngt, Plume, François, Léon.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Cest pour rire...
l&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
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<li><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></li>
<li><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html">Tadi taxi oula saroukh ?</a></li>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<div class="entry-content"> <p>Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<li><article class="hentry">
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00"> lun. 04 décembre 2023 </time>
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<p>Lyrica est un nom assez poétique pour un médicament. Pourtant la prégabaline en a beaucoup dautres, encore plus évocateurs. Selon la langue et la latitude on lappelle la « Rouge », le « Taxi », la « Fusée ». Il semble que, de ce puissant …</p> </div><!-- /.entry-content -->
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<h1>Edito</h1>
<p>Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et surtout parce que des ravages y en a plein. Dans ldico ya écrit quun ravage est un dégât matériel causé de façon violente par laction des gens ou de la nature. Cest aussi « leffet désastreux de quelque chose sur quelquun », comme quand on parle des ravages de la guerre, ou de ceux du salariat.</p>
<p>Loin de simaginer comme des cataclysmes de chair et dos qui répandraient la colère à laide de petites revues, lidée est plutôt de témoigner des ravages de notre époque à partir dun point dobservation précis, celui de la frontière franco-italienne à Briançon. On sest dit que ça manquait un peu, dans le paysage militant du coin. Alors on a commencé à écrire. Certains de nos articles sont écrits à quatre, six, huit, parfois dix mains ! Et cétait pas toujours facile. Entre nous les critiques étaient vives, et certaines oreilles sourdes au moindre reproche<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>.</p>
<p>Pour le moment cest tout !</p>
<p>Bonne lecture,</p>
<p>Textes : FleurBleu, KroustiKebs, Mody-Bic, Biche, Plume, Verveine Citronnée, Libé-nul, Daiyon.</p>
<p>Illustrations : Le dindon de la furss, Nao, vrrhngt, Plume, François, Léon.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Cest pour rire...
l&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
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<li><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</a></li>
<li><a href="/lexique-frontiere.html">Lexique : frontière</a></li>
<li><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html">L'intégration à coups de patates</a></li>
<li><a href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</a></li>
<li><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></li>
<li><a href="/tadi-taxi-oula-saroukh.html">Tadi taxi oula saroukh ?</a></li>
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<title>ravages - LA JAUGE DU REFUGE SOLIDAIRE : LACCUEIL INCONDITIONNEL CONDITIONNE</title>
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<a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-laccueil-inconditionnel-conditionne.html" rel="bookmark"
title="Permalink to LA JAUGE DU REFUGE SOLIDAIRE : LACCUEIL INCONDITIONNEL CONDITIONNE">LA JAUGE DU REFUGE SOLIDAIRE : LACCUEIL INCONDITIONNEL CONDITIONNE</a></h2>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00">
lun. 04 décembre 2023
</time>
<address class="vcard author">
By <a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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Category: <a href="/category/01md.html">01.md</a>
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<div class="entry-content">
<p>Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple le fait quun accueil qui se dit inconditionnel et une jauge à ne pas dépasser ne vont pas facilement de pair, quun bâtiment ne peut se dire plein tant quil est vide à 60%, que les normes nont pas été inventées pour le bien de lhumanité, spécialement quand elles obligent de gens à dormir dans un couloir pourri plutôt que dans une chambre de merde. Et que les discours de lautorité, de la propriété, de lurgence et de la peur ont plutôt mauvaise presse dans nos pages.</p>
<p>Avant on pouvait toujours pousser les murs. Quand les chambres étaient pleines on se serrait encore plus. On dormait dehors, on tapissait la cuisine de matelas en se demandant comment on allait faire pour que tout le monde dorme dans un local si petit. Avant cétait «le squat», mettez lintonation que vous voudrez dans ces mots. Le Refuge<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup> du 37 rue Pasteur avait ses règles, celles dun lieu plus ou moins autogéré, tout autant contournées, détournées, enjambées par les bénévoles et les personnes accueillies sil le fallait, en fonction des circonstances. Parce quil y avait des règles, mais pas de propriétaire pour les faire respecter, on nen gardait que le meilleur : des indications de bon sens à respecter quand cest possible, à oublier le reste du temps. Et ça a duré des années, et on en a vu passer du monde ! Ne nous demandez pas les chiffres, on naime pas ça, mais on peut vous dire quon sest retrouvé à cent et même plus, dans ce petit lieu chaotique et passablement insalubre. On pourrait nous suspecter dagiter le fameux «cétait mieux avant» , mais on dit juste que les règles étaient moins étouffantes peut être au détriment du confort matériel du lieu. Et puis en août 2021, après un virage à droite de la mairie et des luttes intestines quon vous épargne ici, le Refuge a fermé ses portes, et cest là-haut, à côté de lhôpital, quil les a rouvertes, dans les locaux des Terrasses Solidaires.</p>
<p>Le nouveau Refuge est plus grand, et plus cher aussi. Derrière lachat et la rénovation du 34 route de Grenoble qui a coûté plus ou moins un million deuros avant même douvrir ses portes il y a Olivier Legrain du fond Riace France et ancien du groupe Lafarge, et Jean-François Rambicur de la fondation Arceal-Caritas France, administrateur du groupe Roquette, petit géant de lagro-industrie française et méga-pollueur. Alors voilà, des personnes très sérieuses ont donné beaucoup dargent, et il sagirait de ne pas en faire nimporte quoi. Le nouveau Refuge se pare de nouvelles règles. Il y a des normes de sécurité, dhygiène, des façons régulières et irrégulières de se rendre au sous-sol, dans la cuisine, dans la réserve de vêtements, et celle de nourriture. Il y a des clés, des codes qui ferment des portes, des protocoles daccueil, dentrée, de sortie et de soin. Il y a aussi trois étages supplémentaires, dont deux avec des chambres, des toilettes et des douches, que les propriétaires ont décidé de ne pas destiner à laccueil, et qui restent donc vides et inutilisés, parce que pas aux normes, alors quil suffirait de faire tomber une porte pour y accéder. Et puis il y a un.e « russe » dont tout le monde parle, Responsable Unique de Sécurité, de son vrai nom, qui ne dort pas la nuit à lidée que la moindre infraction à lune de ses règles ne finisse par lui coûter la prison. Et parmi ces règles, il y a la jauge : 64 personnes, à ne pas dépasser.</p>
<p>Le but de cet article nest pas de dire : refusons largent des patrons-philanthropes et organisons-nous pour laccueil digne et autogéré des personnes exilées même si on dit ça un peu quand même mais de comprendre un peu mieux comment les protocoles qui régulent lhospitalité affectent laccueil et le traitement des personnes exilées au Refuge. Et de dénoncer, au passage, certains abus vraiment intolérables.</p>
<h2>ARRÊTEZ DARRIVER</h2>
<p>« Non mais tu comprends pas, si personne ne part, personne ne peut arriver non plus ! Et puis ya des questions de sécurité aussi : si le bâtiment crame on fait quoi ? Si on dépasse la jauge lassurance ne paye pas, et puis même, au-delà des normes, tu te verrais dormir dans le réfectoire, toi ? Ya du bruit tout le temps, cest pas tenable, mieux vaut les faire partir, on sait pas où, mieux vaut éviter le pire ! Et puis le Russe il a des cernes on dirait un dindon. »<sup id="fnref:2"><a class="footnote-ref" href="#fn:2">2</a></sup> Il est plutôt brouillon lépouvantail quon agite au Refuge pour pousser les personnes exilées vers la sortie : on y trouve des enjeux dargent et de sûreté tout entremêlés de soucis du bien-être et de la dignité dautrui<sup id="fnref:3"><a class="footnote-ref" href="#fn:3">3</a></sup>. Il nous arrive aussi parfois dentendre la théorie de lappel dair, dans sa version pour les nul.les, selon laquelle si on rajoute trois lits de camp dans le couloir, il y aurait immédiatement et immanquablement trois personnes pour quitter le Bangladesh en direction de Briançon.</p>
<p>De toutes ces règles à respecter et faire respecter ressort une impression de crise permanente. Cest-à-dire quà partir du moment où les yeux du conseil dadministration, des salarié.es et des bénévoles sont rivés sur la jauge-quil-ne-faut-pas-dépasser, les personnes qui restent et celles qui arrivent toutes celles qui menacent malgré elles de faire péter la jauge deviennent perçues et traitées comme des problèmes à gérer. Les personnes exilées qui arrivent au Refuge sont donc accueillies, certes, mais accueillies comme de potentielles futures menaces, des réfractaires au départ, les empêcheurs et empêcheuses du bon fonctionnement du Refuge en général et de laccueil (qui porte mal son nom) en particulier. Ce triste arrangement de conscience na pas lair de troubler plus que ça les membres du conseil dadministration. A nos critiques, ces gens-là répondent généralement avec agacement quil ny a pas dautres solutions et que nous ne servons donc à rien, avec notre empathie et notre idéalisme que lurgence perpétuelle ne parvient pas à anesthésier. Parce que LA solution, tenez-vous bien, nous lavons très claire en tête, elle est simple comme deux et deux font quatre, irréfutable mais on ne la révélera quà la fin de cet article.<sup id="fnref:4"><a class="footnote-ref" href="#fn:4">4</a></sup></p>
<h2>LA TYRANNIE DU PRÉSENT</h2>
<p>Les discours de crise ont tant été utilisés comme moteurs dindignation que lespace public est devenu largement saturé durgences qui finalement peuvent attendre, et de chocs qui ne choquent plus. En dautres termes, les discours de crise sont contre-révolutionnaires en tant quils permettent de stabiliser une condition existante plutôt que de minimiser des formes de violences quotidiennes. La crise reproduit des institutions, des pratiques et des réalités plus quelle ninterroge la manière dont ces crises sont advenues, ou comment on pourrait en sortir<sup id="fnref:5"><a class="footnote-ref" href="#fn:5">5</a></sup>. Les personnes qui, au refuge comme ailleurs, nourrissent un sentiment durgence permanente se font les complices, volontaires ou non, dun discours qui, tant quil nous fait tourner en rond, nous empêche de nous demander pourquoi, au fait, est-ce quon tourne en rond. Etat durgence et dérive gestionnaire sont les écueils contre lesquels sécrase toute possibilité de réflexion autour de sujets pourtant centraux : la responsabilité du néocolonialisme dans les grands mouvements migratoires ; le rôle du capitalisme dans les dérèglements climatiques à lorigine de ces mêmes phénomènes ; la possibilité dun accueil digne dans une société qui refuse de remettre en question la propriété privée, la croissance économique, le plein emploi et le salariat. Tant de choses, une fois réintégrées dans le débat, pourraient servir de garde-fou (voire dantidote) contre le paternalisme et la maltraitance de salarié.es constamment au bord du burn-out.</p>
<p>Au Refuge, la crise ça veut dire pas le temps de mintéresser à ton passé, toi que jaccueille, et pas le temps non plus de me pencher sur ton futur. Il ny a quici et maintenant que tu existes, et tu ressembles plus à un colis encombrant quà une personne comme moi et mes potes. Le présentisme cest un peu la maltraitance ordinaire : peu importe doù tu viens et où tu vas, comme cest lurgence ici, tant que tu y es tu seras un parmi dautres, à nos yeux daccueillant.es. Pas le temps découter tes problèmes, et si par hasard tu deviens connu.e de moi cest que tauras merdé quelque part, tu te seras fait remarquer et probablement pas pour les bonnes raisons, tauras eu le culot de faire des vagues alors que franchement, tas pas vu comme cest compliqué déjà la vie ici, tétais vraiment obligé de rajouter des problèmes, sérieux ?<sup id="fnref:6"><a class="footnote-ref" href="#fn:6">6</a></sup>. Parler de crise au Refuge cest, souvent, éviter de remettre en question des pratiques daccueil qui traitent les personnes accueillies comme des indésirables et forcent leur départ vers des futurs précaires.</p>
<h2>INDÉSIRABLES</h2>
<p>Mais qui part quand la jauge est pleine ? Qui est-ce quon met à la porte en premier et à qui est-ce quon accorde un peu de répit ? Ces questions quotidiennes étendre ou non la durée de laccueil, enfreindre ou pas le protocole qui stipule que chaque personne accueillie ne peut rester que trois jours et trois nuits révèlent souvent une hiérarchie qui classe les personnes exilées en fonction de leur vulnérabilité (perçue). Les familles avec enfants, les femmes seules et les femmes enceintes sont souvent désignées comme plus vulnérables que les hommes seuls, et donc plus à même de pouvoir rester. Mais ces catégories sont héritées de logiques gouvernementales. Ce sont celles qui déterminent laccueil au 115 ou dans les Centres dAccueil des Demandeurs dAsile (CADA). Les semeur.euses de trouble, les accros au Lyrica, celles et ceux qui sattardent un peu trop, qui commencent à se sentir comme chez elleux, et sortent de lanonymat qui leur était assigné, en revanche, sont les premier.es à subir des pressions au départ. Grâce à cette belle contorsion logique, celles et ceux qui nont vraiment nulle part où aller, sont celles et ceux quon fout dehors avec le moins de scrupules. Cest-à-dire quune personne accueillie a plus de chance de devoir partir si elle va à lencontre des normes de vulnérabilité quon lui assigne que si elle incarne une certaine image de la migration, selon laquelle un.e migrant.e se doit dêtre isolé.e, vulnérable et obéissante pour mériter laccueil.</p>
<p>Et qui est-ce qui décide de qui peut rester, et qui doit partir ? Un œil sur la jauge-à-ne-surtout-pas-dépasser, lautre sur le prix des billets de train pour Paris, les salarié.es de laccueil concentrent de fait le pouvoir de laisser rester et faire partir. La décision de renvoyer quelquun.e du refuge nest ni collective ni vraiment protocolaire, mais bien arbitraire, puisquelle repose souvent sur les impressions, humeurs et inimitiés personnelles que les salarié.es de laccueil nourrissent envers les personnes accueillies. Si lon ajoute à ça lurgence dont on parlait plus tôt, on se retrouve assez vite dans une panade bien grisâtre dans laquelle une poignée de gens contrôle et confisque la mobilité toi tu restes, toi tu pars dune majorité dexilé.es. Ce contexte est propice à des débordements de plus en plus fréquents, où lattitude contrôlante est si brutale quelle semble inspirée par un vrai sadisme, ou par une sorte de délire de puissance que la fatigue et le stress ne suffisent pas à justifier.</p>
<p>Voici quelques extraits de dialogues quon a pu entendre dans le bureau de laccueil du Refuge : « Tes bien content de dormir et manger gratuitement ici, hein? Mais ça peut pas durer ! Tu as trois jours pour acheter un billet et partir! » « [en pleurant:] Mais je nai pas dargent et je ne sais pas où aller ! » « Et ben tu vas te le faire prêter, largent, ou alors tu partiras en stop ! »</p>
<p>Ou encore, à une personne en manque de Lyrica: « Tu veux ta dose ? Il faut que tu achètes un billet pour Grenoble et je vais te la donner, ta dose ! »<sup id="fnref:7"><a class="footnote-ref" href="#fn:7">7</a></sup></p>
<h2>FAUT CONCLURE</h2>
<p>Accueillir cest aussi contrôler. Cest se rendre responsable de quand part qui et parfois où, sans trop savoir pourquoi. En ce sens, la contrainte ne prend pas toujours la forme dune interdiction. Au Refuge bien souvent la contrainte oriente, elle rassure, elle encourage, elle donne à des futurs flous des contours nets pour les faire advenir vite, très vite, parce quil faut faire de la place. La contrainte se fait douce<sup id="fnref:8"><a class="footnote-ref" href="#fn:8">8</a></sup>, quand elle nest pas ouvertement horrible.</p>
<h2>LA SOLUTION (PUISQUON LA PROMISE)</h2>
<p>La solution que nous proposons a lavantage de sadapter à presque tous les picotements de conscience (réels ou factices) des personnes qui détiennent un pouvoir sur les autres. Elle consiste à simplement arrêter de lexercer, ce pouvoir, à regarder un peu ce qui se passe, et à prendre des notes si possible. La jauge va exploser de mai à la mi-octobre<sup id="fnref:9"><a class="footnote-ref" href="#fn:9">9</a></sup>, comme lannée passée, et celle davant encore, ce qui pourrait provoquer autre chose que la fin du monde. Les portes des trois étages vides pourraient finir par souvrir, par exemple. Celleux parmi les propriétaires et les membres du CA qui voudraient les refermer seraient obligé.es de sexposer publiquement, elleux et les limites si mesquines de leur charité. Un tel geste pourrait même faire gagner un peu de sympathie à linstitution épuisée quest le CA du Refuge, dont la politique demeure incertaine, parfois suspecte, et toujours décevante, voire un peu collabo, comme quand ses membres sépoumonent dans les oreilles du préfet, des député.es et des ministres, quenfin yen a marre, il faut agir, ya trop de migrant.es par chez nous. Il pourrait arriver plein de choses, sérieux. Le « russe » pourrait même retrouver le sommeil, ou un.e bonne avocat.e.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Le Refuge Solidaire est un lieu daccueil temporaire des personnes exilées traversant la frontière franco-italienne.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:2">
<p>Soupe darguments régulièrement servie à quiconque questionne la jauge le plus souvent des bénévoles un peu inquièt.es de mettre des gens à la porte ou des éxilé.es peu désireux.es de se retrouver à la rue.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:3">
<p>Entendez : cest pour le bien des personnes exilées quon les met dehors, et puis de toute façon on na pas le choix, le refuge ne peut quand même pas accueillir toute la misère du monde (sans le soutien de lEtat qui, lui-même la déjà dit, ne peut pas non plus accueillir toute la misère du monde). Voilà on laisse ce tacle en bas de page pour éviter de trop froisser celleux qui ne sidentifieraient pas à la colère qui infuse ce petit article (pour linstant).&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:4">
<p>Suspense de ouf.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:4" title="Jump back to footnote 4 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:5">
<p>Cest pas nous qui le disons cest Joseph Masco, un très chouette anthropologue qui travaille sur linstrumentalisation politique des fins du monde aux Etats-Unis, dans un article (en anglais sorry) qui sappelle The Crisis in Crisis.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:5" title="Jump back to footnote 5 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:6">
<p>Cest une autre soupe, elle aussi indigeste, quon sert parfois au refuge quand la première na pas suffi.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:6" title="Jump back to footnote 6 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:7">
<p>Au moment où cet article était déjà écrit en large partie, nous avons appris une nouvelle déconcertante: une personne salariée du Refuge venait dêtre mise à pied et soumise à enquête parce que accusée dabus de pouvoir sur fond sexuel envers les exilé.es, notamment dans lapplication des mesures mise en place pour respecter la f***ue jauge. Cette histoire touche trop de près le sujet de notre article pour que nous ne la mentionnions pas, mais, dun autre point de vue, elle est beaucoup trop complexe, délicate et troublante, pour quon laborde de manière précipitée. Nous considérons par ailleurs quelle nenlève rien aux opinions que nous exprimons ici. Au contraire, elle corrobore notre indignation. Et, pour le reste, lévènement donne une couleur particulièrement sinistre au ton de certains de nos propos, que nous ne considérions pas, au moment de lécriture, à ce point allusifs.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:7" title="Jump back to footnote 7 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:8">
<p>Puisquil faut rendre à César ce qui appartient à César, lidée dune contrainte positive dun pouvoir qui dit oui, vas-y ! plutôt que beh non tu peux pas faire ça en fait a été pensée et théorisée en grande partie par Michel (Foucault).&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:8" title="Jump back to footnote 8 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:9">
<p>Et ben non ! Le Refuge a décidé le 30 août de fermer ses portes et que plus personne ne rentre. Au moment où nous envoyons RAVAGES à limprimerie, il ny a plus de lieu daccueil inconditionnel à Briançon, à part un squat sans eau (le Pado) et sous menace dexpulsion imminente. Ça nous fait tout drôle, à RAVAGES, cette sensation davoir été, pour une fois, presque TROP OPTIMISTES ?!&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:9" title="Jump back to footnote 9 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
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<p>Avant on pouvait toujours pousser les murs. Quand les chambres étaient pleines on se serrait encore plus. On dormait dehors, on tapissait la cuisine de matelas en se demandant comment on allait faire pour que tout le monde dorme dans un local si petit. Avant cétait «le squat», mettez lintonation que vous voudrez dans ces mots. Le Refuge<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup> du 37 rue Pasteur avait ses règles, celles dun lieu plus ou moins autogéré, tout autant contournées, détournées, enjambées par les bénévoles et les personnes accueillies sil le fallait, en fonction des circonstances. Parce quil y avait des règles, mais pas de propriétaire pour les faire respecter, on nen gardait que le meilleur : des indications de bon sens à respecter quand cest possible, à oublier le reste du temps. Et ça a duré des années, et on en a vu passer du monde ! Ne nous demandez pas les chiffres, on naime pas ça, mais on peut vous dire quon sest retrouvé à cent et même plus, dans ce petit lieu chaotique et passablement insalubre. On pourrait nous suspecter dagiter le fameux «cétait mieux avant» , mais on dit juste que les règles étaient moins étouffantes peut être au détriment du confort matériel du lieu. Et puis en août 2021, après un virage à droite de la mairie et des luttes intestines quon vous épargne ici, le Refuge a fermé ses portes, et cest là-haut, à côté de lhôpital, quil les a rouvertes, dans les locaux des Terrasses Solidaires.</p>
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title="Permalink to La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionnéREFUGE SOLIDAIRE : LACCUEIL INCONDITIONNEL CONDITIONNE">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionnéREFUGE SOLIDAIRE : LACCUEIL INCONDITIONNEL CONDITIONNE</a></h2>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00">
lun. 04 décembre 2023
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<address class="vcard author">
By <a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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Category: <a href="/category/01md.html">01.md</a>
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<p>Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple le fait quun accueil qui se dit inconditionnel et une jauge à ne pas dépasser ne vont pas facilement de pair, quun bâtiment ne peut se dire plein tant quil est vide à 60%, que les normes nont pas été inventées pour le bien de lhumanité, spécialement quand elles obligent de gens à dormir dans un couloir pourri plutôt que dans une chambre de merde. Et que les discours de lautorité, de la propriété, de lurgence et de la peur ont plutôt mauvaise presse dans nos pages.</p>
<p>Avant on pouvait toujours pousser les murs. Quand les chambres étaient pleines on se serrait encore plus. On dormait dehors, on tapissait la cuisine de matelas en se demandant comment on allait faire pour que tout le monde dorme dans un local si petit. Avant cétait «le squat», mettez lintonation que vous voudrez dans ces mots. Le Refuge<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup> du 37 rue Pasteur avait ses règles, celles dun lieu plus ou moins autogéré, tout autant contournées, détournées, enjambées par les bénévoles et les personnes accueillies sil le fallait, en fonction des circonstances. Parce quil y avait des règles, mais pas de propriétaire pour les faire respecter, on nen gardait que le meilleur : des indications de bon sens à respecter quand cest possible, à oublier le reste du temps. Et ça a duré des années, et on en a vu passer du monde ! Ne nous demandez pas les chiffres, on naime pas ça, mais on peut vous dire quon sest retrouvé à cent et même plus, dans ce petit lieu chaotique et passablement insalubre. On pourrait nous suspecter dagiter le fameux «cétait mieux avant» , mais on dit juste que les règles étaient moins étouffantes peut être au détriment du confort matériel du lieu. Et puis en août 2021, après un virage à droite de la mairie et des luttes intestines quon vous épargne ici, le Refuge a fermé ses portes, et cest là-haut, à côté de lhôpital, quil les a rouvertes, dans les locaux des Terrasses Solidaires.</p>
<p>Le nouveau Refuge est plus grand, et plus cher aussi. Derrière lachat et la rénovation du 34 route de Grenoble qui a coûté plus ou moins un million deuros avant même douvrir ses portes il y a Olivier Legrain du fond Riace France et ancien du groupe Lafarge, et Jean-François Rambicur de la fondation Arceal-Caritas France, administrateur du groupe Roquette, petit géant de lagro-industrie française et méga-pollueur. Alors voilà, des personnes très sérieuses ont donné beaucoup dargent, et il sagirait de ne pas en faire nimporte quoi. Le nouveau Refuge se pare de nouvelles règles. Il y a des normes de sécurité, dhygiène, des façons régulières et irrégulières de se rendre au sous-sol, dans la cuisine, dans la réserve de vêtements, et celle de nourriture. Il y a des clés, des codes qui ferment des portes, des protocoles daccueil, dentrée, de sortie et de soin. Il y a aussi trois étages supplémentaires, dont deux avec des chambres, des toilettes et des douches, que les propriétaires ont décidé de ne pas destiner à laccueil, et qui restent donc vides et inutilisés, parce que pas aux normes, alors quil suffirait de faire tomber une porte pour y accéder. Et puis il y a un.e « russe » dont tout le monde parle, Responsable Unique de Sécurité, de son vrai nom, qui ne dort pas la nuit à lidée que la moindre infraction à lune de ses règles ne finisse par lui coûter la prison. Et parmi ces règles, il y a la jauge : 64 personnes, à ne pas dépasser.</p>
<p>Le but de cet article nest pas de dire : refusons largent des patrons-philanthropes et organisons-nous pour laccueil digne et autogéré des personnes exilées même si on dit ça un peu quand même mais de comprendre un peu mieux comment les protocoles qui régulent lhospitalité affectent laccueil et le traitement des personnes exilées au Refuge. Et de dénoncer, au passage, certains abus vraiment intolérables.</p>
<h2>ARRÊTEZ DARRIVER</h2>
<p>« Non mais tu comprends pas, si personne ne part, personne ne peut arriver non plus ! Et puis ya des questions de sécurité aussi : si le bâtiment crame on fait quoi ? Si on dépasse la jauge lassurance ne paye pas, et puis même, au-delà des normes, tu te verrais dormir dans le réfectoire, toi ? Ya du bruit tout le temps, cest pas tenable, mieux vaut les faire partir, on sait pas où, mieux vaut éviter le pire ! Et puis le Russe il a des cernes on dirait un dindon. »<sup id="fnref:2"><a class="footnote-ref" href="#fn:2">2</a></sup> Il est plutôt brouillon lépouvantail quon agite au Refuge pour pousser les personnes exilées vers la sortie : on y trouve des enjeux dargent et de sûreté tout entremêlés de soucis du bien-être et de la dignité dautrui<sup id="fnref:3"><a class="footnote-ref" href="#fn:3">3</a></sup>. Il nous arrive aussi parfois dentendre la théorie de lappel dair, dans sa version pour les nul.les, selon laquelle si on rajoute trois lits de camp dans le couloir, il y aurait immédiatement et immanquablement trois personnes pour quitter le Bangladesh en direction de Briançon.</p>
<p>De toutes ces règles à respecter et faire respecter ressort une impression de crise permanente. Cest-à-dire quà partir du moment où les yeux du conseil dadministration, des salarié.es et des bénévoles sont rivés sur la jauge-quil-ne-faut-pas-dépasser, les personnes qui restent et celles qui arrivent toutes celles qui menacent malgré elles de faire péter la jauge deviennent perçues et traitées comme des problèmes à gérer. Les personnes exilées qui arrivent au Refuge sont donc accueillies, certes, mais accueillies comme de potentielles futures menaces, des réfractaires au départ, les empêcheurs et empêcheuses du bon fonctionnement du Refuge en général et de laccueil (qui porte mal son nom) en particulier. Ce triste arrangement de conscience na pas lair de troubler plus que ça les membres du conseil dadministration. A nos critiques, ces gens-là répondent généralement avec agacement quil ny a pas dautres solutions et que nous ne servons donc à rien, avec notre empathie et notre idéalisme que lurgence perpétuelle ne parvient pas à anesthésier. Parce que LA solution, tenez-vous bien, nous lavons très claire en tête, elle est simple comme deux et deux font quatre, irréfutable mais on ne la révélera quà la fin de cet article.<sup id="fnref:4"><a class="footnote-ref" href="#fn:4">4</a></sup></p>
<h2>LA TYRANNIE DU PRÉSENT</h2>
<p>Les discours de crise ont tant été utilisés comme moteurs dindignation que lespace public est devenu largement saturé durgences qui finalement peuvent attendre, et de chocs qui ne choquent plus. En dautres termes, les discours de crise sont contre-révolutionnaires en tant quils permettent de stabiliser une condition existante plutôt que de minimiser des formes de violences quotidiennes. La crise reproduit des institutions, des pratiques et des réalités plus quelle ninterroge la manière dont ces crises sont advenues, ou comment on pourrait en sortir<sup id="fnref:5"><a class="footnote-ref" href="#fn:5">5</a></sup>. Les personnes qui, au refuge comme ailleurs, nourrissent un sentiment durgence permanente se font les complices, volontaires ou non, dun discours qui, tant quil nous fait tourner en rond, nous empêche de nous demander pourquoi, au fait, est-ce quon tourne en rond. Etat durgence et dérive gestionnaire sont les écueils contre lesquels sécrase toute possibilité de réflexion autour de sujets pourtant centraux : la responsabilité du néocolonialisme dans les grands mouvements migratoires ; le rôle du capitalisme dans les dérèglements climatiques à lorigine de ces mêmes phénomènes ; la possibilité dun accueil digne dans une société qui refuse de remettre en question la propriété privée, la croissance économique, le plein emploi et le salariat. Tant de choses, une fois réintégrées dans le débat, pourraient servir de garde-fou (voire dantidote) contre le paternalisme et la maltraitance de salarié.es constamment au bord du burn-out.</p>
<p>Au Refuge, la crise ça veut dire pas le temps de mintéresser à ton passé, toi que jaccueille, et pas le temps non plus de me pencher sur ton futur. Il ny a quici et maintenant que tu existes, et tu ressembles plus à un colis encombrant quà une personne comme moi et mes potes. Le présentisme cest un peu la maltraitance ordinaire : peu importe doù tu viens et où tu vas, comme cest lurgence ici, tant que tu y es tu seras un parmi dautres, à nos yeux daccueillant.es. Pas le temps découter tes problèmes, et si par hasard tu deviens connu.e de moi cest que tauras merdé quelque part, tu te seras fait remarquer et probablement pas pour les bonnes raisons, tauras eu le culot de faire des vagues alors que franchement, tas pas vu comme cest compliqué déjà la vie ici, tétais vraiment obligé de rajouter des problèmes, sérieux ?<sup id="fnref:6"><a class="footnote-ref" href="#fn:6">6</a></sup>. Parler de crise au Refuge cest, souvent, éviter de remettre en question des pratiques daccueil qui traitent les personnes accueillies comme des indésirables et forcent leur départ vers des futurs précaires.</p>
<h2>INDÉSIRABLES</h2>
<p>Mais qui part quand la jauge est pleine ? Qui est-ce quon met à la porte en premier et à qui est-ce quon accorde un peu de répit ? Ces questions quotidiennes étendre ou non la durée de laccueil, enfreindre ou pas le protocole qui stipule que chaque personne accueillie ne peut rester que trois jours et trois nuits révèlent souvent une hiérarchie qui classe les personnes exilées en fonction de leur vulnérabilité (perçue). Les familles avec enfants, les femmes seules et les femmes enceintes sont souvent désignées comme plus vulnérables que les hommes seuls, et donc plus à même de pouvoir rester. Mais ces catégories sont héritées de logiques gouvernementales. Ce sont celles qui déterminent laccueil au 115 ou dans les Centres dAccueil des Demandeurs dAsile (CADA). Les semeur.euses de trouble, les accros au Lyrica, celles et ceux qui sattardent un peu trop, qui commencent à se sentir comme chez elleux, et sortent de lanonymat qui leur était assigné, en revanche, sont les premier.es à subir des pressions au départ. Grâce à cette belle contorsion logique, celles et ceux qui nont vraiment nulle part où aller, sont celles et ceux quon fout dehors avec le moins de scrupules. Cest-à-dire quune personne accueillie a plus de chance de devoir partir si elle va à lencontre des normes de vulnérabilité quon lui assigne que si elle incarne une certaine image de la migration, selon laquelle un.e migrant.e se doit dêtre isolé.e, vulnérable et obéissante pour mériter laccueil.</p>
<p>Et qui est-ce qui décide de qui peut rester, et qui doit partir ? Un œil sur la jauge-à-ne-surtout-pas-dépasser, lautre sur le prix des billets de train pour Paris, les salarié.es de laccueil concentrent de fait le pouvoir de laisser rester et faire partir. La décision de renvoyer quelquun.e du refuge nest ni collective ni vraiment protocolaire, mais bien arbitraire, puisquelle repose souvent sur les impressions, humeurs et inimitiés personnelles que les salarié.es de laccueil nourrissent envers les personnes accueillies. Si lon ajoute à ça lurgence dont on parlait plus tôt, on se retrouve assez vite dans une panade bien grisâtre dans laquelle une poignée de gens contrôle et confisque la mobilité toi tu restes, toi tu pars dune majorité dexilé.es. Ce contexte est propice à des débordements de plus en plus fréquents, où lattitude contrôlante est si brutale quelle semble inspirée par un vrai sadisme, ou par une sorte de délire de puissance que la fatigue et le stress ne suffisent pas à justifier.</p>
<p>Voici quelques extraits de dialogues quon a pu entendre dans le bureau de laccueil du Refuge : « Tes bien content de dormir et manger gratuitement ici, hein? Mais ça peut pas durer ! Tu as trois jours pour acheter un billet et partir! » « [en pleurant:] Mais je nai pas dargent et je ne sais pas où aller ! » « Et ben tu vas te le faire prêter, largent, ou alors tu partiras en stop ! »</p>
<p>Ou encore, à une personne en manque de Lyrica: « Tu veux ta dose ? Il faut que tu achètes un billet pour Grenoble et je vais te la donner, ta dose ! »<sup id="fnref:7"><a class="footnote-ref" href="#fn:7">7</a></sup></p>
<h2>FAUT CONCLURE</h2>
<p>Accueillir cest aussi contrôler. Cest se rendre responsable de quand part qui et parfois où, sans trop savoir pourquoi. En ce sens, la contrainte ne prend pas toujours la forme dune interdiction. Au Refuge bien souvent la contrainte oriente, elle rassure, elle encourage, elle donne à des futurs flous des contours nets pour les faire advenir vite, très vite, parce quil faut faire de la place. La contrainte se fait douce<sup id="fnref:8"><a class="footnote-ref" href="#fn:8">8</a></sup>, quand elle nest pas ouvertement horrible.</p>
<h2>LA SOLUTION (PUISQUON LA PROMISE)</h2>
<p>La solution que nous proposons a lavantage de sadapter à presque tous les picotements de conscience (réels ou factices) des personnes qui détiennent un pouvoir sur les autres. Elle consiste à simplement arrêter de lexercer, ce pouvoir, à regarder un peu ce qui se passe, et à prendre des notes si possible. La jauge va exploser de mai à la mi-octobre<sup id="fnref:9"><a class="footnote-ref" href="#fn:9">9</a></sup>, comme lannée passée, et celle davant encore, ce qui pourrait provoquer autre chose que la fin du monde. Les portes des trois étages vides pourraient finir par souvrir, par exemple. Celleux parmi les propriétaires et les membres du CA qui voudraient les refermer seraient obligé.es de sexposer publiquement, elleux et les limites si mesquines de leur charité. Un tel geste pourrait même faire gagner un peu de sympathie à linstitution épuisée quest le CA du Refuge, dont la politique demeure incertaine, parfois suspecte, et toujours décevante, voire un peu collabo, comme quand ses membres sépoumonent dans les oreilles du préfet, des député.es et des ministres, quenfin yen a marre, il faut agir, ya trop de migrant.es par chez nous. Il pourrait arriver plein de choses, sérieux. Le « russe » pourrait même retrouver le sommeil, ou un.e bonne avocat.e.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Le Refuge Solidaire est un lieu daccueil temporaire des personnes exilées traversant la frontière franco-italienne.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:2">
<p>Soupe darguments régulièrement servie à quiconque questionne la jauge le plus souvent des bénévoles un peu inquièt.es de mettre des gens à la porte ou des éxilé.es peu désireux.es de se retrouver à la rue.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:3">
<p>Entendez : cest pour le bien des personnes exilées quon les met dehors, et puis de toute façon on na pas le choix, le refuge ne peut quand même pas accueillir toute la misère du monde (sans le soutien de lEtat qui, lui-même la déjà dit, ne peut pas non plus accueillir toute la misère du monde). Voilà on laisse ce tacle en bas de page pour éviter de trop froisser celleux qui ne sidentifieraient pas à la colère qui infuse ce petit article (pour linstant).&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:4">
<p>Suspense de ouf.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:4" title="Jump back to footnote 4 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:5">
<p>Cest pas nous qui le disons cest Joseph Masco, un très chouette anthropologue qui travaille sur linstrumentalisation politique des fins du monde aux Etats-Unis, dans un article (en anglais sorry) qui sappelle The Crisis in Crisis.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:5" title="Jump back to footnote 5 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:6">
<p>Cest une autre soupe, elle aussi indigeste, quon sert parfois au refuge quand la première na pas suffi.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:6" title="Jump back to footnote 6 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:7">
<p>Au moment où cet article était déjà écrit en large partie, nous avons appris une nouvelle déconcertante: une personne salariée du Refuge venait dêtre mise à pied et soumise à enquête parce que accusée dabus de pouvoir sur fond sexuel envers les exilé.es, notamment dans lapplication des mesures mise en place pour respecter la f***ue jauge. Cette histoire touche trop de près le sujet de notre article pour que nous ne la mentionnions pas, mais, dun autre point de vue, elle est beaucoup trop complexe, délicate et troublante, pour quon laborde de manière précipitée. Nous considérons par ailleurs quelle nenlève rien aux opinions que nous exprimons ici. Au contraire, elle corrobore notre indignation. Et, pour le reste, lévènement donne une couleur particulièrement sinistre au ton de certains de nos propos, que nous ne considérions pas, au moment de lécriture, à ce point allusifs.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:7" title="Jump back to footnote 7 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:8">
<p>Puisquil faut rendre à César ce qui appartient à César, lidée dune contrainte positive dun pouvoir qui dit oui, vas-y ! plutôt que beh non tu peux pas faire ça en fait a été pensée et théorisée en grande partie par Michel (Foucault).&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:8" title="Jump back to footnote 8 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:9">
<p>Et ben non ! Le Refuge a décidé le 30 août de fermer ses portes et que plus personne ne rentre. Au moment où nous envoyons RAVAGES à limprimerie, il ny a plus de lieu daccueil inconditionnel à Briançon, à part un squat sans eau (le Pado) et sous menace dexpulsion imminente. Ça nous fait tout drôle, à RAVAGES, cette sensation davoir été, pour une fois, presque TROP OPTIMISTES ?!&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:9" title="Jump back to footnote 9 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
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<title>ravages - LA JAUGE DU REFUGE SOLIDAIRE[^1] : LACCUEIL INCONDITIONNEL CONDITIONNE</title>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00">
lun. 04 décembre 2023
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<p>Avez-vous déjà essayé décrire à plusieurs sur un sujet qui fâche? Nous à Ravages on ne fait quasiment que ça et les résultats sont toujours, pour le moins, excitants ! Voici lexemple dun article qui exprime pas mal de choses qui nous tiennent grave à cœur : par exemple le fait quun accueil qui se dit inconditionnel et une jauge à ne pas dépasser ne vont pas facilement de pair, quun bâtiment ne peut se dire plein tant quil est vide à 60%, que les normes nont pas été inventées pour le bien de lhumanité, spécialement quand elles obligent de gens à dormir dans un couloir pourri plutôt que dans une chambre de merde. Et que les discours de lautorité, de la propriété, de lurgence et de la peur ont plutôt mauvaise presse dans nos pages.</p>
<p>Avant on pouvait toujours pousser les murs. Quand les chambres étaient pleines on se serrait encore plus. On dormait dehors, on tapissait la cuisine de matelas en se demandant comment on allait faire pour que tout le monde dorme dans un local si petit. Avant cétait «le squat», mettez lintonation que vous voudrez dans ces mots. Le Refuge1 du 37 rue Pasteur avait ses règles, celles dun lieu plus ou moins autogéré, tout autant contournées, détournées, enjambées par les bénévoles et les personnes accueillies sil le fallait, en fonction des circonstances. Parce quil y avait des règles, mais pas de propriétaire pour les faire respecter, on nen gardait que le meilleur : des indications de bon sens à respecter quand cest possible, à oublier le reste du temps. Et ça a duré des années, et on en a vu passer du monde ! Ne nous demandez pas les chiffres, on naime pas ça, mais on peut vous dire quon sest retrouvé à cent et même plus, dans ce petit lieu chaotique et passablement insalubre. On pourrait nous suspecter dagiter le fameux «cétait mieux avant» , mais on dit juste que les règles étaient moins étouffantes peut être au détriment du confort matériel du lieu. Et puis en août 2021, après un virage à droite de la mairie et des luttes intestines quon vous épargne ici, le Refuge a fermé ses portes, et cest là-haut, à côté de lhôpital, quil les a rouvertes, dans les locaux des Terrasses Solidaires.</p>
<p>Le nouveau Refuge est plus grand, et plus cher aussi. Derrière lachat et la rénovation du 34 route de Grenoble qui a coûté plus ou moins un million deuros avant même douvrir ses portes il y a Olivier Legrain du fond Riace France et ancien du groupe Lafarge, et Jean-François Rambicur de la fondation Arceal-Caritas France, administrateur du groupe Roquette, petit géant de lagro-industrie française et méga-pollueur. Alors voilà, des personnes très sérieuses ont donné beaucoup dargent, et il sagirait de ne pas en faire nimporte quoi. Le nouveau Refuge se pare de nouvelles règles. Il y a des normes de sécurité, dhygiène, des façons régulières et irrégulières de se rendre au sous-sol, dans la cuisine, dans la réserve de vêtements, et celle de nourriture. Il y a des clés, des codes qui ferment des portes, des protocoles daccueil, dentrée, de sortie et de soin. Il y a aussi trois étages supplémentaires, dont deux avec des chambres, des toilettes et des douches, que les propriétaires ont décidé de ne pas destiner à laccueil, et qui restent donc vides et inutilisés, parce que pas aux normes, alors quil suffirait de faire tomber une porte pour y accéder. Et puis il y a un.e « russe » dont tout le monde parle, Responsable Unique de Sécurité, de son vrai nom, qui ne dort pas la nuit à lidée que la moindre infraction à lune de ses règles ne finisse par lui coûter la prison. Et parmi ces règles, il y a la jauge : 64 personnes, à ne pas dépasser.</p>
<p>Le but de cet article nest pas de dire : refusons largent des patrons-philanthropes et organisons-nous pour laccueil digne et autogéré des personnes exilées même si on dit ça un peu quand même mais de comprendre un peu mieux comment les protocoles qui régulent lhospitalité affectent laccueil et le traitement des personnes exilées au Refuge. Et de dénoncer, au passage, certains abus vraiment intolérables.</p>
<h2>ARRÊTEZ DARRIVER</h2>
<p>« Non mais tu comprends pas, si personne ne part, personne ne peut arriver non plus ! Et puis ya des questions de sécurité aussi : si le bâtiment crame on fait quoi ? Si on dépasse la jauge lassurance ne paye pas, et puis même, au-delà des normes, tu te verrais dormir dans le réfectoire, toi ? Ya du bruit tout le temps, cest pas tenable, mieux vaut les faire partir, on sait pas où, mieux vaut éviter le pire ! Et puis le Russe il a des cernes on dirait un dindon. »2 Il est plutôt brouillon lépouvantail quon agite au Refuge pour pousser les personnes exilées vers la sortie : on y trouve des enjeux dargent et de sûreté tout entremêlés de soucis du bien-être et de la dignité dautrui3. Il nous arrive aussi parfois dentendre la théorie de lappel dair, dans sa version pour les nul.les, selon laquelle si on rajoute trois lits de camp dans le couloir, il y aurait immédiatement et immanquablement trois personnes pour quitter le Bangladesh en direction de Briançon.</p>
<p>De toutes ces règles à respecter et faire respecter ressort une impression de crise permanente. Cest-à-dire quà partir du moment où les yeux du conseil dadministration, des salarié.es et des bénévoles sont rivés sur la jauge-quil-ne-faut-pas-dépasser, les personnes qui restent et celles qui arrivent toutes celles qui menacent malgré elles de faire péter la jauge deviennent perçues et traitées comme des problèmes à gérer. Les personnes exilées qui arrivent au Refuge sont donc accueillies, certes, mais accueillies comme de potentielles futures menaces, des réfractaires au départ, les empêcheurs et empêcheuses du bon fonctionnement du Refuge en général et de laccueil (qui porte mal son nom) en particulier. Ce triste arrangement de conscience na pas lair de troubler plus que ça les membres du conseil dadministration. A nos critiques, ces gens-là répondent généralement avec agacement quil ny a pas dautres solutions et que nous ne servons donc à rien, avec notre empathie et notre idéalisme que lurgence perpétuelle ne parvient pas à anesthésier. Parce que LA solution, tenez-vous bien, nous lavons très claire en tête, elle est simple comme deux et deux font quatre, irréfutable mais on ne la révélera quà la fin de cet article.4</p>
<h2>LA TYRANNIE DU PRÉSENT</h2>
<p>Les discours de crise ont tant été utilisés comme moteurs dindignation que lespace public est devenu largement saturé durgences qui finalement peuvent attendre, et de chocs qui ne choquent plus. En dautres termes, les discours de crise sont contre-révolutionnaires en tant quils permettent de stabiliser une condition existante plutôt que de minimiser des formes de violences quotidiennes. La crise reproduit des institutions, des pratiques et des réalités plus quelle ninterroge la manière dont ces crises sont advenues, ou comment on pourrait en sortir5. Les personnes qui, au refuge comme ailleurs, nourrissent un sentiment durgence permanente se font les complices, volontaires ou non, dun discours qui, tant quil nous fait tourner en rond, nous empêche de nous demander pourquoi, au fait, est-ce quon tourne en rond. Etat durgence et dérive gestionnaire sont les écueils contre lesquels sécrase toute possibilité de réflexion autour de sujets pourtant centraux : la responsabilité du néocolonialisme dans les grands mouvements migratoires ; le rôle du capitalisme dans les dérèglements climatiques à lorigine de ces mêmes phénomènes ; la possibilité dun accueil digne dans une société qui refuse de remettre en question la propriété privée, la croissance économique, le plein emploi et le salariat. Tant de choses, une fois réintégrées dans le débat, pourraient servir de garde-fou (voire dantidote) contre le paternalisme et la maltraitance de salarié.es constamment au bord du burn-out.</p>
<p>Au Refuge, la crise ça veut dire pas le temps de mintéresser à ton passé, toi que jaccueille, et pas le temps non plus de me pencher sur ton futur. Il ny a quici et maintenant que tu existes, et tu ressembles plus à un colis encombrant quà une personne comme moi et mes potes. Le présentisme cest un peu la maltraitance ordinaire : peu importe doù tu viens et où tu vas, comme cest lurgence ici, tant que tu y es tu seras un parmi dautres, à nos yeux daccueillant.es. Pas le temps découter tes problèmes, et si par hasard tu deviens connu.e de moi cest que tauras merdé quelque part, tu te seras fait remarquer et probablement pas pour les bonnes raisons, tauras eu le culot de faire des vagues alors que franchement, tas pas vu comme cest compliqué déjà la vie ici, tétais vraiment obligé de rajouter des problèmes, sérieux ?6. Parler de crise au Refuge cest, souvent, éviter de remettre en question des pratiques daccueil qui traitent les personnes accueillies comme des indésirables et forcent leur départ vers des futurs précaires.</p>
<h2>INDÉSIRABLES</h2>
<p>Mais qui part quand la jauge est pleine ? Qui est-ce quon met à la porte en premier et à qui est-ce quon accorde un peu de répit ? Ces questions quotidiennes étendre ou non la durée de laccueil, enfreindre ou pas le protocole qui stipule que chaque personne accueillie ne peut rester que trois jours et trois nuits révèlent souvent une hiérarchie qui classe les personnes exilées en fonction de leur vulnérabilité (perçue). Les familles avec enfants, les femmes seules et les femmes enceintes sont souvent désignées comme plus vulnérables que les hommes seuls, et donc plus à même de pouvoir rester. Mais ces catégories sont héritées de logiques gouvernementales. Ce sont celles qui déterminent laccueil au 115 ou dans les Centres dAccueil des Demandeurs dAsile (CADA). Les semeur.euses de trouble, les accros au Lyrica, celles et ceux qui sattardent un peu trop, qui commencent à se sentir comme chez elleux, et sortent de lanonymat qui leur était assigné, en revanche, sont les premier.es à subir des pressions au départ. Grâce à cette belle contorsion logique, celles et ceux qui nont vraiment nulle part où aller, sont celles et ceux quon fout dehors avec le moins de scrupules. Cest-à-dire quune personne accueillie a plus de chance de devoir partir si elle va à lencontre des normes de vulnérabilité quon lui assigne que si elle incarne une certaine image de la migration, selon laquelle un.e migrant.e se doit dêtre isolé.e, vulnérable et obéissante pour mériter laccueil.</p>
<p>Et qui est-ce qui décide de qui peut rester, et qui doit partir ? Un œil sur la jauge-à-ne-surtout-pas-dépasser, lautre sur le prix des billets de train pour Paris, les salarié.es de laccueil concentrent de fait le pouvoir de laisser rester et faire partir. La décision de renvoyer quelquun.e du refuge nest ni collective ni vraiment protocolaire, mais bien arbitraire, puisquelle repose souvent sur les impressions, humeurs et inimitiés personnelles que les salarié.es de laccueil nourrissent envers les personnes accueillies. Si lon ajoute à ça lurgence dont on parlait plus tôt, on se retrouve assez vite dans une panade bien grisâtre dans laquelle une poignée de gens contrôle et confisque la mobilité toi tu restes, toi tu pars dune majorité dexilé.es. Ce contexte est propice à des débordements de plus en plus fréquents, où lattitude contrôlante est si brutale quelle semble inspirée par un vrai sadisme, ou par une sorte de délire de puissance que la fatigue et le stress ne suffisent pas à justifier.</p>
<p>Voici quelques extraits de dialogues quon a pu entendre dans le bureau de laccueil du Refuge : « Tes bien content de dormir et manger gratuitement ici, hein? Mais ça peut pas durer ! Tu as trois jours pour acheter un billet et partir! » « [en pleurant:] Mais je nai pas dargent et je ne sais pas où aller ! » « Et ben tu vas te le faire prêter, largent, ou alors tu partiras en stop ! »</p>
<p>Ou encore, à une personne en manque de Lyrica: « Tu veux ta dose ? Il faut que tu achètes un billet pour Grenoble et je vais te la donner, ta dose ! »7</p>
<h2>FAUT CONCLURE</h2>
<p>Accueillir cest aussi contrôler. Cest se rendre responsable de quand part qui et parfois où, sans trop savoir pourquoi. En ce sens, la contrainte ne prend pas toujours la forme dune interdiction. Au Refuge bien souvent la contrainte oriente, elle rassure, elle encourage, elle donne à des futurs flous des contours nets pour les faire advenir vite, très vite, parce quil faut faire de la place. La contrainte se fait douce8, quand elle nest pas ouvertement horrible.</p>
<h2>LA SOLUTION (PUISQUON LA PROMISE)</h2>
<p>La solution que nous proposons a lavantage de sadapter à presque tous les picotements de conscience (réels ou factices) des personnes qui détiennent un pouvoir sur les autres. Elle consiste à simplement arrêter de lexercer, ce pouvoir, à regarder un peu ce qui se passe, et à prendre des notes si possible. La jauge va exploser de mai à la mi-octobre9, comme lannée passée, et celle davant encore, ce qui pourrait provoquer autre chose que la fin du monde. Les portes des trois étages vides pourraient finir par souvrir, par exemple. Celleux parmi les propriétaires et les membres du CA qui voudraient les refermer seraient obligé.es de sexposer publiquement, elleux et les limites si mesquines de leur charité. Un tel geste pourrait même faire gagner un peu de sympathie à linstitution épuisée quest le CA du Refuge, dont la politique demeure incertaine, parfois suspecte, et toujours décevante, voire un peu collabo, comme quand ses membres sépoumonent dans les oreilles du préfet, des député.es et des ministres, quenfin yen a marre, il faut agir, ya trop de migrant.es par chez nous. Il pourrait arriver plein de choses, sérieux. Le « russe » pourrait même retrouver le sommeil, ou un.e bonne avocat.e.</p>
<div class="footnote">
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Le Refuge Solidaire est un lieu daccueil temporaire des personnes exilées traversant la frontière franco-italienne.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:2">
<p>Soupe darguments régulièrement servie à quiconque questionne la jauge le plus souvent des bénévoles un peu inquièt.es de mettre des gens à la porte ou des éxilé.es peu désireux.es de se retrouver à la rue.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:2" title="Jump back to footnote 2 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:3">
<p>Entendez : cest pour le bien des personnes exilées quon les met dehors, et puis de toute façon on na pas le choix, le refuge ne peut quand même pas accueillir toute la misère du monde (sans le soutien de lEtat qui, lui-même la déjà dit, ne peut pas non plus accueillir toute la misère du monde). Voilà on laisse ce tacle en bas de page pour éviter de trop froisser celleux qui ne sidentifieraient pas à la colère qui infuse ce petit article (pour linstant).&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:3" title="Jump back to footnote 3 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:4">
<p>Suspense de ouf.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:4" title="Jump back to footnote 4 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:5">
<p>Cest pas nous qui le disons cest Joseph Masco, un très chouette anthropologue qui travaille sur linstrumentalisation politique des fins du monde aux Etats-Unis, dans un article (en anglais sorry) qui sappelle The Crisis in Crisis.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:5" title="Jump back to footnote 5 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:6">
<p>Cest une autre soupe, elle aussi indigeste, quon sert parfois au refuge quand la première na pas suffi.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:6" title="Jump back to footnote 6 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:7">
<p>Au moment où cet article était déjà écrit en large partie, nous avons appris une nouvelle déconcertante: une personne salariée du Refuge venait dêtre mise à pied et soumise à enquête parce que accusée dabus de pouvoir sur fond sexuel envers les exilé.es, notamment dans lapplication des mesures mise en place pour respecter la f***ue jauge. Cette histoire touche trop de près le sujet de notre article pour que nous ne la mentionnions pas, mais, dun autre point de vue, elle est beaucoup trop complexe, délicate et troublante, pour quon laborde de manière précipitée. Nous considérons par ailleurs quelle nenlève rien aux opinions que nous exprimons ici. Au contraire, elle corrobore notre indignation. Et, pour le reste, lévènement donne une couleur particulièrement sinistre au ton de certains de nos propos, que nous ne considérions pas, au moment de lécriture, à ce point allusifs.&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:7" title="Jump back to footnote 7 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:8">
<p>Puisquil faut rendre à César ce qui appartient à César, lidée dune contrainte positive dun pouvoir qui dit oui, vas-y ! plutôt que beh non tu peux pas faire ça en fait a été pensée et théorisée en grande partie par Michel (Foucault).&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:8" title="Jump back to footnote 8 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
<li id="fn:9">
<p>Et ben non ! Le Refuge a décidé le 30 août de fermer ses portes et que plus personne ne rentre. Au moment où nous envoyons RAVAGES à limprimerie, il ny a plus de lieu daccueil inconditionnel à Briançon, à part un squat sans eau (le Pado) et sous menace dexpulsion imminente. Ça nous fait tout drôle, à RAVAGES, cette sensation davoir été, pour une fois, presque TROP OPTIMISTES ?!&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:9" title="Jump back to footnote 9 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
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title="Permalink to Lexique : frontière">Lexique : frontière</a></h2>
<h2 class="entry-title">Lexique : frontière</h2>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00">
lun. 04 décembre 2023
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By <a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<p>Ce qui suit est une (pas si) courte définition du mot « frontière ». On y trouve des éléments juridiques, historiques, anthropologiques même ! pour essayer de démêler ce quune frontière est de ce quelle nest pas. On sappuie surtout sur la frontière franco-italienne (quon appellera parfois FFI pour aller plus vite), parce que cest celle quon habite, quon connaît un peu mieux que les autres, et depuis laquelle on écrit la plupart de cette revue. Pour celles et ceux qui, pris dun grand coup de flemme, ne souhaiteraient pas lire la suite, ce quon y dit est plutôt simple : la frontière est une construction juridique historiquement récente, difficilement séparable des idées dEtat et de territoire, et dont la forme, le tracé et les modalités changent constamment. Le fait que les frontières nationales correspondent parfois à des frontières dites naturelles na rien dévident : cest le fruit dun processus politique qui, depuis plusieurs siècles, inscrit lEtat et ses limites dans une « nature » qui les précède et légitime leur existence.</p>
<p>Le rétablissement des contrôles didentité et le renforcement des effectifs policiers le long de la frontière franco-italienne ont fait de « la frontière » un objet ordinaire dans le Briançonnais. Pour les mi-litant.es du coin, « la frontière » est une réalité quotidienne : on larpente, on la dénonce, on essaye, le plus possible, de la rendre inutile, mais jamais ou presque on ne remet en question son existence. La frontière fait partie du décor. Et si elle apparait sur nos cartes de randonnée comme une ligne nette et bien tracée, peu de choses indiquent, dans nos paysages frontaliers, quici se trouve la limite dun territoire. A la différence des murs de barbelés érigés en Grèce, en Espagne ou en Hongrie, la frontière franco-italienne reste relativement intangible. Et pourtant, « la frontière » structure mouvements, pensées et luttes avec autant dévidence que si cétait un mur. Cest pour détricoter un peu de ce sens commun que nous analysons ici le mot
@ -58,7 +44,22 @@ En 2015 cette frontière sest partiellement refermée. LEtat a établi une
<p>Mais la frontière simmisce aussi et surtout dans le quotidien de celles et ceux qui lont franchie en tant que déportation possible. Pour lanthropologue Nicholas de Genova, cest la possibilité de la déportation ce quil nomme deportability plus que la déportation elle-même ce quil appelle deportation qui nourrit lexclusion des sans-papiers sur un territoire donné, et facilite leur exploitation par le capital. Peur, hypervigilance et résignation donnent à la frontière dont lexistence matérielle semble maintenant secondaire une dimension affective. Cest à grand renfort de surveillance, dintimidation et de harcèlement que lEtat cultive la précarité des sans-papiers et la condition de dé-portabilité qui les rend particulièrement vulnérables à des formes dexploitation contre lesquelles lEtat le même prétend par ailleurs lutter.</p>
<p>La frontière est donc à la fois synthétique et incarnée. Autrement dit, elle nest ni naturelle, ni immobile. Elle nest devenue évidente, en tant que manière dappréhender lespace, quà grand renfort de cartographie étatique traçant autour de nations mouvantes des limites fixes. La frontière nest pas neutre. Elle ne représente pas lespace de manière objective. Au contraire cest une construction, juridique et historique, qui, en divisant lespace entérinait surtout lidée que dautres séparations, entre les gens cette fois, étaient à la fois nécessaires et naturelles.</p>
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<li><a href="/la-jauge-du-refuge-solidaire-lacueil-inconditionnel-conditionne.html">La jauge du Refuge solidaire : l'acueil inconditionnel conditionné</a></li>
<li><a href="/lexique-frontiere.html">Lexique : frontière</a></li>
<li><a href="/lintegration-a-coups-de-patates.html">L'intégration à coups de patates</a></li>
<li><a href="/refoulements-violents-a-la-frontiere-greco-turque-recit-dune-derive-europeenne.html">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</a></li>
<li><a href="/remplacer-les-frontieres-par-des-forets-dherbes-sauvages-des-imaginaires-territoriaux-emancipateurs-contre-linvisibilisation-des-frontieres.html">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</a></li>
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title="Permalink to L'intégration à coups de patates">L'intégration à coups de patates</a></h2>
<h2 class="entry-title">L'intégration à coups de patates</h2>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00">
lun. 04 décembre 2023
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By <a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<p>Lentretien qui suit est extrait dune conversation que nous avons eue avec des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) hébergés dans un foyer. Nous les avons rencontrés chez eux, un appartement quils partagent avec des éducateur.ices et des veilleur.euses de nuit qui leur tiennent compagnie de jour comme de nuit. Dans le salon où nous nous sommes rencontrés il y avait P., de Côte dIvoire, R., du Burkina Faso et M., qui vient du Pakistan. On a parlé de leur vie en Ile de France, de leurs relations entre eux et de celles quils ont avec les éducateur.ices, depuis quils ont emménagé au foyer il y a quelques mois. Dans lentretien qui suit on parle surtout de nourriture : des repas préparés et partagés entre les quatre murs du foyer, de listes de courses qui se perdent, de sorties sous tutelle au supermarché du coin, dinterdictions, de contraintes, de lobstination de certain.es éducateur.ices à préparer des plats français, parce que cest important pour lintégration des jeunes, iels disent.</p>
<p>Car lintégration est une affaire de patates. Et de crème fraîche, aussi. Dans les repas préparés et échangés au foyer le soin se mêle au contrôle, et le don à la menace. Parce que les jeunes du foyer ne sont pris en charge par lAide Sociale à lEnfance (ASE) quen tant que mineurs (et parce quils ont été reconnus comme tels, ce qui nest pas le cas de toustes), ce ne sont ni des citoyens ni de simples « migrants », terme qui semble sappliquer seulement aux adultes en situation dexil. En dautres termes, ils ne sont accueillis institutionnellement quen tant quenfants. Ce sont un peu des apprentis citoyens, des mineurs sur la sellette de la légalité qui doivent faire les preuves de leur désir dintégration pour maintenir un statut régulier, une fois majeurs. Être à la fois enfant et étranger en France, cest devoir se plier à des formes de soin baignées dinjonctions à être un « bon MNA », cest-à-dire un MNA qui correspond aux normes de la blanchité : un MNA fort à lécole, sage à la maison, et respectueux des éducateur.ices qui lentourent. Dans limaginaire collectif qui reste un imaginaire nationaliste létranger est un peu lenfant du citoyen, et lenfant létranger des adultes, faisant des MNA enfants et étrangers les cibles dune double infantilisation, au nom de leur minorité et de leur étrangéité.</p>
@ -59,7 +45,22 @@
<p><strong>R:</strong> Ya dautres choses que vous navez pas le droit de faire ici ?</p>
<p><strong>P:</strong> Un jour un ami ma envoyé de la semoule de manioc, que nous on appelle en Côte dIvoire de lattiéké, quon mange beaucoup avec la main, jamais avec une cuillère, même les riches ils mangent avec la main. Ce jour-là jai fait de lattiéké, avec des haricots, des œufs, et on a mangé avec A. [un jeune pris en charge par lassociation]. On était à laise, on mangeait, et moi mon plat était un peu caché, parce quun éducateur était là mais il voyait pas, et quand il est rentré dans la cuisine il a vu A., et il a commencé à dire « Mais quest-ce que tu fais ? » Moi je parlais pas, je mangeais, et léducateur a commencé à crier sur A., « Les gars ça se fait pas ici, on na pas le droit de manger avec la main. » Il a continué à parler, mais moi à un moment jai pris la parole et on sest engueulé. Il a dit « et si Emmanuel Macron il arrive tout à lheure, est-ce que tu mangeras avec la main? » Jai dit « il est où Emmanuel Macron? Je sais que la France cest pour toi, mais la Côte dIvoire cest pour moi, je mange avec la main, tu peux pas me forcer à manger avec une cuillère », parce quon est chez nous ici, même si cest pas chez nous, on dort ici, on mange ici, on fait tout ici, donc cest chez nous. Il me dit « Et si on te voyait dans un restaurant ? » Je lui dis « Déjà moi jaime pas aller dans les restaurants, jaime pas, je préfère manger chez moi, à laise, tranquille, je bois mon eau et jai fini. » Avec un repas au restaurant ça me fait deux semaines de courses à la maison, donc chez moi cest mieux. Après dautres éducateurs sont arrivés et nous ont dit quon ne pouvait pas manger avec la main. Nous on a dit, « quand on mange, allez dans le bureau, fermez le bureau, et laissez-nous manger dans la cuisine. Vous êtes là pour travailler avec nous, pas pour venir faire votre loi comme vous faites avec vos enfants. » Ca sest passé comme ça avec eux. Après le chef est venu, il a essayé de nous obliger à manger avec une cuillère ou une fourchette, il a dit « parce que quand vous allez commencer votre apprentissage, vous allez manger avec des collègues, et si vous mangez avec votre main... » Jai dit « Déjà jai pas encore commencé lapprentissage, et quand je commence, si je vois que tous mes amis ont des cuillères, moi aussi je vais prendre une cuillère, je vais pas manger devant eux avec ma main. Mais ici je suis chez moi cest pour ça que je mange avec la main. » Si jai envie de manger avec ma main, je mange avec ma main. Tout est comme ça ici. Hier jai dit au nouvel éducateur, « Ici je vis dans une petite prison. Je vis dans une petite prison. »</p>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00">
lun. 04 décembre 2023
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By <a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<h1>Edito</h1>
<p>Tu tiens dans tes mains le premier numéro dune revue qui a failli sappeler autrement. On avait pensé à Roue Libre, La Brèche, Le Pas-Sage, et même Le Blaireau Explosif. Finalement la revue sappelle Ravages, avec un « s », parce quon est plusieurs à écrire là-dedans et surtout parce que des ravages y en a plein. Dans ldico ya écrit quun ravage est un dégât matériel causé de façon violente par laction des gens ou de la nature. Cest aussi « leffet désastreux de quelque chose sur quelquun », comme quand on parle des ravages de la guerre, ou de ceux du salariat.</p>
<p>Loin de simaginer comme des cataclysmes de chair et dos qui répandraient la colère à laide de petites revues, lidée est plutôt de témoigner des ravages de notre époque à partir dun point dobservation précis, celui de la frontière franco-italienne à Briançon. On sest dit que ça manquait un peu, dans le paysage militant du coin. Alors on a commencé à écrire. Certains de nos articles sont écrits à quatre, six, huit, parfois dix mains ! Et cétait pas toujours facile. Entre nous les critiques étaient vives, et certaines oreilles sourdes au moindre reproche<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup>.</p>
<p>Pour le moment cest tout !</p>
@ -48,12 +29,28 @@
<hr>
<ol>
<li id="fn:1">
<p>Cest pour rire...&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
<p>Cest pour rire...
l&#160;<a class="footnote-backref" href="#fnref:1" title="Jump back to footnote 1 in the text">&#8617;</a></p>
</li>
</ol>
</div>
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<h2 class="entry-title">Refoulements violents à la frontière greco-turque : récit d'une dérive européenne</h2>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00">
lun. 04 décembre 2023
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By <a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<p>LUnion européenne, obsédée par la théorie paranoïaque de lappel dair, mène une politique dexternalisation de ses frontières depuis maintenant presque dix ans. Pour tenter de paralyser les passages migratoires, lUnion a signé des accords avec les pays voisins, comme avec la Turquie, en 2016, qui est alors devenue un véritable sous-traitant du droit à lasile, et procède depuis à laccueil des personnes qui arrivent sur son territoire.</p>
<p>Nombreuses sont les personnes qui osent tout de même la traversée, par voie terrestre ou maritime, vers lEurope. La frontière gréco-turque est depuis devenue un lieu sinistre où les exilé.es sont soumis.es aux règles dun ping-pong meurtrier et confronté.es, dannée en année, à toujours plus de monstruosités : «encampements», travaux forcés, mois dattente puis de renvois, tentatives de traversée ratées, violences physiques et psychologiques, manque de sommeil, de nourriture et de soins.</p>
@ -57,7 +43,22 @@ Une fois localisées par les autorités, elles sont forcées par des hommes arm
<p><strong>M : </strong> Les actions intentées devant les tribunaux nationaux grecs étant systématiquement classées sans suite, sans que des enquêtes indépendantes et sérieuses ne soient menées, nous avons été for-cé.es de saisir la Cour Européenne des Droits de lHomme (CEDH) pour tenter dobtenir une prise de position officielle dune institution, et surtout une réparation pour les victimes. 32 demandes, incluant deux cas représentés par le Legal Centre Lesvos, ont été communiquées à la Grèce en décembre 2021, et sont actuellement en attente dune décision. Dautres plaintes ont été déposées mais nont pour linstant toujours pas été étudiées, malgré les preuves déposées, sans que nous sachions pourquoi. Largumentaire juridique dans ces cas est majoritairement basé sur larticle 2 de la Convention Européenne des Droits de lHomme mise en danger de la vie dautrui , larticle 3 traitements inhumains, dégradants et tortures , et larticle 5 détention arbitraire. La Grèce est le seule pays de lUnion européenne qui na jamais ratifié le protocole 4 de la Convention consacrant le principe dinterdiction des refoulements et linterdiction des expulsions collectives ce qui, de fait, exclu une condamnation sur ce seul fondement.</p>
<p>Nous espérons une « décision position » de la CEDH, mais ne sommes tout de même pas certains que cela mènera à une amélioration de la situation aux frontières. Dans dautres affaires, nous avons déjà vu la Cour justifier les pratiques de refoulement en invoquant le fait que les personnes en migration doivent utiliser les « points dentrée officiels » pour demander lasile. Cet argument est toutefois inopérant : le deal signé entre lUE et la Turquie est justement fait pour que les Turcs retiennent les personnes exilées sur leur territoire et les empêchent de venir en Europe. Ces points dentrée, cest pour les touristes et les achats de cigarettes moins chères, aucune chance dy demander lasile. La plupart des plaignant.es que nous représentons ont depuis réussi à migrer dans dautres pays de lUE et ont été reconnu.es réfugié.es là-bas. Il est primordial de continuer de dénoncer ces méthodes illégales aux frontières malgré la pression accrue sur les ONGs et le monde militant. La Turquie et la Grèce instrumentalisent au maximum le sujet chacune de leur côté. En Turquie, certaines institutions publient et dénoncent le traitement grec des personnes en migration. Elles tentent de calculer le nombre de pushbacks et déplorent publiquement que la Grèce financée par lUE gère si mal ses frontières. La Grèce quant à elle, dans son discours affirme quil sagit de la propagande dErdogan. La vieille rengaine entre les deux pays… et pendant ce temps rien ne change! Il faudra certainement encore des années dinvestigations et de dénonciation pour arriver à faire bouger la pratique, si une autre, encore plus dramatique, nest pas inventée dici là. La prochaine piste à explorer est de tenter de faire qualifier les pushbacks en tant que crimes contre lhumanité, et de se battre sur le terrain pénal.</p>
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<h2 class="entry-title">Remplacer les frontières par des forêts d'herbes sauvages : des imaginaires territoriaux émancipateurs contre l'invisibilisation des frontières</h2>
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<time class="published" datetime="2023-12-04T00:00:00+01:00">
lun. 04 décembre 2023
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By <a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<p>Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance à se dissoudre dans notre vécu ordinaire, emportant avec elle les personnes qui en subissent la ségrégation. Cet article veut montrer que cette invisibilisation ne va pas de soi, quelle est le résultat dimaginaires portés par des acteur.ices locaux qui font du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Inhabitable dans le sens où les personnes exilées sont au mieux considérées comme des « invités », au pire comme une masse nuisible, mais jamais ou trop rarement comme des personnes libres et fortes dun pouvoir dagir individuel et collectif. Des expériences collectives locales, allant des squats à certaines associations visant lémancipation des personnes apparaissent alors comme de potentielles sources dimaginaires territoriaux qui ninvisibilisent plus les exilé.es mais au contraire leur redonnent un peu dautonomie.</p>
<p>Non-respect des procédures de demande dasile par la police de lair et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places dhébergement durgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que lon peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation.</p>
@ -59,7 +45,22 @@ A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge
<p>Là où « être accueilli.e » est un statut passif, « habiter » est une posture active et émancipatrice, tant individuellement que collectivement. En revenant sur lhistoire du marronnage la sécession des esclaves en Amérique et dans les archipels de lOcéan Indien le philosophe et anthropologue mahorais Dénètem Touam Bona montre limportance des « forêts » dans la reprise dune puissance dagir collective vers lémancipation. Le terme « forêt » désigne ici un espace où lon est libre dhabiter comme on le souhaite, un en-dehors des normes instituées où lon développe des pratiques de subsistance, de loisir ou de spiritualité, où lon crée des liens et où lon sorganise contre un système oppressif. Dans le Briançonnais, les espaces qui se rapprochent de cette idée se font rares. Il y a bien quelques squats, lieux collectifs ou associations où les personnes exilées ne sont pas contraintes par des normes quelles nont pas faites, mais ils sont rares, et surveillés de près.</p>
<p>La production de récits territoriaux émancipateurs reste ouverte, mais se dessinent déjà quelques pistes de réflexion : laisser la parole aux premier.es concerné.es, et enquêter à partir dexpériences qui montrent tant les discriminations que les émancipations ; montrer comment se construisent ces expériences, ces espaces et ces structures sans en cacher les limites ou les difficultés. Lenjeu est de désarmer les récits qui hiérarchisent les vies entre elles, invisibilisent une partie de la population et marginalisent les pensées alternatives, en multipliant les récits dans lesquels les individus choisissent dhabiter, plutôt quacceptent dêtre accueillis.</p>
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lun. 04 décembre 2023
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By <a class="url fn" href="/author/ravages.html">ravages</a>
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<h2>«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup></h2>
<h3><em>«Tu vas prendre un taxi ou une fusée ?»<sup id="fnref:1"><a class="footnote-ref" href="#fn:1">1</a></sup></em></h3>
<p>Lyrica est un nom assez poétique pour un médicament. Pourtant la prégabaline en a beaucoup dautres, encore plus évocateurs. Selon la langue et la latitude on lappelle la « Rouge », le « Taxi », la « Fusée ». Il semble que, de ce puissant médicament anxiolytique, antalgique et antiépileptique, on parle même dans quelques chansons, sur les côtes méridionales de la Méditerranée. Sa popularité en tant que drogue récréative est énorme dans les pays du Maghreb. Lîle de Samos semble avoir été, pendant plusieurs années, sa plaque tournante et le centre de sa diramation vers lEurope. Aujourdhui, le Lyrica se trouve partout, vendu sous le manteau à 1,50€ la gélule, 10€ la plaquette, de Perpignan à Bruxelles, en passant par la Porte de la Chapelle.</p>
<p>Quelle est donc la raison dun succès international qui frôle la légende ? Quest-ce qui fait de ce dérivé de lacide gamma-amino-butyrique (ça fait moins rêver, nest-ce pas?), lun des médicaments les plus cités dans des fausses ordonnances, en France et en Belgique ?</p>
<p>La réponse est simple, chères lecteur.ices : une stratégie de marketing bien réussie ! Qui comporte, il est vrai, quelques pépins avec la justice, mais cela na plus lair de scandaliser lopinion publique occidentale, après les affaires de lOxyContin de Purdue Pharma, ou du Fentanyl dInsys Therapeutics, protagonistes inoubliables de la saga des opioïdes aux Etats-Unis.</p>
@ -84,7 +70,22 @@ Mais il faut pouvoir contrôler. Parce que un peu ça taide trop. Tu en prend
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<p>Ne cherchez pas de sens à ce titre. Pas tout de suite. Posez-vous simplement la question : Quest-ce que je vois ou ne vois pas quand je vais à Montgenèvre ? La réponse varie en fonction des personnes, mais il reste de commun aux personnes blanches que la frontière a tendance à se dissoudre dans notre vécu ordinaire, emportant avec elle les personnes qui en subissent la ségrégation. Cet article veut montrer que cette invisibilisation ne va pas de soi, quelle est le résultat dimaginaires portés par des acteur.ices locaux qui font du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Inhabitable dans le sens où les personnes exilées sont au mieux considérées comme des « invités », au pire comme une masse nuisible, mais jamais ou trop rarement comme des personnes libres et fortes dun pouvoir dagir individuel et collectif. Des expériences collectives locales, allant des squats à certaines associations visant lémancipation des personnes apparaissent alors comme de potentielles sources dimaginaires territoriaux qui ninvisibilisent plus les exilé.es mais au contraire leur redonnent un peu dautonomie.</p>
<p>Non-respect des procédures de demande dasile par la police de lair et des frontières (PAF), non-respect du droit dans les demandes de titres de séjour par la préfecture, manque de places dhébergement durgence, stigmatisation des personnes exilées, criminalisation des personnes solidaires : voilà la réalité de la frontière dans le Briançonnais. Une réalité que lon peut, à Montgenèvre, survoler en télésiège, si notre porte-monnaie nous le permet. Allégorie trop parfaite de la ségrégation qui se déploie tout autour de nous, et de son invisibilisation.</p>
<h2>INVISIBLES, OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE LINGE !</h2>
<p>En 2007, Guy Hermitte, maire de Montgenèvre et ancien officier de la PAF, écrivait : « Dépassant les clivages humains qui ont conduit aux pires atrocités, Montgenèvre, par sa spécificité de commune transfrontalière, tend la main à ses voisins italiens pour créer ensemble une coopération au service des populations et de leur maintien en montagne. Ce lien va perdurer au-delà des années pour créer lun des plus beaux domaines skiables internationaux dEurope : La Voie Lactée ». M. Hermitte loue le «lien», « tend la main », coopère, comme si lépoque de la séparation des peuples était révolue. Pourtant, à Montgenèvre aujourdhui, la coopération entre la France et lItalie est surtout commerciale et policière. Un golf, une station de ski et une macabre partie de ping-pong avec les personnes exilées ; voilà les seules choses réellement transfrontalières à Montgenèvre. Le local de « mise à labri » où sont enfermées les personnes arrêtées alors quelles tentaient de traverser la frontière, est un Algeco dissimulé derrière le poste de police. Le vocabulaire officiel est pour le moins trompeur, car cette « mise à labri » se traduit quasi systématiquement par lenfermement illégal et le refoulement en Italie des personnes exilées. La fraternité prônée par M. Hermitte ne vaut quen tant quelle promeut le tourisme et efface dun même geste les questions migratoires. Ces mots datent. Mais aujourdhui encore, léquipe municipale montgenèvroise continue de louer le caractère « transfrontalier » de sa station, tout en réussissant lexploit de rester muette sur les enjeux migratoires, alors même que la situation locale fait régulièrement lobjet dune couverture nationale.</p>
<p>Le mutisme est aussi à lœuvre chez des acteur.ices dépendant.es de subventions, ou de marchés publics. Parmi elleux, des acteur.ices de la solidarité, de la culture et du tourisme font attention à rester « neutres », « apolitiques », à ne pas faire de vagues, une posture qui participe au maintien de lordre frontalier. La société de transport Resalp, par exemple, a choisi de collaborer avec la police. Cest ainsi que les chauffeur.euses de la ligne Montgenèvre-Briançon demandent aujourdhui les documents didentité à certain.es passager.es non-blanc.hes suivant une pratique ouvertement raciste et totalement illégale.
A Briançon, on ne fait même plus semblant : la municipalité demande au Refuge Solidaire de ranger le linge pendu à ses fenêtres. Ça ne fait pas propre, et il parait que les habitants de Briançon le « vivent mal ». Lorsquun mort est retrouvé sur un chemin descendant vers Briançon, que le refuge solidaire bat des records daccueil à Briançon, les seules préoccupations dArnaud Murgia sont la « sécurité et la tranquillité des habitants ». Soucieuses que lopinion publique nassocie « personnes exilées » avec « insalubrité », des associations organisent au printemps des randonnées pour ramasser les habits abandonnés sur les chemins pendant lhiver, effaçant ainsi les traces des passages migratoires et de leur répression, se laissant prendre au piège de linvisibilisation. De manière générale, le Briançonnais se muséifie. La « préservation » du patrimoine et de lenvironnement sert dexcuse pour définir où est-ce que les personnes en situation dexil peuvent être hébergées, et quels usages sont tolérés. Le tout étant que ce, celles et ceux qui dérangent ne se voient pas, en particulier pour les touristes, qui ont le champ libre et un accès privilégié à lusage, voire à lusure, du territoire.</p>
<h2>SOLIDARITÉ DE FAÇADE</h2>
<p>Les mécanismes dinvisibilisation de la frontière sont dautant plus efficaces quils sont secondés par une redoutable stratégie de communication qui affiche le Briançonnais comme un territoire ouvert et accueillant, une stratégie consistant à créer une image officielle convenable, voire séduisante, et à limiter lexpression de récits alternatifs.</p>
<p>Une fresque murale représentant une personne noire qui traverse des montagnes, un festival se voulant « polychrome » affichant une programmation éclectique de musiques du monde, une station de ski transfrontalière : si on ne sait pas ce qui se trame autour de la frontière, le Briançonnais pourrait passer pour un territoire ouvert, presque solidaire. Après tout, le maire de Briançon et le préfet du département saffichent publiquement en soutien dun nouveau centre de vacances pour des personnes en situation de précarité. Cest que ça doit être des gars bien !</p>
<p>La communication est bien ficelée. En saffichant publiquement comme soutiens de lassociation 82-4000 solidaires, qui vise à démocratiser la haute montagne, Arnaud Murgia et Dominique Dufour (le préfet des Hautes-Alpes) apparaissent « solidaires », sans pour autant remettre en cause les catégories sociales servant à discriminer laccès au territoire et aux droits. Les immigrés « légaux » (ou tolérés un temps) ont le droit de venir en vacances dans le Briançonnais, tandis que les « migrants », les « illégaux » peuvent toujours attendre à Oulx. En plus de cacher leur politique sécuritaire derrière une solidarité sélective, cette pirouette communicationnelle leur permet de se réapproprier la solidarité et de marginaliser les discours dopposition. Si la solidarité nappartient pas quaux militant.es, alors ceux-ci se caractérisent par leur radicalité, et peuvent être érigés en menace pour lordre public. Pourtant, cette solidarité de façade dissimule mal les priorités répressives de M. Murgia. On peut citer, à titre dexemple, le sort de la MAPEmonde, ancien service daide aux personnes étrangères de la MJC, qui na pas été maintenu dans le nouveau centre social intercommunal.</p>
<h2>DAUTRES RÉCITS EXISTENT…</h2>
<p>La persévérance des associations et collectifs locaux fait que dautres récits existent sur le territoire et se diffusent jusque dans la presse et les réseaux (inter)nationaux : celui de laccueil, ou de la liberté de circulation. Néanmoins, ces récits peuvent aussi contribuer à entretenir la ségrégation quinstituent les frontières étatiques.</p>
<p>Nous opposons assez facilement à limage de montagne-frontière celle dune montagne-refuge, un récit qui sappuie sur limaginaire montagnard, et quelques formules de bon sens : « on nabandonne pas quelquun en montagne » ; « en refuge, on ne laisse personne dormir dehors, quitte à dormir sur et sous les tables », etc. Si ce récit peut correspondre à une certaine réalité, il comporte également un certain nombre de dangers. En ne nommant pas les violences racistes et sécuritaires qui rendent ces « refuges » nécessaires, il empêche de sattaquer aux problèmes de fond. Il fait aussi de la montagne un territoire dexception par rapport aux autres territoires, alors même que, par principe, la liberté de circulation devrait être défendue partout.</p>
<p>La mise en spectacle de lhospitalité et des maraudes crée dautre part une figure de héros-solidaire dont dépendent les personnes en exil pour arriver à bon port. Cest-à-dire quon naturalise lidée selon laquelle les « solidaires » seraient indispensables aux personnes en exil, ce qui revient à les priver de leur capacité daction et de leur autonomie. On recrée ainsi une situation de domination, dans laquelle le héros-solidaire confisque le pouvoir au lieu de contribuer à lémancipation des personnes quil prétend aider.</p>
<p>Comment alors faire exister des récits qui permettent lémancipation des personnes en exil, et démontent les structures racistes ? A lévidence, la première chose à faire est de rendre visible la ségrégation raciste que produit la frontière, et que les autorités cherchent à cacher. Reste ensuite à imaginer, et diffuser, des imaginaires territoriaux qui favorisent lémergence despaces et de structures sociales émancipatrices.</p>
<h2>ON NE DIT PAS DES HERBES SAUVAGES QUELLES FORMENT DES FORÊTS !?</h2>
<p>Lidée que tout le monde puisse circuler et sinstaller où bon lui semble peut paraître aussi absurde que le titre de cet article. Pourtant, lexpérience montre quil peut exister des structures sociales et des modes dorganisation collectifs qui permettent aux personnes exilées dêtre dans une posture dacteur.ices et de regagner de lautonomie. Des structures dans lesquelles la notion « détranger.e » ne fait que peu de sens et celle de « personne accueillie » est rapidement remplacée par celle de « cohabitant.e » ou de « voisin.e ». Comment seulement faire que ces possibles émancipateurs remplacent les conceptions racistes dans les imaginaires et les récits territoriaux ?</p>
<p>Lutter pour lémancipation individuelle et collective cest redonner le pouvoir dagir aux personnes qui en ont été privées : un pouvoir dauto-détermination, mais aussi et surtout un pouvoir dagir politique. La politologue Fatima Ouassak, comme dautres théori-cien.nes de la pensée décoloniale, montre que rien de cela ne peut se faire sans laisser aux personnes exilées un « accès à la Terre », et la possibilité de vivre où elles le souhaitent. Souvent considérées comme des sources dinsécurité potentielles, les personnes immigrées ou considérées comme telles ne sont presque jamais associées aux choix politiques ou urbanistiques impactant leurs lieux de vie. Les politiques locales mises en place par messieurs Murgia ou Hermitte sont une déclinaison locale de la politique sécuritaire en œuvre au niveau national : elles cherchent, presque explicitement, à faire du Briançonnais un territoire inhabitable pour toute une partie de la population. Les personnes exilées sont par défaut exclues, exceptionnellement tolérées, mais uniquement dans des lieux prévus à cet effet, qui incarnent limaginaire de la « bonne solidarité »; des lieux dans lesquels on peut être « accueilli », mais où on ne vit pas. Si lon suit la proposition de Fatima Ouassak, lenjeu nest pas doffrir aux personnes exilées un retour à la Terre au sens écolo-privilégié de lexpression, mais de leur rendre la possibilité dhabiter, comme elles veulent, et où elles veulent.</p>
<p>Là où « être accueilli.e » est un statut passif, « habiter » est une posture active et émancipatrice, tant individuellement que collectivement. En revenant sur lhistoire du marronnage la sécession des esclaves en Amérique et dans les archipels de lOcéan Indien le philosophe et anthropologue mahorais Dénètem Touam Bona montre limportance des « forêts » dans la reprise dune puissance dagir collective vers lémancipation. Le terme « forêt » désigne ici un espace où lon est libre dhabiter comme on le souhaite, un en-dehors des normes instituées où lon développe des pratiques de subsistance, de loisir ou de spiritualité, où lon crée des liens et où lon sorganise contre un système oppressif. Dans le Briançonnais, les espaces qui se rapprochent de cette idée se font rares. Il y a bien quelques squats, lieux collectifs ou associations où les personnes exilées ne sont pas contraintes par des normes quelles nont pas faites, mais ils sont rares, et surveillés de près.</p>
<p>La production de récits territoriaux émancipateurs reste ouverte, mais se dessinent déjà quelques pistes de réflexion : laisser la parole aux premier.es concerné.es, et enquêter à partir dexpériences qui montrent tant les discriminations que les émancipations ; montrer comment se construisent ces expériences, ces espaces et ces structures sans en cacher les limites ou les difficultés. Lenjeu est de désarmer les récits qui hiérarchisent les vies entre elles, invisibilisent une partie de la population et marginalisent les pensées alternatives, en multipliant les récits dans lesquels les individus choisissent dhabiter, plutôt quacceptent dêtre accueillis.</p>
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